Le ministre de l'Intérieur, en charge du dossier corse, revient demain sur l'île pour rendre hommage à Claude Erignac, au sortir d'une période tendue, et après deux déplacements annulés. Le prélude à une possible reprise des discussions, mais pour autant, des incertitudes demeurent.
Une grande partie de la classe politique insulaire est conviée, lundi, à la cérémonie en hommage à Claude Erignac, à Ajaccio. Et tout le monde attend avec impatience de découvrir la teneur du discours de Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur, à cette occasion.
Pas parce que c'est la première fois, depuis 5 ans, qu'un membre du gouvernement fait le déplacement en Corse pour saluer la mémoire du préfet assassiné le 6 février 1998 rue Colonel Colonna-d'Ornano. Mais parce que le premier flic de France est également le nouveau monsieur Corse d'Emmanuel Macron. Et que cette venue sur l'île marque peut-être le dégel d'une relation qui s'était singulièrement compliquée au cours des derniers mois.
Chaud et froid
2022 a été une année très agitée en Corse. La mort d'Yvan Colonna, assassiné à la maison centrale d'Arles par Franck Elong Abé en mars dernier, a plongé l'île dans une période émaillée de manifestations de plus en plus violentes. Gérald Darmanin, envoyé sur place pour tenter d'apaiser la situation, a enclenché un processus de discussions avec les élus insulaires riche de promesses. Il a également ouvert la porte à une possible évolution institutionnelle de l'île.
Mais les discussions ont vite tourné court, dans un climat de plus en plus tendu. La raison principale, la situation des prisonniers dits politiques sur le continent, au premier rang desquels Alain Ferrandi et Pierre Alessandri.
Les réunions prévues à Paris ont été mises entre parenthèses, et par deux fois, Gérald Darmanin a annulé sa venue en Corse, à l'automne dernier. De quoi douter de la survie du processus qui venait de voir le jour...
Dégel ?
Changement d'ambiance en ce début d'année. La semi-liberté accordée à Pierre Alessandri a été vue comme signe d'apaisement. Elle était un préalable (comme celle d'Alain Ferrandi, dont on connaîtra l'issue de la demande le 23 février prochain) imposé par de nombreux nationalistes à toute reprise des discussions.
Dans la foulée, comme pour confirmer la volonté de Paris de renouer le dialogue, Gérald Darmanin a donc confirmé qu'il se rendrait en Corse pour rendre hommage au préfet Erignac. Sa prise de parole donnera sans nul doute une idée de la tonalité des relations entre Paris et la Corse au cours des prochains mois.
Des mois capitaux, selon Gilles Simeoni, qui déclarait lors de la Cunsulta de Femu a Corsica, en janvier dernier, que 2023 sera l'année de la "concrétisation". Selon lui, la seule fenêtre de tir pour faire valider une évolution institutionnelle, ce sera lors du deuxième semestre 2024. "Après, ce serait trop tard". Et le temps presse. Selon lui, il faudra que toutes les discussions soient terminées à la fin de cette année.
Dubitatif
Gérald Darmanin, dans ses communications publiques, a jusque-là multiplié les gages de bonne volonté, affirmant que tous les sujets seraient sur la table.
Mais sa prestation, lors d'un colloque organisé par l'hebdomadaire Le Point jeudi 2 février, rappelle qu'il n'est pas pour autant un fervent partisan de l'idée d'autonomie.
A l'ordre du jour, les possibles réformes institutionnelles réclamées dans les territoires d'Outre-mer. Et à ce sujet, le ministre de l'Intérieur s'est montré dubitatif.
Selon lui, certes, la France s'appuie sur "un système vieux", mais pour autant les conditions sont loin d'être réunies pour une évolution institutionnelle. "Il faut savoir dire : vous n'aurez d'autonomie demain que si vous êtes capable de produire ce que vous mangez, ce que vous consommez comme électricité, et c'est par la richesse économique que vous aurez les recettes, pas par les subventions. (...) Car si la France s'en va de ces territoires, qui va venir si vous n'êtes pas capable de vous développer ?"
Les gens spontanément dans le rue ne vous parlent pas d'institution.
Gérald Darmanin
On se gardera bien de faire dire à Gérald Darmanin ce qu'il n'a pas dit. Le sujet du jour, c'était les territoires ultra-marins. Et, de surcroît, cette position n'est pas neuve. Elle est en droite ligne de la position affichée par la France depuis des décennies.
Mais au fil du débat, la Corse s'est invitée dans les propos du ministre : "ce sujet institutionnel est un sujet d'élus, et malheureusement je constate la même chose en Corse. C'est un sujet d'élus qui ne veulent pas toujours appliquer les compétences qu'on leur a données".
Et Gérald Darmanin de conclure : "les gens spontanément dans le rue ne vous parlent pas d'institution. Les gens, ils veulent le développement économique, un logement, plus de subventions, de sécurité, mais pas d'institution différente".
C'est confirmé : le monsieur Corse d'Emmanuel Macron veut bien parler d'évolution institutionnelle. Mais de là à accepter l'idée d'une autonomie, il y a loin...