Des aveux déterminants selon la juridiction interrégionale spécialisée, Jirs, de Marseille et trois procureurs italiens lors d'une conférence de presse organisée lundi 16 décembre. Marco Raduano, un chef de la mafia italienne des Pouilles arrêté en cavale à Aleria cette année, a avoué avoir assassiné Paul-Félix Paoli en août 2023 à Poggio-Mezzana. Les autorités saluent une coopération internationale exceptionnelle.
"Avec cette opération c'est la première fois que l'on fait le lien entre la criminalité organisée italienne, [plus précisément La Società Foggiana, la mafia des Pouilles, du sud de l'Italie ndlr.], sarde, et le mafio-nationalisme corse", se félicite Nicolas Bessone, procureur de la Jirs (Juridiction interrégionale spécialisée) de Marseille.
Trois procureurs italiens, Roberto Rossi, de la région de Bari dans les Pouilles, Rodolfo Sabelli, de Cagliari en Sardaigne et Michel Prestipino, adjoint du procureur national Antimafia et antiterrorisme, reçu par le Procureur de Marseille ont salué dans la cité phocéenne "une enquête emblématique de la coopération entre la France et l'Italie."
Tout a commencé le 1er février 2024. Marco Raduano, un chef mafieux originaire de Vieste, une cité balnéaire des Pouilles, est arrêté à Aleria. Il vient de dîner dans un restaurant en bord de mer avec une jeune femme.
Raduano est remis aux autorités italiennes et extradé. Il accepte alors de collaborer avec la justice italienne et dévoile les dessous de sa cavale. Il va aussi bouleverser une enquête française : le meurtre de Paul-Felix Paoli, un ancien nationaliste reconverti dans les affaires, abattu le 23 août 2023 sur le parking de son restaurant à Poggio-Mezzana.
Ses aveux sont vertigineux. Il avoue avoir tué Paul-Félix Paoli. "Il s'accuse de l'avoir tué. Nourri, blanchi dans une pépinière en Corse durant sa cavale, Raduano aurait accepté de commettre ce crime en signe de remerciements pour ses amis corses", explique Nicolas Bessone.
Évasion et folle cavale
14 personnes sont alors arrêtées en Italie. Quatre en Corse, dont trois sont mises en examen pour "meurtre en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de la réalisation d'un crime."
Un quatrième individu, Marco Furfaro, pépiniériste et ex-candidat nationaliste lors d'une élection municipale, est soupçonné d'avoir hébergé Raduano durant sa cavale.
Une folle cavale qui a démarré le 24 février 2023. La scène est filmée par les caméras de vidéosurveillance de la prison de Nuoro. On y voit le détenu descendre en rappel le mur d'enceinte avec une corde confectionnée avec des draps, et un crochet métallique construit au laboratoire de la prison.
Raduano a d'abord réussi à franchir une série de portes en se procurant une clé. Il est muni de téléphones portables. Une personne l'attend à l'extérieur.
Débute alors une longue fuite qui va durer 12 mois. Le fugitif commence par se réfugier dans une cave pendant trois jours. Puis rejoint la montagne, dans le nord de la Sardaigne, où il passe quelques semaines sous une tente, dans le froid, comme un ermite en pleine nature. Toujours aidé par des gens du coin. Argent et solide réseau sont les secrets d'une bonne cavale.
Le reportage de Marie-Françoise Stefani :
Le chef de clan des Pouilles rejoint la Corse, caché dans un camion embarqué dans un ferry. Seulement 14 kilomètres séparent Santa-Teresa di Gallura, au nord de la Sardaigne, à Bonifacio. Le détroit est très connu par les navigateurs pour la dangerosité de ses eaux, et la beauté de ses îlots granitiques.
"Quand on parle de la Corse et de la Sardaigne on parle de réalités très proches avec des confins perméables. La côte de la Ligure et la Corse sont voisines et on peut passer très facilement. Cela requiert donc une coopération importante", souligne Rodolfo Sabelli, procureur de Cagliari en Sardaigne.
De Corse, Marco Raduano, se rend en Espagne pour régler des comptes avec un trafiquant de drogue. Puis revient en Corse. Le mafieux italien ne manque de rien. Après le camping sauvage en Sardaigne, il aime aussi les bons restaurants, les plages corses et la charcuterie locale. Les enquêteurs italiens ont pu retracer le fil de sa cavale et ses différents soutiens à travers les écoutes téléphoniques.
En Italie, Raduano purgeait une peine de 24 ans de prison pour appartenance à une organisation mafieuse. Après son évasion, cet homme de 40 ans, présenté comme un chef mafieux puissant et "sans pitié" de la societa Foggiana, – du nom de la ville de Foggia dans les Pouilles- est recherché par toutes les polices d'Italie.
"La societa Foggiana, est appelée la quatrième mafia italienne, après Cosa Nostra, en Sicile, la N'Dranghetta en Calabre, et la Camorra de Naples. Il ne faut pas la sous-estimer, elle s'est enracinée dans le territoire, considérée aujourd'hui comme l'une des plus puissantes de la péninsule", précise le procureur de Bari, Roberto Rossi.
Repenti
Arrêté en Corse, le fugitif est remis aux autorités italiennes. Devant un juge d'instruction, à Bari, Raduano accepte de collaborer et de devenir repenti. Il doit livrer à la justice "des confessions", raconter sa vie de "boss" en échange de quoi il obtiendra une réduction de peine.
Il confie les divers crimes commis durant sa cavale et fait des révélations capitales dans le cadre d'une enquête menée en France. Il avoue être l'auteur du meurtre de Paul-Félix Paoli, en Corse, assassinat toujours non élucidé.
"Si Raduano était Français, il n'aurait pu bénéficier du statut de repenti à la française car ce programme exclut les crimes de sang", commente Nicolas Bessone, le procureur de Marseille.
"Les collaborateurs de justice sont des éléments essentiels de la lutte contre la criminalité organisée. Sans ces "repentis", on ne peut gagner la guerre contre ce fléau. C'est une erreur d'exclure les auteurs de crimes de sang, estimés comme des faits scandaleux du programme français", renchérit Roberto Rossi, le procureur de Bari Italie.
Le statut de repenti à la française fait actuellement l'objet d'un projet de réforme. Et le cas Marco Raduano, interroge sur les contours du texte encadrant aujourd'hui le programme de ces collaborateurs de justice encore peu nombreux en France.
Où Marco Raduano, mafieux italien qui a reconnu avoir commis un meurtre en Corse, sera-t-il jugé ? En France ou en Italie ? La question dépasse le cadre de cette affaire internationale.
En attendant, l'enquête continue. Marco Furfaro, le pépiniériste de Lucciana, soupçonné d'avoir hébergé Raduano est incarcéré à Borgo. La justice italienne a demandé son extradition. Le tribunal de Bastia a autorisé son transfert mais Marco Furfaro s'est pourvu en cassation.
Il nie tout lien avec la cavale. "Mon client n'a aucun intérêt à se rapprocher d'un personnage comme Marco Raduano, ajoute son avocat Me Marc-Antoine Luca. "Marco Furfaro est lui-même cousin germain d'un repenti de la N'Dranghetta, la mafia calabraise. S'il était incarcéré dans une prison, sa vie serait menacée."