La France a commémoré cette semaine les 80 ans du débarquement de Normandie, le 6 juin 1944… L’opération a lancé la Libération du pays, après quatre ans d’occupation. À cette occasion, on revient sur les principaux épisodes de la Seconde Guerre Mondiale en Centre-Val de Loire.
Dans l’imaginaire collectif, l’année 1940 est synonyme d’exode. Cette année-là, des milliers de Français rassemblent dans des valises quelques vêtements et leurs objets les plus précieux. Ils se mettent en route pour fuir les combats et l’occupant.
Après sa défaite, la France signe l’armistice avec l’Allemagne le 22 juin 1940 à Rethondes (Oise). Le Maréchal Philippe Pétain obtient les pleins pouvoirs le 10 juillet, suite à un vote de l’Assemblée nationale. Le 24 octobre, il rencontre Adolf Hitler à Montoire-sur-le-Loir, dans le Loir-et-Cher. Dans un discours radiodiffusé, Philippe Pétain annonce que la France collaborera avec les Nazis. Dans la région, les Allemands s’installent. À Tours, les drapeaux à la croix gammée flottent un peu partout dans la ville. Le Palais de Justice devient le siège de la Feldkommandantur.
"C'est librement que je me suis rendu à l'invitation du Führer. [...] J'entre, aujourd'hui, dans la voie de la collaboration."
— INA.fr (@Inafr_officiel) October 30, 2020
Il y a 80 ans, le maréchal Pétain interpellait les Français et prononçait son célèbre discours appelant à la collaboration ⏯️ https://t.co/zRUBrhGsVe pic.twitter.com/IPnOOk4wiL
La région coupée en deux par la ligne de démarcation
Suivant les termes de l’armistice, la France est séparée par une ligne de démarcation. Longue de 1 200 kilomètres, elle suit le cours du Cher et traverse l’Indre-et-Loire, l’Indre et le départerment du Cher.
Avec cette frontière, des villes sont coupées en deux. Les laissez-passer, indispensables pour circuler, sont très difficiles à obtenir. À Vierzon, des passeurs se mettent à aider les clandestins pour traverser le Cher. "On a commencé avec des moyens assez sommaires à leur donner des astuces pour essayer de passer", racontait en 2018 Solange Voisin. "Et nous en sommes arrivés très rapidement à trouver un moyen beaucoup plus efficace, c’est-à-dire fabriquer de fausses cartes d’identités aux noms de gens qui avaient des laissez-passer allemands".
Rationner les vivres
Les années 1940 sont des années de pénurie. Il manque de tout : essence, nourriture, vêtements... Le régime de Vichy incite les Français à faire des économies. Le rationnement est en vigueur. "Au sein de chaque famille, on avait des carnets avec des tickets souches que l’on pouvait détacher", explique Xavier Truffaut, responsable du Musée de la Résistance et de la Déportation du Cher, situé à Bourges. "Il y avait les rations journalières, selon chaque membre de la famille, selon son âge, son activité professionnelle, donc selon ses besoins caloriques qui sont demandées par jour".
Les ersatz se développent. On remplace le café par de l’orge, les pommes de terre par les topinambours. On fabrique les chaussures avec des semelles en bois, à la place du caoutchouc. Et les femmes se teignent les jambes pour faire croire qu’elles portent des bas de soies.
Les juifs internés dans le Loiret
Les années 40 sont aussi les années où Vichy légifère sur le statut des Juifs. Ils sont victimes de rafles puis envoyés dans des camps. Les premiers internés arrivent en mai 1941 dans le Loiret, à Beaune-la-Rolande et à Pithiviers, après la rafle du billet vert à Paris. "6 500 convocations, des documents verts qui émanent de la Préfecture de police, ont été envoyées à des hommes juifs étrangers pour examen de leur situation. Le rendez-vous était à 12h00. C'est un piège et les hommes vont être rassemblés, envoyés à la gare d'Austerlitz. Ils vont rejoindre les premiers camps", raconte Annaig Lefeuvre, responsable du CERCIL, Musée-Mémorial des enfants du Vel d'Hiv, situé à Orléans.
2 000 hommes sont enfermés dans des baraques de fortune. Certains peuvent travailler à l’extérieur. D’autres reçoivent la visite de leurs familles. Ils y restent jusqu’à leur déportation en juillet 1942. Ils sont transférés à Drancy puis envoyés dans les camps de la mort, au moment du déclenchement de la Solution finale.
Les camps loirétains se vident pour faire de la place à d’autres prisonniers, essentiellement des femmes et des enfants, arrêtés lors de la rafle du Vel d’Hiv à Paris, les 16 et 17 juillet 1942. Vichy demande à l'Allemagne s’ils peuvent déporter les plus jeunes. En attendant d’avoir la réponse, il sépare les enfants de leurs parents. "Situation qui ne se produit nulle part ailleurs dans des camps, des enfants qui ont 7 ans, 5 ans, 4 ans restent livrés à eux-mêmes", rappelle Annaig Lefeuvre.
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Il n’y a pas de photo de cette période dans les camps. Les historiens s'appuient avec des témoignages, comme ceux des assistantes sociales qui y travaillaient. "Annette Monod-Leiris faisait régulièrement les navettes à Paris et certains enfants disaient : "Allez écrire à ma concierge, j'habite au 16 bis à Paris". Ils étaient si jeunes que certains ne savaient même pas dire restituer leur adresse. D'autres étaient si jeunes qu'ils ne connaissaient pas leur nom de famille". Sur les 4 700 mineurs internés dans le Loiret, 4 400 seront déportés et tués.
Une quarantaine de lieux d'internements
Le Loiret accueillait un autre camp d’internement. À Jargeau, il était réservé aux Tziganes. Plus de 1 700 personnes y sont restées. Le régime de Vichy considérait qu’elles étaient une menace à l’ordre public. Dans le camp, la vie est particulièrement difficile. Fernande Massé, ancienne internée du camp de Jargeau, rencontrée en 1995, se souvient avec émotion de la faim qui la tenaillait. "Aller chercher la queue des choux dedans avec un petit bout de bois, on enlevait ce qui était au milieu des choux comme ça pour les manger".
Dans le Centre-Val de Loire, il y a eu une quarantaine de lieux d’internements. Juifs, étrangers, communistes, résistants, prostituées, tziganes… Le régime de Vichy les considérait comme étant des indésirables. Ils ont été faits prisonniers dans des camps gérés par des gendarmes ou des policiers français. Au départ, "les internés avaient l'impression d'être en sécurité, comme c'étaient les Français. Même si c'était le régime de Vichy, ça restait l'État français, le pays des droits de l'homme. Ça a donné ce faux sentiment de protection", explique Sébastien Chevereau, archiviste aux Archives départementales d’Indre-et-Loire.
Dans les pas du Général de Gaulle
Face à des conditions de vie difficiles et à un sort incertain, les prisonniers tentent de s’échapper. À Voves (Eure-et-Loir), le camp connait une vingtaine d’évasions en quatre ans. La plus spectaculaire est celle du 5 mai 1944. 42 hommes s’enfuient par un tunnel souterrain, après l’avoir creusé pendant 75 jours. André Thibaut était l’un d’entre eux. "Le plus pénible était le manque d'air qui faisait que des camarades ; qui étaient en train de piocher, tombaient en syncope par manque d'air", racontait le résistant, en 1994. Les hommes désormais libres rejoignent pour la plupart la Résistance. Certains avaient à peine 20 ans. Mais ils n’ont pas hésité à combattre l’ennemi et à rejoindre Charles de Gaulle. En juin 1940, le Général s’exprime par deux fois depuis les studios de la BBC à Londres.
L’APPEL À LA RÉSISTANCE. "J'invite tous les Français qui veulent rester libres à m'écouter et à me suivre." Le #18Juin1940, dans les studios de la BBC, le général de Gaulle lance un appel à la résistance, qui ne sera enregistré que quatre jours plus tard. #18Juin #DeGaulle pic.twitter.com/Jva2EksvTZ
— INA.fr (@Inafr_officiel) June 18, 2020
Cette résistance que le Général appelle de ses vœux prend d’abord la forme de la désobéissance civile. "C'est tout simplement faire des graffitis sur les murs, c'est de lacérer une affiche allemande. C'est s'amuser avec quelques camarades d'inverser le sens des panneaux indicateurs allemands", énumère Xavier Truffaut.
Les mois passent, et pour gagner en efficacité, des filières émergent. Pour les unifier, le Conseil National de la Résistance est créé en 1943 sous l’égide de Jean Moulin, l’ancien préfet de Chartres. Sur le terrain, la tâche est plus difficile. "Très peu de réseaux se connaissent les uns les autres, chacun travaille dans son coin", reconnait Sébastien Chevereau. "Il va falloir que ce soit très progressif pour qu'ils arrivent à se connaître les uns les autres pour s'échanger des informations. Donc au niveau local, il n'y a pas encore d'unité".
L’émergence des maquis
En 1943, Vichy crée le Service du Travail Obligatoire, le STO. Il oblige les hommes à partir travailler en Allemagne. Bon nombre de Français refusent de quitter la France. Ces réfractaires entrent dans la clandestinité, en se cachant dans les maquis. L’un des plus connus de la région se trouve dans le Loiret à Lorris. Entre 500 et 600 hommes y sont rassemblés sous les ordres du colonel Marc O'Neil. "Les activités des maquisards étaient essentiellement orientées sur du renseignement, du sabotage des voies ferrées pour retarder les convois, ou de couper les lignes électriques pour retarder les transmissions. Une autre activité très importante était d'aller sur les lieux de parachutage pour récupérer tous les conteneurs qui étaient à leur disposition", développe Denis Godeau, président de l’Association des Familles et Amis des Anciens du Maquis de Lorris.
Les résistants ont beau travailler dans l’ombre… Des traitres se cachent parfois au sein des groupes. En juin 1944, alors qu’ils étaient en route vers la Corrèze, plus de 40 étudiants sont capturés par les Nazis à la ferme du By en Sologne. Ils sont exécutés à la Ferté Saint-Aubin.
« Un cas assez unique de la Shoah, sur le territoire français »
Comme la Résistance, les civils aussi ont été les cibles des Allemands. L’un des épisodes les plus célèbres dans la région s’est déroulé à Maillé (Indre-et-Loire). Le 25 août 1944, l’armée nazie entre dans le village et tue 124 personnes dont 44 enfants. La quasi-totalité des maisons est incendiée. "Nous on était descendu à la cave. Vers 11 heures, un groupe d'Allemands est venu. Il nous a fait sortir. Et nous avons traversé tout le village. Les deux Allemands qui nous encadraient se sont écartés et ils nous ont tirés au fusil mitrailleur. À ce moment-là, je suis resté le seul vivant. Mon frère est tombé sur moi, c'est lui qui m'a sauvé", racontait en 1994 Yvon Millory, rescapé du massacre.
Dans la région, les Nazis multiplient les exactions pour mener une véritable politique de la terreur. Dans le Cher, entre juillet et août 1944, 36 juifs sont arrêtés par les SS et la Milice française. Ils sont jetés dans les puits de Guerry à Savigny-en-Septaine, puis écrasés par de gros blocs de pierre. "Les voies de communication ne permettaient plus le transport ces juifs vers Drancy et ensuite Auschwitz, à ce moment-là", analyse Xavier Truffaut. "La décision a été prise par les chefs de la SS et notamment le chef du SD d'Orléans, Fritz Merdsche, d'exécuter sur place les juifs arrêtés à Saint-Amand-Montrond. On est dans un cas assez unique de la Shoah, sur le territoire français".
Les villes libérées trois mois après le débarquement de Normandie
Le massacre est perpétré alors que les alliés sont passés à l’offensive, à l’occasion du Débarquement de Normandie. Le 6 juin, plus de 150 000 soldats arrivent sur les côtes françaises. Après plusieurs semaines de combats, les alliés progressent sur le terrain. Le premier char américain arrive à Chartres le 16 août. Dans le même temps, la 3e armée du Général Paton entre dans Orléans par le Faubourg Bannier.
Les maquisards de Lorris arrivent plus tard. Ils doivent d’abord se remettre d’une attaque allemande, le 14 août, au Carrefour d’Orléans où une soixantaine de personnes périssent. "C'est un lieu où il y avait beaucoup de vie ici avec les maisons forestières, les baraquements des forestiers, des ouvriers, des pépinières", précise Denis Godeau, président de l’A.F.A.A.M. "Donc les Allemands pensaient que les maquisards se cachaient ici. Malheureusement pour ceux qui s'y trouvaient, ils vont faire les frais de cette attaque allemande. Mais le maquis n'est pas ici. Il se trouve au camp du Ravoir, à 5 km d'ici".
Les Américains ne voulant pas traverser la Loire pour atteindre rapidement Paris, la Résistance joue un rôle clé pour libérer le sud de la région. Les Forces Françaises de l’Intérieur harcèlent l’occupant, en menant une guerre de guérilla. "À partir du 12 août, l'ordre avait été donné par Londres avec le message codé "En avant la cavalerie". Nous avons donc attaqué pendant la 2e partie du mois d'août. Toutes les nuits, il y a eu des embuscades", évoquait en 2000, Guy Olaya, ancien combattant FFI Cher-Nord.
#CeJourLa 18 septembre 1944, 1 mois après la libération de la ville, le Général de Gaulle harangue la foule depuis la Chambre de commerce, place du Martroi à #orleans. Une foule impressionnante l'écoute au milieu des ruines. #SecondeGuerreMondiale
— Archives d'Orléans (@ArchivesOrleans) September 18, 2019
(AMO, photos anonymes) pic.twitter.com/Jeq338CInP
Entre le 20 août et le 6 septembre, les principales villes sont libérées. Le 18 septembre, le Général de Gaulle est acclamé par la foule. Mais tout est à reconstruire. Et les combats continuent. L’Allemagne n’a pas encore capitulé.
>>> Série réalisée avec Alain Heudes, Grégoire Grichois, Fantine Dantzer, Laurent Vaury, Noémie Trabi et Arnaud Réguigne.