Le leader du PNC voulait marquer son territoire, et imposer à Gilles Simeoni une gouvernance partagée lors de la prochaine mandature. Le message n'est pas vraiment passé, et les urnes ont validé l'échappée du président de l'exécutif sortant.
Il est des lendemains d'élection plus difficiles que d'autres. Le 28 juin 2020, Jean-Christophe Angelini se réveillait maire de Porto-Vecchio. Une ville qui, depuis plus d'un siècle, était le pré carré de la droite. Pour le quadragénaire, c'est l'aboutissement d'un combat de plus de vingt ans. Mais c'est, plus largement, un nouveau coup de tonnerre nationaliste dans le pays politique insulaire. Cette fois-ci, sur son propre nom. Dans l'ombre de personne. De quoi se sentir pousser des ailes.
Un an plus tard, jour pour jour, changement d'ambiance. Ce lundi matin a un goût bien plus amer.
Un message peu audible
Les territoriales qui s'achèvent ont considérablement refroidi les espoirs de Jean-Christophe Angelini. Tête de liste pour la première fois dans ce scrutin, il avait réuni 13,22 % des suffrages au premier tour. Et comptait faire fructifier cet encourageant pactole. Raté. Au second tour, il réunit 15,07 % des suffrages, un chiffre bien inférieur aux attentes de son camp, à en croire les mines contrariées, parfois résignées, croisées dans les couloirs colorés de l'école Jospeh Pietri, bureau centralisateur de Porto-Vecchio.
C'est la stratégie solitaire de Gilles Simeoni qui a payé, au final, et pas celle du rassemblement, prônée par le conseiller exécutif sortant.
L'examen des voix ne laisse guère de doutes à ce sujet. Le vainqueur des territoriales (40,64 %) a convaincu 16.000 nouveaux électeurs de rejoindre sa démarche, contre à peine 3.000 bulletins pour Jean-Christophe Angelini. Qui avait pourtant ouvert sa liste à Corsica Libera entre les deux tours, alors que Gilles Simeoni ne s'était rapproché de personne.
Un score qui pose plusieurs questions :
1/ Union nationaliste, la fin du passeport pour le pouvoir ?
Jean-Christophe Angelini le reconnaît, "les reports n'ont pas fonctionné. Il y a des endroits où ça a pris, comme Porto-Vecchio et la micro-région, mais globalement, ça n'a pas fonctionné électoralement". La démarche et le discours de l'élu n'ont pas réussi à convaincre les abstentionnistes du premier tour, les électeurs et électrices qui avaient vu leurs candidats échouer au premier tour. Et puis d'autres encore...
2/ Où sont passées les voix de Corsica Libera ?
C'est un autre enseignement, pour le moins déroutant, de ce second tour. Le socle des militantes et des militants du parti indépendantiste, qui ont fait preuve, au fil des années et encore une fois durant la campagne du premier tour, d'une fidélité peu commune, n'ont pas adhéré à la fusion du second tour. Avec, pourtant, un ancien allié au sein de l'union Pè a Corsica... Au risque de voir Corsica Libera exclu de cette nouvelle assemblée de Corse.
Les mathématiques, ce n'est pas la politique. Mais quand même... 13 % plus 7 %, ça fait 20 %. Pas 15 %.
"Peut-être que la fusion de l'entre-deux-tours, précipitée, tardive, n'a pas été comprise. Je n'ai pas calculé, je suis resté fidèle aux serments de 2015 et 2017. j'en tire les conséquences mais je ne nourris aucun remord ni regret". Néanmoins, la déconvenue reste rude.
3/ La tentation Core in Fronte ?
Au final, c'est l'ampleur du désaveu, du côté des électeurs de CL qui peut surprendre. Le fait qu'elle se soit traduite dans les urnes, un peu moins. Depuis l'annonce du rapprochement entre les listes, dans les rangs de Corsica Libera, ça grondait. Par choix, ou par contrainte, l'avenir finira par le dire, Jean-Guy Talamoni ne faisait pas partie des quatre colistiers qui rejoignaient "Avanzemu !". Le chef, figure emblématique de la lutte indépendantiste et du mouvement plus de 30 ans, sortait de l'équation.
La pilule a été difficile à avaler pour beaucoup de militants, parfois de la première heure, qui n'ont pas hésité à le faire savoir sur les réseaux sociaux.
Paul-Félix Benedetti, leader de l'autre parti indépendantiste, a engrangé de son côté près de 6.000 voix supplémentaires. De toute évidence, si la greffe "Avanzemu pè a Corsica" n'a pas pris, on peut supposer que certains déçus de Corsica Libera ont voté quand même...
Majorité ou opposition
Pour Jean-Christophe, cette défaite est l'échec d'une stratégie. Depuis des mois, il prônait le maintien de l'union Pè a Corsica pour les territoriales. Mais dans le même temps, il préparait, de son côté, une liste, laissant comprendre sa volonté de partir seul au premier tour.
De prime abord, cela pourrait sembler paradoxal. Mais sa volonté était visiblement de se servir du premier tour comme de primaires nationalistes. Afin de contraindre Gilles Simeoni, dont l'omniprésence irritait ses alliés, à une meilleure répartition des pouvoirs lors de la future mandature. Gilles Simeoni, qui voulait en finir avec ce que Jean-Félix Acquaviva a nommé les "baronnies", avait un autre scénario sous le coude.
Au soir de la défaite, Jean-Christophe Angelini s'est félicité à plusieurs reprises du score engrangé dans sa ville de Porto-Vecchio. Mais l'Assemblée de Corse n'est pas pour autant du passé. Reste à savoir comment va se passer le troisième tour, où personne, à part Gilles Simeoni, qui n'a besoin de personne, n'est en position de force.
Si, malgré tout, une majorité nationaliste "plurielle" se dessinait, l'élu de l'extrême-sud pourrait en être, et peut-être obtenir une, ou des places à l'exécutif pour son groupe. Lui a déjà fait savoir que lui n'en voudrait pas. Le problème c'est que ce serait une majorité aux conditions imposées celui que certains, dans le camp adverse, ont déjà surnommé "le roi de Corse".
On risque d'être assez loin de la répartition des pouvoirs réclamée par Jean-Christophe Angelini durant la dernière mandature, de plus en plus ouvertement.
"Les nationalistes sont un tout. Et un tout, c'est indivisible", disait l'élu lors de l'annonce de sa candidature. Reste à le prouver jeudi, lors de l'installation de la nouvelle assemblée de Corse. Et ça ne paraît pas gagné.