TEMOIGNAGE. "Parfois, les douleurs sont si fortes que je ne peux même pas me lever", Jeanne, atteinte d'endométriose

Jeanne a 21 ans. Etudiante infirmière, elle souffre d'une maladie complexe et génératrice de douleurs parfois insoutenables : l'endométriose. Longtemps méconnue du grand public comme du corps médical, cette pathologie pourrait bientôt donner naissance à la création d'un congé menstruel dans le Code du travail.

Pour Jeanne, 21 ans, ce sont six journées d’intenses douleurs, qui reviennent inlassablement, tous les mois. "Mes règles durent sept jours. Ce sont toujours les quatre premiers les plus douloureux. Et avant cela, j’ai deux jours de douleurs prémenstruelles, qui sont aussi très handicapantes."

Six jours durant lesquels la jeune femme souffre de maux dans le bas du ventre et du dos, à l’intensité variable, pouvant aller d’un inconfort très important à l’impossibilité pour elle de quitter son lit. "J’ai la poitrine qui devient très sensible, le ventre très gonflé, c’est comme des coups très violents et répétés. Parfois, les douleurs sont si fortes que j’en vomis. Il m’est aussi arrivé d’avoir des sensations de malaise… Dans ces moments-là, la seule chose qu’on a envie de faire, c’est de rester couché avec une bouillote et ne plus bouger."

Une maladie chronique et fréquente

La responsable de ce supplice mensuel : l’endométriose. Maladie gynécologique inflammatoire et chronique, elle se caractérise par la présence en dehors de la cavité utérine de tissu semblable à celui de la muqueuse de l’utérus – c’est-à-dire l’endomètre - .

Si l’on ne connaît pas encore les causes de cette pathologie, on estime qu’elle touche près de 10 % des femmes en âge de procréer, engendrant pour certaines des douleurs d’anormalement intenses à invalidantes.

Si des anti-douleurs peuvent temporairement en atténuer les symptômes, voire dans les cas les plus extrêmes, le recours à la chirurgie, il n'existe aujourd'hui pas de traitements définitifs de l'endométriose. La maladie est aussi l’une des principales causes répertoriées d’infertilité.

De nombreuses contraintes au quotidien

Diagnostiquée depuis quatre ans, Jeanne raconte, au-delà des violents maux, d'autres problématiques pas moins embarrassantes, dès lors qu’arrivent ses règles. "J’ai un flux très abondant, qui fait que je suis obligée de renouveler mes protections hygiéniques toutes les deux heures, voire toutes les heures. Au-delà du fait que c'est très onéreux, même lorsque les douleurs sont moins importantes et que je peux sortir, je dois avoir un endroit pour me changer à proximité, et des pauses suffisamment fréquentes pour le faire."

Quand j’étais au lycée et que j’avais des grosses crises, j’étais obligée de louper les cours, parce que je passais ma journée au lit ou aux toilettes.

Des contraintes difficiles à concilier avec des études ou un travail. "Quand j’étais au lycée et que j’avais des grosses crises, j’étais obligée de louper les cours, parce que je passais ma journée au lit ou aux toilettes. Quand j’étais en capacité de me lever, même si j’avais toujours mal, je devais tout de même me changer toutes les heures, mais je n’avais pas la possibilité de sortir de classe facilement, ce qui fait que je me retrouvais dans des situations vraiment très compliquées, à ne pas me sentir bien dans mes vêtements. Plusieurs fois, je me suis retrouvée à devoir éponger mes sous-vêtements, faute d’avoir pu me changer à temps."

Un mal encore trop méconnu

D’autant plus que l’endométriose, pourtant classifiée par les instances médicales comme une affection de longue durée, reste encore relativement méconnue du grand public… Comme du corps médical. Désormais étudiante dans un centre de formation pour infirmiers, la jeune femme regrette ainsi un manque de considération de sa pathologie.

On nous rejette la cause des menstruations en cas d’absence, on nous dit que ce n’est pas justifié, et cela, même si on a de quoi prouver qu’on souffre d’endométriose, que nos menstruations sont très douloureuses.

"C’est un domaine où l’on est censé connaître parfaitement l’anatomie, et tous les problèmes liés aux règles notamment. Et pourtant, on nous rejette la cause des menstruations en cas d’absence, on nous dit que ce n’est pas justifié, et cela, même si on a de quoi prouver qu’on souffre d’endométriose, que nos menstruations sont très douloureuses. Non, on va nous dire de prendre un anti-douleur, de venir quand même et de se débrouiller, et que si on ne se présente pas, ce sera considéré comme une absence injustifiée."

Vers l'instauration d'un congé menstruel ?

Au Japon, le congé menstruel est officiellement en vigueur depuis 1947 : les entreprises ne peuvent forcer une employée à travailler si elle invoque cette raison. Il n’y a pas de limite au nombre de jours qui peuvent être pris dans ce cadre, mais ceux-ci ne sont généralement pas rémunérés. En Corée du Sud, les employées sont autorisées à prendre un jour de congé menstruel par mois, là encore non payé. En Europe, le 16 février dernier, les députés espagnols ont adopté un projet de loi visant à créer un congé menstruel. 

En France, il n’existe à ce jour aucune mention d’un congé menstruel dans le Code du travail. Mais son intégration fait désormais débat : il consisterait à prévoir un à trois jours par mois de repos payés, à l’instar d’un congé maladie, pour les femmes souffrant de dysménorrhée, ou règles douloureuses. Mais sans attendre la création d’une loi, une poignée d’entreprises ont déjà franchi le pas du "congé règles".

Récemment, le géant de la grande distribution Carrefour a annoncé vouloir les rejoindre, en proposant des congés spécifiques, sans période de carence [tous les jours sont donc rémunérés, à l’inverse d’un arrêt maladie habituel, pour lequel aucune indemnité n’est versée pendant les trois premiers jours d’arrêt travail, ndlr], pour ses salariées souffrant d’endométriose.

Celles-ci pourront ainsi prendre jusqu’à 12 jours par an. Mais uniquement sous réserve de pouvoir présenter un document les reconnaissant handicapées, une carte d'inclusion ou une attestation d'invalidité délivrée par la Caisse primaire d'assurance maladie.

L'appel à des accomodations

Une bonne initiative, selon Jeanne. "Évidemment, cela va dans le bon sens, et cela montre que les femmes avec des menstruations commencent enfin à être entendues. Mais 12 jours, soit un jour par mois, ce n’est pas assez. Mes règles durent quatre jours par mois, et deux jours de pré-menstruation. Donc une seule journée, ça ne suffit malheureusement pas."

La jeune femme appelle plutôt les entreprises et établissements scolaires à réfléchir dans ce cadre, en complément d’un congé menstruel, à des solutions d’accommodations pour les personnes atteintes de dysménorrhées.

Je pense que c’est comme pour n’importe quel autre handicap : il faut s’adapter.

"En fonction de la violence des crises, il est possible de travailler ou de suivre des cours, mais pas forcément en présentiel. Parfois, simplement permettre le travail à domicile, pour que les femmes soient plus confortables dans leur canapé avec une bouillotte, plutôt que sur une chaise de bureau avec de violentes douleurs pelviennes, ce serait déjà un bon moyen pour les aider. Je pense que c’est comme pour n’importe quel autre handicap : il faut s’adapter."

Quitte, souffle-t-elle, à risquer l’apparition de discriminations supplémentaires à l’encontre des femmes dans le milieu professionnel. "De la même façon qu’on pourra peut-être rechigner à embaucher des femmes parce qu’elles sont en âge de tomber enceintes, on pourra peut-être utiliser le même argument pour les congés menstruels."

D’où l’importance d’une vraie campagne de médiatisation et de mobilisation pour lutter contre ces potentielles difficultés supplémentaires. Encore un long chemin à parcourir, "mais quand on voit d’où on part, on ne peut être qu’optimiste". 

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