Déserts médicaux : téléconsultations, la fin d'une solution miracle ?

Depuis la pandémie de Covid-19, les téléconsultations se sont développées très rapidement pour devenir une solution de remplacement dans les déserts médicaux, comme le Centre-Val de Loire. Pourtant, la pratique occasionne des dérives, et ne résout pas tous les problèmes.

Depuis 2018 et la mise en place du remboursement des actes médicaux par téléconsultation, la pratique a explosé. Mais si les consultations en visio se sont révélées fort utiles en pleine pandémie de covid-19 ou dans des zones où le manque de médecins se fait ressentir, elles interrogent parfois.

"Sur l’année dernière, 110 000 arrêts de travail ont été faits par téléconsultation. C’était deux fois plus que l’année précédente et ce sera deux fois plus cette année, relevait le 27 septembre le ministre de la Santé, François Braun sur franceinfo. "Sur ces 110 000 arrêts de travail, dans 8 cas sur 10, ce sont des patients qui ont un médecin traitant et qui se sont fait faire un arrêt de travail par un autre médecin."

Le Gouvernement a donc souhaité prendre des mesures dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2023, adopté à l’aide du 49-3. À partir de juin 2023, les arrêts de travail devront – sauf exception – être délivrés uniquement par le médecin traitant ou par un médecin ayant ausculté le patient dans les 12 derniers mois. Un "magistral coup de pied donné à tout ce qui est cabines de téléconsultation ou structures commerciales, plates-formes de téléconsultation", selon Jérôme Marty, médecin généraliste et président de l'Union Française pour une Médecine Libre (UFML).

Une réponse à la pénurie de médecins

"Dès qu'il y a quelque chose qui fonctionne en France, on le remet en cause", s'agace Michel Masson, le maire de Beaune-la-Rolande, une commune de 2000 habitants située entre Pithiviers et Montargis, dans le Loiret.

Il y a un petit peu plus d’un an, l'édile a mis en place une borne de téléconsultation dans sa mairie, faute de pouvoir attirer des médecins dans sa commune. L’édile en est très satisfait : "Nous avons fait plus de 1 300 consultations. En tant que maire de zone rural, c’est un outil indispensable."

"Si la pratique est répandue dans la région, c’est parce qu’on manque de médecins", confirme Christophe Tafani, le président du Conseil de l’ordre des médecins du Loiret. Le Centre-Val de Loire est la moins dense de France avec 350 médecins pour 100 000 habitants.

Pourtant, concernant les arrêts de travail, l’argument du "désert médical" n’en n’est pas un, selon François Braun. Parmi les 110 000 arrêts de travail délivrés en 2021, "il n’y a pas plus de téléconsultation dans les zones que l’on appelle 'désert médical'", avance le ministre.

"Les télécabines, pour moi, ce sont des photomatons !"

En 2021, environ 300 000 téléconsultations ont été pratiquées en Centre-Val de Loire, selon les données de l’Agence Régionale de Santé (ARS). Si ce chiffre regroupe tout type de consultations, y compris des spécialistes, pas moins de 77 % concernent la médecine générale. Des statistiques à remettre en perspective avec la période 2021, en pleine pandémie de Covid-19. Actuellement, toujours selon l’ARS Centre-Val de Loire, il y a 16 000 téléconsultations par mois dans la région.

Une pratique mise en œuvre dès 2018 dans le Loiret et portée par l’ancien député Jean-Pierre Door. "C’est une solution de dépannage pour éviter l’afflux aux urgences", déclare l’ex-député loirétain. Une dizaine de cabinets de téléconsultation ont vu le jour depuis, dans le département.

Sur place, une infirmière est présente et assiste un médecin qui, quant à lui, consulte à distance par visioconférence. "Il faut qu’il y ait impérativement un personnel médical sur place", déclare l'ancien député. "Les télécabines, pour moi, ce sont des photomatons !"

Accompagner les patients

À Beaune-la-Rolande, la phase de test avait été effectuée avec des infirmières libérales, mais celles-ci ont laissé leur place à une hôtesse assistant les patients sur le côté technique. "Il n’y a pas de personnel de santé, car les infirmières nous ont dit que ça ne servait à rien", jure Michel Masson, le maire de Beaune-la-Rolande.

Si elle n’a pas le pouvoir d’autoriser ou non les projets de télémédecine, l’ARS Centre-Val de Loire ne les finance pas en cas d'absence de personnel de santé. "On demande aux élus de travailler avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui coordonnent les parcours de soins et les prises en charge au niveau local", explique Brice Margraitte, référent numérique "E-Santé" de l’ARS Centre-Val de Loire.

À Amilly, où la pénurie de médecin se fait ressentir, d’autres solutions de téléconsultations sont en place comme une télécabine dans la pharmacie d’Amilly Antibes. Depuis octobre, une cabine fermée est disponible pour consulter un médecin généraliste.

"On accompagne le patient pendant la consultation si besoin", indique la pharmacienne Béatrice Bonnici. "On conseille surtout le patient en amont ou en aval pour déterminer si ce qu’il a relève d’une téléconsultation, d’un rendez-vous en présentiel ou directement des urgences." D'autres cabines de téléconsultation existent dans des supermarchés, là où il n'y a aucun accompagnement de professionnel de santé sur place.

Encadrer pour limiter les dérives

Les téléconsultations qui posent problème sont majoritairement à domicile, où justement aucun personnel médical n’est présent sur place afin de dialoguer avec le patient où réaliser certains gestes. "Il n’y a pas de contrôle sur les plateformes de téléconsultation", dénonce Christophe Tafani.

Dans le Loiret, un médecin qui avait été radié continuait d’exercer en téléconsultation et les patients ne pouvaient pas se faire rembourser.

Christophe Tafani, président du Conseil de l'ordre des médecins du Loiret

S’il ne conteste pas l’utilité de la pratique, le président de l’ordre des médecins du Loiret souhaiterait une plus grande attention portée aux entreprises qui font commerce de la télémédecine.

"On peut se retrouver avec un médecin à l’autre bout du monde sans le savoir. On a eu un ophtalmologue qui télé-consultait sans avoir jamais mis les pieds en France", alerte-t-il.

Avec le développement de la pratique, celle-ci est de plus en plus encadrée par la loi, mais aussi par les organisations de santé. La Caisse primaire d'Assurance Maladie est en charge de contrôler la pratique ainsi que les actes qu'elle rembourse, y compris les arrêts de travail. Elle a mis en place une charte de bonnes pratiques de la téléconsultation.

Depuis 2020, l’ordre national des médecins a mis à jour plusieurs fois son cadre déontologique sur la télémédecine en s’appuyant sur la législation française ou européenne.

Dans son rapport mis à jour en février 2022, l’ordre dénonce une "organisation illégale" des plateformes qui "mettent en place des téléconsultations en dehors de tout ancrage territorial et en font une promotion de nature commerciale et d’ampleur nationale". Le rapport averti les médecins se livrant à ces pratiques sur la méconnaissance de leurs obligations déontologiques.

En moyenne 3 % de l'activité des médecins

En Centre-Val de Loire, sur les 16 000 consultations à distances mensuelles, 12 000 sont effectuées par des médecins de la région, le reste par des médecins implantés ailleurs qu’en Centre-Val de Loire, comme le précisent les chiffres de l’ARS. L’Agence assure par ailleurs que les téléconsultations ne concernent que 3 % des actes médicaux livrés par les médecins généralistes.

"Pour pratiquer une bonne médecine, il faut qu'il y ait un contact humain, tout ne peut pas se faire à distance. Sinon, ça devient de la médecine au rabais", pointe le président de l'ordre des médecins du Loiret, Christophe Tafani. Le seuil maximal fixé de consultation à distance par an est fixé à 20 % pour les médecins, comme le précise l'Assurance maladie.

Si on développe encore les téléconsultations dans un système déjà fragile, cela risque d'être dramatique. Notre priorité, c'est d'attirer des médecins en Centre-Val de Loire.

Brice Margraitte, référent numérique "E-Santé" de l’ARS Centre-Val de Loire

"Une fois, j’ai reçu une ordonnance où était prescrite une échographie du thorax par un médecin en téléconsultation, continue Christophe Tafani. "Sauf que ça n’existe pas !" Si l’ARS admet que la téléconsultation peut "aboutir au pire comme au meilleur", elle souligne que les prescriptions sont en premier lieu de la responsabilité des médecins eux-mêmes et que les erreurs arrivent même en allant directement voir un médecin.

"Ce n’est qu’un outil, tout dépend ce qu’on en fait"

Brice Margraitte de l’ARS tient à rappeler : "C’est initialement un outil de complément pour le médecin traitant qui connaît son patient. C’est aussi quelque chose qui s’est rapidement développé pour répondre à un besoin urgent, mais notre objectif, c'est d’attirer des médecins."

Loin d’être une solution miracle à la pénurie de médecins, la téléconsultation semble être un moindre mal. "Je préférerais avoir des médecins sur ma commune", affirme le maire de Beaune-la-Rolande, Michel Masson.

En attendant la création du CHRU d’Orléans permettant de former plus de médecins sur le territoire, la téléconsultation fait partie de la solution. "Ce n’est pas la réponse à tout, ce n’est qu’un outil : tout dépend ce qu’on en fait. Nous souhaitons plutôt développer la téléexpertise. Les premiers résultats seront visibles à partir de fin 2023", révèle Brice Margraitte qui pilote le projet. Une solution qui consiste à mettre en lien numériquement tous les professionnels de santé pour avoir une expertise plus rapide.

"Plutôt que de devoir se battre pour aller voir un spécialiste, on veut créer un annuaire où on verrait les spécialistes disponibles afin qu’ils donnent leur avis plus rapidement", présente-t-il. Une meilleure collaboration entre les professionnels pour gagner du temps, notamment dans les territoires sous-dôtés comme le Centre-Val de Loire. Une autre utilisation de l’outil numérique, loin d’un "distributeur automatique" à arrêt de travail.

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