Témoignages. Femmes sans abri : les invisibles retrouvent un peu d'humanité à la Nuitée, un foyer qui leur est réservé

Publié le Écrit par Perrine Roguet

En France, près de 120 000 femmes sont sans domicile fixe. Une situation que met en lumière un rapport du Sénat, publié les 9 octobre 2024. Derrière les chiffres se cachent des histoires, et des structures qui luttent chaque jour pour une vie plus stable. Comme la Nuitée, un foyer d'hébergement dédié aux femmes.

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"Dans la misère, la sororité est plus présente que jamais", Soraya Tazi, travailleuse sociale parle toujours avec le sourire, comme pour apporter de la lumière au milieu des situations les plus sombres. En France, près de 120 000 femmes n'ont pas de domicile fixe. Tours, en Indre-et-Loire ne fait pas exception à la règle. 

Des accueils spécialisés pour les femmes 

Chaque mardi, des dizaines de femmes composent le 115 dans l'espoir d'avoir une place en hébergement d'urgence. Certaines arrivent jusqu'ici, à la Nuitée, qui leur est réservée. Vingt places, dans des chambres partagées à deux ou trois, en fonction de leur grandeur. Un dispositif spécifique aux femmes enceintes a vu le jour en 2021, la Mater Nuitée. Il permet à vingt femmes (ou parents) de pouvoir trouver un moment de répit après l'accouchement. Des hébergements gérés par l'association Emergence. 

"On le sait, ce n'est jamais assez" souligne Hanane Daouda, travailleuse sociale. Encore plus que les hommes à la rue, les femmes sont invisibles. "Cachées par nécessité ou ignorées par un système inadapté à leurs besoins" affirme un rapport du Sénat, publié le 9 octobre 2024. 

En janvier 2024, une proposition de loi a été votée, pour que chaque commune réalise un décompte annuel des personnes sans abri, pour espérer mettre en lumière les réels besoins de terrain.

Les vies derrière les chiffres

Derrière les chiffres, il y a les histoires, celle de Khadidga par exemple. Arrivée du Magreb il y a 10 ans, elle a été frappée par une tumeur. Aujourd'hui, si elle se retrouve à la Nuitée, c'est à cause de son conjoint, violent. "Il a gardé tous mes papiers, refuse que je les récupère" explique-t-elle. 

Ici, les travailleurs sociaux le savent, les femmes sous emprise retournent en moyenne sept fois vers leur bourreau avant de prendre conscience de ce qu'elles subissent. Un mécanisme proche d'une sortie d'addiction. 

L'équipe de sept salariés du foyer voit défiler des visages, parfois différents toutes les semaines. Des jeunes tout juste sorties des mains de l'aide sociale à l'enfance, des femmes atteintes d'addiction, qui souhaitent sortir d'un schéma de prostitution, ou encore tout juste sorties d'opérations médicales. "On a eu, aussi, une vague de femmes plutôt âgées, qui étaient endettées" explique Hanane Daouda. Expulsées de leur logement, elles avaient parfois de bonnes retraites "mais sont tombées sur des arnaqueurs en ligne à qui elles ont tout donné". 

L'espoir de retrouver une vie "normale" 

Dans chaque situation, il faut alors tenter de redonner confiance, et les clés pour de jours meilleurs. "On fonctionne dans l'urgence" souligne Soraya "mais notre volonté, c'est d'aller plus loin". C'est ainsi qu'au fil des années, des activités se sont mises en place. Maquillage, coiffure, sophrologie, et pour le mois d'octobre, une sensibilisation à l'autopalpation. Des moments importants aux yeux des salariés, "c'est nécessaire même" affirme Hanane. 

Entre femmes, les résidentes font bloc "elles partent souvent en s'étant fait des meilleures amies" affirme Hanane, avec beaucoup d'entrain. "Quand on se retrouve dans la galère, on se soude et ça crée des liens extrêmement forts". Des comportements qui sont en général, moins retrouvés dans des foyers réservés aux hommes. Leurs structures d'urgence sont, pour la majorité, accessibles uniquement la nuit, et les problématiques addictives beaucoup plus fréquentes que chez les femmes. "Ils restent aussi souvent plus longtemps à la rue, et la violence est très présente" explique Soraya. 

Ici, chaque résidente donne un euro par jour, si elle le peut "et souvent, elles sont contentes de pouvoir participer. Ça remet un peu de normalité dans les choses, mais ça leur donne aussi la légitimité de pouvoir nous solliciter" détaille Soraya. 

Les limites de l'accompagnement 

"Le plus frustrant, c'est de voir des femmes que l'on a commencé à accompagner repartir" se désole Chelssy Adolphe, elle aussi salariée de l'association. "On ne sait pas où elles atterrissent, si elles sont à la rue, ou retournées chez leur bourreau". Certaines sont réaffectées à la Nuitée plusieurs mois plus tard "et tout est à recommencer"

Hanane quant à elle tente de continuer les suivis au-delà de l'accompagnement dans la structure "je trouve toujours le moyen de garder un contact, même de loin". Pourtant, les deux jeunes femmes savent qu'elles ne peuvent pas venir en aide à toutes les femmes. 

Certains parcours leur restent en tête. Comme celui de cette femme arrivée enceinte après un viol. "Elle était dans le rejet total de ce petit, on a pu la prendre en charge pendant deux ans" se souvient Chelssy. Aujourd'hui épanouit dans son rôle de mère, elle a obtenu un logement, poursuit ses études et son petit garçon est confié à la crèche la journée. 

La double peine pour les femmes sans papiers 

Puis il y a ces femmes, pour qui l'asile est refusé en France "elles ont pourtant parfois tout ce qu'il faut, une promesse d'embauche, le temps nécessaire sur le territoire, mais elles ne viennent pas d'un pays classé 'à risque' et donc impossible d'être régularisées" détaille Soraya. Pour elles, c'est alors la détresse la plus totale "si elles sont là ça n’est pas par plaisir, elles ne peuvent pas rentrer dans leur pays et ici se retrouvent sans aucune humanité, dans une profonde détresse psychologique". 

Le rapport du Sénat, porté par Agnès Evren, Marie-Laure Phinera-Horth, Olivia Richard et Laurence Rossignol, demande "un effort particulier en faveur des femmes étrangères sans domicile, qui pour beaucoup travaillent et ont des enfants nés ou scolarisés en France, dans le cadre de la circulaire Valls, qui permet aux préfets de procéder à des régularisations au cas par cas".

Depuis l'hiver 2023, un collectif d'enseignants et parents d'élèves alerte sur la situation d'au moins une dizaine de familles, souvent sans papiers, qui dorment à la rue avec leurs enfants. Le collectif dénonce "l'inaction des services de l'Etat". Certains enfants de moins de trois ans n'ont pas de toit, en totale contradiction avec la loi. 

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