11 novembre 1918 : les 7 innovations médicales qui ont changé notre vie

C'est le paradoxe de la Grande Guerre : des pires horreurs sont nées des évolutions médicales majeures. Les nouvelles armes, la guerre de position, le nombre de blessés ont obligé les soignants à revoir leurs méthodes. Entraînant quelques-unes des plus grandes découvertes scientifiques du siècle. 

Mon lien avec la guerre 14-18

Il s'appelait Henri. C'était le père de mon père.
Il "a fait Verdun", comme ils disaient. Et il en est revenu. Pas tout à fait comme avant.
Je n'ai jamais connu mon grand-père. Il est mort au milieu des années 60, avant ma naissance. Selon mon propre père, il n'évoquait jamais la guerre. 
A l'exception d'une anecdote qu'il se plaisait à raconter pour éviter de nommer l'innommable. 

"Au front, je disais toujours à mes camarades :

- La fin de la guerre, c'est pour le 11 Novembre !

- Comment tu sais ça, toi ? 
- Je le sais, c'est comme ça, vous verrez....
"

Sans plus d'explications. Il était né le 11 Novembre 1887. 
Hormis cette petite forfanterie, Henri n'a jamais évoqué sa guerre, ni devant son épouse, ni devant ses enfants. 

Paradoxalement, c'est son fils, Jean, qui en parlait à sa place. 

" Quand j'étais petit, nous étions parfois réveillés par des gémissements suivis de hurlements. C'était papa. Il faisait des cauchemars.

Il se revoyait dans les tranchées sous le feu et la fumée des obus de gaz moutarde.

Il suffoquait, il paniquait et hurlait. Ça se passait quinze ans, vingt ans après la fin de la guerre."

Aujourd'hui, on parlerait d'angoisses post-traumatiques. Mais hier, on continuait à vivre avec. 

En unique "souvenir", Henri a transmis à mon père, les "oeuvres" qu'il a patiemment créées lors des longs temps d'attente dans les tranchées. 

 
 Mon grand-père a été blessé par deux fois, pendant la guerre. Par deux fois il a été soigné dans des hôpitaux d'arrière front et envoyé en convalescence. Mais son mutisme était tel que personne dans la famille n'est aujourd'hui capable de dire où il a été blessé. Seul lui - et probablement sa femme - connaissait ses cicatrices. 

D'extraordinaires avancées médicales

En avons-nous assez conscience ? 

La médecine moderne, dont nous bénéficions, doit beaucoup aux atrocités de la Guerre 14-18. L'afflux massif de blessés, les types de blessures nouvelles, la guerre des tranchées, tout cela a bousculé les habitudes médicales. Les médecins, les scientifiques, et les personnels soignants n'ont eu de cesse d'améliorer leurs techniques pour venir en aide aux blessés. 

L'historien Nicolas Czubak reprend les propos d'un chirurgien de guerre : 

" En 1914, quand un soldat était blessé au genou, il était perdu. Il restait des heures sur le champ de bataille et l'inflammation remontait au niveau du bas-ventre et il finissait par mourir. 
En 1915, la multiplication du nombre de brancardiers permettait d'évacuer le blessé et de le sauver. Mais il fallait l'amputer.

En 1916, on parvient à sauver l'homme et sa jambe. mais elle restera bloquée et il marchera à l'aide d'une canne toute sa vie.

Enfin en 1918, on sauve l'homme et sa jambe, qui peut à nouveau fléchir."


Voici sept avancées majeures que l'on doit aux soignants des blessés de la Première Guerre Mondiale.

1. Un nouvel antiseptique : l'eau de Dakin 

Deux scientifiques sont à l'origine de cette invention  : 
  • Henry Drysdale Dakin, est un chimiste britannique. il donnera son nom au produit qu'on utilise toujours aujourd'hui. 
  • Alexis Carrel est un chirurgien vasculaire français, spécialiste des traitements des plaies de guerre. (ndr: L'homme suscitera plus tard la polémique. Dans son livre "L'homme cet inconnu", paru en 1935, il développera des thèses eugénistes, puis deviendra adhérent au Parti Populaire Français (PPF), le parti fasciste de Jacques Doriot.).  

C'est une des urgences de la chirurgie : nettoyer et désinfecter les plaies et les muqueuses afin de limiter la prolifération des bactéries, des champignons et des virus chez les soldats blessés. Elle limite les effets de la "gangrène gazeuse".
Ce nouvel antiseptique va contribuer à la guérison de nombreux blessés. Certains chirurgiens s'en servaient également pour nettoyer leurs instruments. Un usage qui n'est plus d'actualité car l'eau de Dakin ne stérilise pas suffisamment. 
Composée à partir de l'eau de Javel diluée et de permanganate de potassium, l'eau ou la liqueur de Dakin ne présente qu'une seule contrainte pour les chirurgiens pendant la guerre : elle doit être conservée à l'abri de la lumière. 

La mortalité des soldats est divisée par deux par la simple utilisation de l'eau de Dakin.


Plus largement, la prise en compte de mesures simples d'hygiène, comme ne pas boire l'eau des flaques s'impose. L'armée incite même les soldats à boire du vin, qui a le mérite de ne pas poser de risque de contamination ! Et, double utilité, l'alcool donne aussi du courage aux hommes, qui, désinhibés, hésitent moins à sortir des tranchés.

2. La vaccination contre la typhoïde  

En 1915, ce sont déjà 100 000 cas de fièvre typhoïde qui sont recensés dont 15 000 décès. Transmise par une bactérie présente dans l'eau ou des aliments contaminés, la fièvre fait des ravages parmi les soldats. 
L'efficacité d'un premier vaccin contre la typhoïde a déjà été démontrée par des anglais avant la fin du XIXème siècle. Et une loi française, datant de 1914, la rend obligatoire. Mais c'est bien la guerre qui va rendre plus efficace la campagne de vaccination. Avec l'apparition d'un carnet de vaccination pour tous les soldats d'abord. Et avec la rivalité entre deux laboratoires de prestige, l'un civil, l'institut Pasteur et l'autre militaire, le laboratoire du Val de Grâce, qui réussiront à développer un vaccin supportable avec une dose moins forte que le vaccin anglais.

3. La transfusion sanguine 

Avant la première guerre mondiale, la technique de la transfusion sanguine est déjà connue. Elle se pratique alors d'homme à homme. Technique évidemment impossible en tant de guerre, tant en nombre de blessés, qu'en terme de matériel. Le transport du sang était alors impossible. Le médecin belge Albert Hustin va trouver la solution. Il découvre la propriété anticoagulante du citrate de soude et permet ainsi au sang collecté d'être transporté au plus près des combats. Et comme le système de compatibilité entre donneurs et receveurs est connu depuis une dizaine d'années, les transfusions sont rendues possibles sur le front.

4. La radiologie et "les petites Curie"

Forte de ses deux prix Nobel sur ses découvertes sur les radiations et le radium, Marie Curie voit dès août 1914 l'intérêt des rayons X pour repérer les éclats d'obus dans les corps des blessés. Elle part donc sur le front avec des appareils de radiologie. Elle obtient des autorisations pour conduire elle-même ces appareils sur le front et également pour former des radiologues et manipulateurs. Pendant deux ans, elle va se déplacer pour installer des services radiologiques dans les hôpitaux d'arrière-front, mais aussi pour promouvoir son service de radiologie mobile. Elle financera d'ailleurs elle-même 18 voitures équipées qu'on nommera "les petites Curie". Après elle, sa fille Irène, formée également à la radiologie reprendra le flambeau. 
En 1918, ce sont 850 postes fixes et mobiles qui auront été mis à la disposition de l'Armée par Marie Curie. Et plus d'un million de blessés secourus


5. La médecine de reconstruction ou réparatrice

Orthopédie, chirurgie esthétique, chirurgie maxillo-faciale, ORL (otologie- rhinologie - laryngologie), chirurgie dentaire,  greffes et prothèses, et même le matériel médical, voici encore des domaines médicaux qui doivent leurs avancées spectaculaires à la Grande Guerre.
Réparer Les gueules cassées devient un des défis des chirurgiens. Les chirurgiens américains en ont même fait une devise : "the right to look human" : " le droit à une apparence humaine". Leur redonner une dignité. 

Les conditions de vie de guerre des tranchées en sont le déclencheur. Les hommes, tapis au fond des boyaux, relèvent leurs têtes pour distinguer l'ennemi. Le visage devient une cible.
 
Le premier "outil" pour les médecins devient le blessé lui-même. Des prélèvements d'os (greffe ostéopériostique), des prélèvements de peau et de cuir chevelu constituent les opérations le plus fréquentes pour reconstituer les visages des soldats. Des greffes sont ainsi effectuées. Les chirurgiens testent des méthodes (greffe cartilagineuse du Professeur Morestin, greffe italienne du chirurgien Tagliacozzi, greffe Dufourmentel...), font des essais, ajustent leurs techniques sur les malheureux soldats blessés et mettent ainsi au point des protocoles utilisés encore aujourd'hui. 

Ainsi, par exemple, c'est le 15 octobre 1914 que le premier cabinet dentaire de campagne s'installe à Clermont-en-Argonne.
Ou encore dès le début de la guerre s'ouvre le premier service d'ORL, dirigé par le professeur Emile-Jules Moure à l'hôpital temporaire numéro 25 de Talence.
Si les greffes ne sont pas possible, les médecins ont alors recours aux prothèses - parfois imaginées par des artistes - comme des lunettes avec de faux nez par exemple ou les prothèses optiques.  

 Le cinéma a donné quelques illustrations inoubliables de ces gueules cassées, comme dans "La chambre des officiers" de François Dupeyron ou "Au revoir là-haut" d'Albert Dupontel. La série télévisée américaine "Boardwalk Empire" met notamment en scène le personnage de Richard Harrow, que l'on voit dans la vidéo ci-dessous. 
 

6. La médecine d'urgence

De l'apparition des premières ambulances, en passant par le tri des blessés et la médecine d'avant et d'arrière-front, toutes les structures de la médecine d'urgence ont été "inventées" lors de la Première Guerre Mondiale. 

Selon Marcel Yonke, (Le Saillant Saint-Mihiel et la Région - Quatre ans de Guerre 1914-1918, Editions Sphères, 1997 p 169 à 223) il existe trois zones qui composent le service de santé : 

  1. La zone du front avec des postes de secours et d'évacuation destinés à faire le triage des blessés et leur conditionnement avant transport. Les médecins y étaient jeunes. 
  2. La zone des armées qui comprend l'hospitalisation des blessés et des malades graves ou légers. Située dans un rayon de 10 kilomètres du front, elle permet d'évacuer les blessés les plus graves. 
  3. Enfin la troisième zone était l'hospitalisation à l'arrière, sur le territoire. Là se trouvaient les médecins les plus confirmés, dont on ne voulait pas risquer la vie sur le front. 


Le défi c'est l'évacuation des blessés : l'idée n'est pas nouvelle, elle date de la fin du XIXème siècle, mais c'est cette guerre qui permet de la mettre en pratique. Les brancardiers, n'attendent plus la fin des combats, pour partir au secours des blessés, au risque de leur propre vie. 
Les ambulances ensuite qui assurent le transport des blessés d'un poste de secours à un hôpital vont permettre la continuité des soins. Et les unités de radiologies mobiles, les petites Curie dont on a parlé plus haut, permettent de répartir au mieux les blessés vers les hôpitaux dédiés.


Les soins se structurent : médecine d'urgence, de stabilisation et de tri en avant - instaurée notamment par Claudius Regaud -, chirurgie et chirurgie réparatrice avec les spécialistes à l'arrière. 
De nos jours, on parle plutôt de médecine de catastrophe, dont les techniques sont utilisées lors des catastrophes naturelles, mais également des attentats. 

7.  Les thérapies psychiatriques

On parle alors d'obusite. Ou en anglais de Shell shock. Il s'agit des troubles non visibles, mais bien réels, constatés par les médecins. Ils notent des tremblements incontrôlés, des corps courbés, des absences ou encore d'hallucinations. Les causes de ces troubles, des ensevelissements, des attaques aux bombes chimiques, des visions traumatiques.
On parle de mutilés du cerveau, de mélancolie profonde. 
90 établissements asilaires sur le territoire vont accueillir ces soldats, comme à Saint-Ylie dans le Jura ou Saint-Dizier en Haute-Marne. 
Les idées reçues persistent : on prend ces soldats traumatisés pour des lâches simulant des troubles pour éviter le front. Certains seront d'ailleurs exécutés.

Des études sont lancées pour tenter de comprendre ces formes de sidération. On invoque le "vent du boulet", théorie antérieure à la guerre 14-18, datant des guerre napoléoniennes : le soldat épargné tombe en état de stupeur, en voyant les dégâts causés par les projectiles passés tout près d'eux. Mais cette théorie est vite invalidée par le fait que des soldats se retrouvent dans des états de sidération alors qu'aucun boulet n'est passé à côté d'eux. Un seul point commun : une très grande frayeur a saisi les soldats avant l'apparition de leurs troubles. L'émotion est à l'origine du trouble, et, combinée à une "constitution émotive", elle amène au trouble neuropsychiatrique.
Les prises en charges des patients évoluent, les théories se diversifient. Le Service de santé militaire crée des centres de psychiatrie et de neuropsychiatrie.
Aujourd'hui, ces modes de prise en charge sont intégrés par l'armée. Les soldats, envoyés en mission, passent tous par Chypre pendant trois jours dans une sorte de sas de décompression, afin de limiter les risques de troubles post-traumatiques. 



Les chiffres éloquents montrent l'ampleur de cette hécatombe : il y a eu 2 800 000 Français blessés sur les 8 000 000 de mobilisés, 300 000 ont été mutilés, 200 000 invalides à plus de 10 %. Certains blessés l'ont été à plusieurs reprises car ils étaient obligés de retourner au front si le service de santé considérait que les blessures le permettaient. (Xavier Long). 

 

Sources
Les blessés de la face durant la Grande Guerre : les origines de la chirurgie maxillo-faciale par François Xavier LONG

Médecins et infirmières pendant la guerre 14-18 

L'évolution de la médecine durant la première Guerre Mondiale

Médecine et guerres mondiales 

Histoire de l'art dentaire - Histoire de la stomatologie - Histoire de la Chirurgie maxillo-faciale

Les psychiatres face aux troubles mentaux de guerre 

TPE médecine et conflits mondiaux
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