Le procès consacré à l’assassinat d’Antoine Quilichini et Jean-Luc Codaccioni, le 5 décembre 2017, à l’aéroport de Bastia-Poretta, se poursuit devant les assises des Bouches-du-Rhône avec l’examen des faits dans leur aspect "associatif". Quatre témoins ont été entendus ce mardi 4 juin.
Le regard droit et les visages ne laissant transparaître aucune émotion, Chloé Castellana et Gaëlle Sker assistent, silencieusement, à cette nouvelle journée de procès devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence.
Respectivement ex-compagne de Christophe et compagne de Richard Guazzelli, elles n’avaient plus assisté à l’audience depuis le 24 mai. Avec leur retour, le nombre de prévenus présents devant la cour d’assises grimpe ainsi à six – contre les seize accusés dans cette affaire - : à côté des jeunes femmes, François Marchioni, Joseph Menconi et Dominique Sénéchal, qui comparaissent libres ; et dans le box des détenus, Jacques Mariani.
Deux témoins étaient prévues pour la matinée. Attendues pour s’exprimer à la barre, l’une et l’autre ont fait parvenir des mots justifiant de leur absence physique. La première évoque un souci de santé qui l’empêche de venir. Regrettant cette situation, le président, Jean-Yves Martorano, entame la lecture de ses auditions.
La réputation de "voyous" des frères Guazzelli
Meilleure amie de Chloé Castellana depuis l’enfance, elle raconte avoir très peu fréquenté le compagnon de l’époque de cette dernière, Christophe Guazzelli. "J’ai dû le croiser dix fois dans ma vie, et si on a échangé trente mots, c’est le maximum", détaille-t-elle.
Christophe Guazzelli, elle le connaissait surtout par sa réputation, à lui et à son frère. "Une réputation de voyous", explique-t-elle aux enquêteurs, colportée par le biais des "ragots de Bastia", qui racontaient que leur père était "un membre de la Brise de mer et s’était fait tuer".
"Ils disaient que ce ne sont pas de bonnes fréquentations"
Son père et son frère – qui connaissent aussi très bien Chloé Castellana – désapprouvaient néanmoins fortement la relation de cette dernière avec Christophe Guazzelli, admet-elle. "Ils disaient que ce ne sont pas de bonnes fréquentations", décrit-elle.
Tous deux pharmaciens, ils n’auraient jamais pu fabriquer ou fournir un quelconque poison qui aurait pu, selon les enquêteurs, servir à des futurs desseins de Christophe Guazzelli et Ange-Marie Michelosi. Parce qu’ils n’en auraient pas été matériellement capables, estime-t-elle, et parce qu’ils "auraient refusé de s’associer" avec eux.
Une maison habitée sans accord
C’est dans sa maison de Tollare, dans le Cap Corse, que Christophe Andreani et Ange-Marie Michelosi – deux des neuf accusés détenus dans cette affaire – ont été interpellés, en décembre 2017. Un logement "idéal pour se cacher en hiver", considérant qu’il n’y a "qu’un seul habitant à l’année", de la propre description de la jeune femme.
Mais ces derniers s’y trouvaient sans son accord et sans même sa connaissance, assure-t-elle aux enquêteurs. Résidant une partie de l’année sur le continent, elle louait régulièrement son appartement, mais n’avait rien acté à ce moment-là, indique-t-elle. Chloé Castellana disposait bien d’un double des clefs, mais face aux enquêteurs, elle déclare ne pas penser que son ami le leur aurait fourni pour qu’ils puissent s’y rendre.
Dans l’appartement, sont notamment retrouvés lors de la fouille un gilet pare-balles, dont elle décline la propriété, ainsi que plusieurs liasses de billets de banque d’une valeur de 40.000 euros, cachés dans une boîte à outils. La caisse lui appartient, mais pas l’argent, explique-t-elle, et elle ne sait pas qui a bien pu le laisser là.
Ménage et intervention policière
C’est toujours au sujet de cette maison de Tollare que le second témoin de la matinée est appelé à s’exprimer, cette fois en visioconférence. Femme de ménage, alors, pour le compte de Chloé Castellana, elle raconte avoir été contactée par cette dernière, un jour de décembre 2017, pour aller "remettre en état" ladite maison, en vue de l’arrivée prochaine de touristes.
"Quand je suis arrivée, j’ai vu qu’il y avait de gros dégâts, des meubles démontés, de la nourriture par terre, des choses abîmées..." Le ménage se tient ainsi quelques heures après l’intervention des forces de l’ordre sur les lieux. Mais ce détail, cette femme assure ne pas l’avoir connu ni avant ni après avoir travaillé sur place.
"Quand Chloé Castellana vous contacte, elle ne vous demande pas de précaution particulière avant d’y aller, elle ne vous demande pas, par exemple, de ne pas en parler ?", lui demande Me Caroline Kazanchi, conseil de la prévenue.
Non, assure la témoin, qui indique être également celle qui lui a appris que la porte était cassée et les dégâts conséquents. "Elle était surprise. Je ne pense pas qu’elle se doutait que j’allais mettre autant de temps à remettre la maison en état." Ni même qu’une perquisition venait de s’y tenir, semble suggérer l’avocate.
"Les assassinats, les rumeurs... Il y a des choses qui me passent au-dessus de la tête"
De retour de la pause méridienne, c’est désormais au cousin de Chloé Castellana de prendre la parole, en visioconférence depuis Borgo. C’est dans sa propriété du domaine de Biscovaggia, à Porto-Vecchio, que les frères Guazzelli ont été interpellés par les forces de l’ordre le 12 décembre 2017, soit une semaine après le double assassinat de l’aéroport.
Christophe Guazzelli - qu’il connaissait comme le compagnon de sa cousine -, raconte-t-il, est arrivé sans le prévenir le 6 décembre, en compagnie de son frère, lui indiquant chercher un endroit "pour se reposer quelques jours".
L’homme, qui assure avoir ignoré, à ce moment-là, le double assassinat, et ne pas avoir vu, plus tard, que les frères Guazzelli étaient notamment désignés dans la presse comme de possibles suspects, dit les avoir laissé rester dans sa villa sans souci.
Des déclarations sur lesquelles l’une des conseillères de la cour émet quelques doutes. "Vous ne connaissiez pas Richard Guazzelli, vous n’aviez croisé Christophe Guazzelli qu’une seule fois, et vous les voyez débarquer dans ces circonstances-là, alors que vous ne les aviez jamais hébergés avant, et vous ne vous posez aucune question ?", l’interroge-t-elle.
"Vous avez une vision un peu faussée de la réalité, se défend l’homme. Je l’avais vu un an avant, le courant était passé. Il n’était pas tombé du ciel. […] Les assassinats, les rumeurs… Il y a des choses qui me passent au-dessus de la tête."
Ils n’ont pas d’affaire, pas de moyens de locomotion que vous voyez, ils restent une semaine cloîtrés, le tout pour se mettre au calme, et ça ne vous alerte pas ?
La conseillère insiste : "Au lendemain d’un double assassinat, vous voyez débarquer deux individus dont les noms sont évoqués dans la presse, alors que vous n’êtes pas prévenu et que votre cousine n’est pas avec eux, ils n’ont pas d’affaire, pas de moyens de locomotion que vous voyez, ils restent une semaine cloîtrés, le tout pour se mettre au calme, et ça ne vous alerte pas ?"
Non, confirme l’homme, qui insiste ne pas avoir trouvé leur comportement comme suspect.
Le ministère public, représenté par Yvon Calvet et Christophe Raffin, poursuit dans la même lignée. "Le 12 décembre, quand la police débarque chez vous pour les interpeller et effectuer des perquisitions, comment avez-vous réagi ?", lui demande le premier. "J’ai été surpris", répond l’homme.
"Vous n’avez pas été en colère contre ces deux garçons qui vous mettent dans cette situation, et vous impliquent dans un double assassinat ?" "Si, acquiesce-t-il. Je ne comprenais pas, et je ne comprends toujours pas maintenant. […] Ça m’a beaucoup contrarié, parce que je me retrouve quand même dans une affaire dans laquelle je n’avais rien à faire."
"On a le sentiment que vous vous inquiétiez un peu"
Après cet homme vient le tour de son épouse. Celle-ci indique n'avoir appris la présence des deux frères au sein de leur propriété qu'au lendemain de leur arrivée. "Ça ne vous a pas inquiété qu'ils soient là ?", demande le président.
"Non, j'avais la tête ailleurs", suite à un décès familial, indique-t-elle. "Vous avez dit aux enquêteurs que vous n'aviez pas posé plus de questions que cela à votre compagnon, mais que vous aviez le sentiment qu'il y avait quelque chose de bizarre, que vous ne vouliez pas être mêlée à ça, poursuit Jean-Yves Martorano. On a le sentiment que vous vous inquiétiez un peu."
"Sur le moment, non, je ne vois pas à quoi j'aurais pu être mêlée. Je parlais d'après", répond la femme. "Vous ajoutez, face aux enquêteurs, que leur interpellation a presque été un soulagement sur le moment", continue président.
"Peut-être qu'au bout de quelques jours je me demandais s'ils allaient retourner dans leur famille, ce qu'il en est", glisse-t-elle, affirmant ne pas avoir été particulièrement soucieuse de leur présence sur le moment.
Le procès reprend demain, avec la poursuite de l'examen des faits.