Depuis plusieurs jours, les arboriculteurs alsaciens sortent en pleine nuit pour essayer de protéger leurs arbres fruitiers. Les gelées nocturnes, après une floraison précoce, menacent leurs récoltes. Certains disent avoir d'ores et déjà perdu une partie de leur production.
Les nuits sont courtes pour de nombreux arboriculteurs alsaciens, mobilisés pour sauver leurs fruits. Rudy Hecky, installé à Steinseltz dans le Bas-Rhin, s'est levé à trois heures, ce mercredi 1er avril, pour rejoindre ses arbres, à Brumath. La veille, il était sur place dès une heure du matin. La semaine précédente, l'alarme qui se met en branle lorsque la température descend trop bas, l'a réveillé quatre jours d'affilée, du lundi 23 au jeudi 26 mars. "On a des stations météorologiques reliées à la chambre d'agriculture, dès qu'on atteint 1°C, je dis à mes gars de se préparer à partir", explique le producteur, sur le qui-vive avec dix de ses salariés pour intervenir sur ses deux sites de production.
Son obsession, protéger une partie de ses vergers en fleurs car le gel met en péril la récolte de ses abricots, prunes, mirabelles et poires. Et la méthode est fastidieuse : il place des bougies de paraffine dans des petits seaux de cinq ou huit litres sur ses parcelles, au pied des arbres. Entre 250 et 300 par hectare, et même 400 lorsque la température atteint les -5°C. Au total, il utilise près de 1.300 bougies pour remplir de lumière et de chaleur six de soixante hectares.
Un moyen de lutte onéreux mais efficace. "J'ai investi 100.000 euros il y a trois ans après avoir perdu 60 % de ma production. C'est lourd mais ça fonctionne bien, c'est amorti. On pense avoir évité les dégâts à ce jour", souffle-t-il en milieu de matinée, tout juste de retour de ses vergers.
Des pertes estimées à 30.000 euros
A 30 kilomètres de là, à Westhoffen, Daniel Dettling est bien plus inquiet. Son secteur a été particulièrement touché. Sur deux de ses quinze hectares, les fruits seraient détruits, d'autres seraient aussi abîmés : les abricots, les pêches et les pommes Boskoop n'auraient pas résisté aux gelées nocturnes. Une perte d'argent qu'il estime à 30.000 euros."On était dehors les deux dernières nuits et on a placé 250 bougies anti-gel sur nos vergers piétons, ceux où on peut cueillir à la main : quetsches, cerises, prunes. On essaye de se focaliser sur les parcelles les plus valorisantes. La semaine dernière, il a fait très très froid, jusqu'à -7°C avec du gel noir, ça ne sert à rien de faire quoi que ce soit. Il aurait fallu 400 bougies à l'hectare alors que j'en ai 600 en tout, ça m'a déjà coûté 7.000 euros. On n'a pas les moyens techniques pour faire plus ou pour lutter pendant des semaines et des semaines", s'inquiète-t-il, tout en disposant de nouvelles bougies au pied de ses arbres pour la nuit à venir. "Il ne me reste plus qu'une palette, il faut que ça s'arrête, sinon tout ce qu'on aura fait jusque-là sera vain".
La floraison précoce, un fléau de plus en plus fréquent
L'arboriculteur, qui en 2017 déjà n'avait pu effectuer qu'une demi-récolte, craint une saison particulièrement compliquée car avec la floraison précoce des fruits, le gel devient une menace pendant deux mois. "Ça peut geler jusqu'à la sainte Sophie, le 25 mai, on en a encore pour un moment. Le gel, c'est déjà arrivé, bien sûr, mais en général les problèmes ne commencent pas aussi tôt", peste-t-il.A Steinseltz, les arbres en fleurs avec plusieurs semaines d'avance effrayent aussi Rudy Hecky : "Mon père a démarré l'activité dans les années 1970. Sur dix ans, il y avait une gelée, voire deux alors que maintenant, c'est tous les deux, trois ans. C'est dû au réchauffement climatique. Il y a 30 ans, la floraison des pommes se faisait début mai, là, elles seront en fleurs la semaine prochaine. Le risque démarre mi-mars et s'étale jusque fin avril, on est mobilisés pendant six semaines et même encore au-delà à moindre mesure".
Comme les deux producteurs, leurs collègues dans toute l'Alsace subissent ces conditions difficiles. Marie-Laure Schnell, conseillère en arboriculture à la chambre d'agriculture d'Alsace, a eu des échos de producteurs d'arrache-pied sur leurs parcelles pendant des nuits entières, dans le Bas-Rhin comme dans le Haut-Rhin. Aux bougies, certains ont préféré l'éolien ou l'irrigation.
Mais Marie-Laure Schnell préfère rester mesurée pour le moment, le premier bilan précis des dégâts ne pourra être fait que fin avril selon elle. "On a souvent eu du gel sur les jeunes fruits, donc on arrivait à estimer les pertes immédiatement. Là, c'est sur les jeunes bourgeons qui commencent à s'ouvrir, donc on ne connaît pas encore exactement les dégâts, déclare-t-elle, en espérant que les arbres fruitiers arriveront en partie à se refaire. Ils ont subi un stress, c'est certain, mais on ne sait pas vraiment vers où on va".
Les vignerons surveillent eux-aussi la météo mais le stade d'avancée de la vigne ne leur fait pas encore redouter le gel. En 2019, à Mittelwihr, certains avaient allumé des ballots de paille lorsque la température est passée sous zéro degré (voir vidéo ci-dessous). Objectif : créer un écran de fumée pour réchauffer le sol et surtout protéger les bourgeons des rayons du soleil levant qui fait loupe sur les cristaux de glace formés par la gelée.