Le 20 décembre 2014, Bertrand Nzohabonayo dit "Bilal", est abattu devant le commissariat de Joué-lès-Tours, en Indre-et-Loire. Le jeune homme de 20 ans vient de blesser 3 policiers à l'aide d'un couteau. Une agression aussitôt qualifiée d'attentat terroriste par les autorités, mais que contestent certains témoins et proches de Bertrand Nzohabonayo.
Dix ans après, des zones d'ombre subsistent. Le 20 décembre 2014, après avoir blessé trois policiers à l'aide d'un couteau de 30 cm, Bertrand Nzohabonayo est abattu par un quatrième policier depuis le perron du commissariat de Joué-lès-Tours.
Le jeune Français de 20 ans, originaire du Burundi, se faisait appeler "Bilal" depuis sa conversion à l'islam en 2010. Selon la version des autorités confirmée par des témoins, il aurait crié "Allah Akbar" ("Dieu est grand" en arabe) avant de passer à l'acte de ce qui serait un attentat. Mais d'autres témoins ainsi que les proches de Bertrand Nzohabonayo, dans l'incompréhension, livrent une autre version de l'histoire.
Un individu radicalisé ?
Le lendemain, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'Intérieur, se rend sur place. Il confirme alors que Bertrand Nzohabonayo aurait bien crié "Allah Akbar". "Les informations qui viennent de m'être communiqué à l'instant, qui résultent des premiers témoignages, confirment que cela aurait été prononcé avant que la violence ne se déploie", explique-t-il face aux caméras.
Le jeune homme ne faisait pas l'objet d'un suivi particulier. "Il était connu pour des actes de délinquance, mais il n'était pas connu pour son implication dans des activités terroristes", précise le ministre de l'Intérieur.
Si le pronostic vital des policiers n'est pas engagé, ils souffrent de sévères blessures, selon le procureur de la République de Tours de l'époque, Jean-Luc Beck. "L'un aurait un conduit auditif touchés et un autre aurait un problème sérieux au niveau de la main avec des tendons qui auraient été atteints, énumère-t-il. Ce qui prouve bien que les forces de police ont ouvert le feu en dernière limite."
Dans la foulée, la section antiterroriste de Paris se saisit de l'affaire. Dès le 20 au soir, les proches de Bertrand Nzohabonayo sont entendus et le domicile de sa sœur, où il vivait, dans le quartier de La Rabière, à Joué-lès-Tours, est perquisitionné. Son jeune frère, Brice, est arrêté le jour même dans la capitale du Burundi, Bujumbura.
"Brice était suivi selon un signalement de leur mère en aout 2013. Elle s'inquiétait à l'époque de la radicalisation de son fils Brice et de l'influence qu'il pouvait exercer sur son frère Bertrand, avance le procureur de la République de Paris. Il s'était converti à l'islam et radicalisé à l'âge de 16-17 ans, un an après son frère Brice, dont il était très proche."
Un "gentil", "pacifique" selon ses proches
La famille de Bertrand Nzohabonayo conteste pourtant ce portrait dressé. Son père prend la parole et le décrit comme "non-violent, très pacifique". "Il me disait "Papa, je ne vais pas tomber dans l'excès, car, par définition, l'islam est une religion de paix"", assure-t-il. Ses amis également. L'un d'eux témoigne anonymement auprès de France 3 : "Il était vraiment très gentil. Il pouvait se battre avec n'importe qui, certes, mais il fallait des raisons."
Le lendemain de la mort de Bertrand Nzohabonayo, le président des Amis de la mosquée jocondienne Mohamed Abdellaouy, s'exprime. Il a vu le garçon qu'il décrit comme "normal" arriver à la mosquée un an auparavant. Il s'y était absenté plusieurs mois avant de revenir, une dizaine de jours avant les faits. "Il avait l'air stressé, énervé. Il m'a dit qu'il avait un problème familial. Je l'ai vu pleurer. Il ne parlait pas beaucoup, il n'était pas vraiment connu à la mosquée", raconte le président des Amis de la mosquée.
Des témoignages qui sèment le doute
Une autre version que la version officielle vient semer le doute. "Des témoins ont dit qu'ils ont vu Bertrand en dehors du commissariat, escorté et encadré par des policiers", relève l'avocat de la famille, Me. Jérémie Assous. Un témoin s'exprime de manière anonyme sur une chaîne d'information en continu : "Ils essayaient de le faire rentrer au poste, lui, il ne voulait pas donc il criait 'Ah'. À ce moment-là, il a sorti son couteau, ils étaient quatre et n'arrivaient pas à le maîtriser, il commençait à agiter son couteau et là, ils ont tiré quatre balles sur lui. À aucun moment, il n'a crié Allah Akbar." Face caméra cette fois, une autre personne livre une version similaire aux équipes de l'AFP vidéo.
La famille lance ensuite un appel à témoins afin d'obtenir plus d'éléments. Tout comme le procureur de la République de Tours, Jean-Luc Beck. "Je trouve assez déplorable, qu'un nombre de témoignages, plus ou moins anonymes, ne soient pas portées à la connaissance des autorités, mais soient colportés à gauche à droite", s'agace-t-il.
La veille du drame, un différend entre des jeunes du quartier de La Rabière et l'un des policiers du commissariat vient ajouter des interrogations. Connu pour ses méthodes musclées, il agresse alors un des jeunes hors de ses fonctions. Mais ce jour-là, Bertrand Nzohabonayo n'était pas sur place, il accompagnait sa mère à Paris. Le policier en question quittera Joué les tours deux jours après la mort du jeune homme.
Un "hasard", selon Jean-Luc Beck, le procureur de la République de Tours, interrogé par France 3 en 2016 sur l'affaire. Ce dernier évoque une mutation prévue. "En l'état, il ne fait aucun doute, et personne n'a pu venir me dire le contraire, alors que j'avais fait un appel à témoins, qu'il y n'avait aucun lien entre cette agression du policier", énonce le magistrat.
Un acte isolé ?
Il relève que des témoins attestent de la présence de caméras. Elles n'existaient pourtant pas à ce moment-là. "Il y avait des caméras sur l'arrière du bâtiment, pour protéger d'un éventuel cambriolage, mais pas devant, atteste Jean-Luc Beck. Maintenant, il y en a devant tous les commissariats, mais pas à l'époque."
En juillet 2015, le parquet de Tours classe l'affaire sans suite, faute d'éléments invoquant une autre thèse que la légitime défense des policiers. Quelques mois plus tard, en octobre 2015, quatre personnes de l'entourage de Bertrand Nzohabonayo sont interpellées, soupçonnées d'être ses complices dans le cadre d'une action organisées. Ils seront libérés deux jours plus tard, sans suite.
Selon Jean-Luc Beck, le procureur de la République de Tours, il s'agit bien d'un acte terroriste isolé. "Il est extrêmement compliqué de comprendre qu'un individu, armé d'un simple couteau, attaque un commissariat. Ce n'est pas logique, pointe-t-il. Mais si on intègre le phénomène que l'auteur est prêt à mourir pour la cause, ça peut s'expliquer."
Deux jours avant l'agression des policiers au commissariat de Joué-lès-Tours, Bertrand Nzohabonayo, poste sur Facebook une photo du drapeau de Daesh. À l'époque, l'organisation terroriste présente en Syrie et en Irak gagne du terrain. Elle appelle ses fidèles à passer à l'acte même seuls. Les deux jours qui suivant, à Dijon et à Nantes, deux personnes attaquent la foule à l'aide de voiture-bélier. Les pistes terroristes sont directement écartées. Mais quelques semaines plus tard, le 7 janvier 2015, des assaillant vise la rédaction de Charlie Hebdo à Paris. Cette fois-ci peu de doute, l'acte terroriste est bien revendiqué.