Carole est infirmière en réanimation au CHU de Strasbourg depuis 12 ans. Un exploit. Car le manque de personnel rend leur travail si difficile que beaucoup le quittent. Un appel à la grève est lancé pour ce 11 mai, alors que la crise sanitaire met leur travail en lumière. Eux veulent des moyens.
"Débloquer des lits, c'est une chose, le personnel, c'en est une autre." Au téléphone, la voix de Carole est posée, mais déterminée. Sans colère, mais avec conviction, elle parle de ce métier qu'elle exerce depuis 12 ans. Une vocation plutôt, qui s'est déclenchée pendant sa formation à l'école d'infirmières. "Nous avons tous un cycle de formation de base en réanimation, à l'école. Et un stage. Et j'ai vraiment aimé ça. J'aime toujours ça : être là pour les patients, dans l'urgence, pour les sauver. Etre parfois le dernier recours, il y a une technicité très spécifique, que j'apprécie maîtriser". A 34 ans, elle garde la foi. Malgré les heures supplémentaires, les congés qu'il a fallu annuler au plus fort de la crise, au printemps dernier.
A flux tendu depuis plus d'un an
"Dans notre service, au Nouvel hôpital civil de Strasbourg, nous tournons à trois équipes, matin, après-midi, nuit. Il faut que nous soyons sept par équipe et nous fonctionnons à flux tendu : dès qu'il y a des congés, des maladies, on doit compenser entre nous", explique-t-elle. Alors les vacations qui se rajoutent, au dernier moment, elle en a connues plein ces derniers mois. Sans se plaindre, mais quand même.
"Avant le Covid, au NHC, il y avait des lits de réanimation fermés, pour cause de manque de personnel. Nous avons bien sûr ouvert les 17 lits en urgence au printemps dernier, et ils le sont toujours. Au début, nous avons nous-mêmes compensé le manque de personnel, puis il y a eu du renfort, qu'il a fallu former. Il n'y a pas de formation spécifique, on apprend sur le tard. Il faut un an pour se sentir à l'aise en réanimation, quand on a une formation de base."
Maîtriser l'appareillage notamment demande de la bouteille : les respirateurs, les dialyses, qu'il faut sans cesse surveiller. Aider les aide-soignants à les manipuler quand il faut s'occuper des patients. Ce sont les infirmières elles-mêmes qui forment les plus jeunes. Ca prend du temps, de l'énergie. Non pris en compte, ni valorisés.
Un an pour se sentir à l'aise en réanimation
Mais avant de voir ses compétences reconnues financièrement, et par un statut spécifique, Carole insiste sur le manque de moyens, le premier motif pour lequel elle se mobilisera ce 11 mai : en France, chaque infirmier de réanimation prend en charge 2,5 patients, c'est la règle. Que les personnels veulent donc voir changer, pour passer à un pour deux patients. "On le voit tout de suite, au quotidien : quand on s'occupe de trois patients, on est sous tension permanente, dans le flux ; quand on passe à deux, on peut mieux faire notre travail. Ce qui compte, c'est la sécurité du patient."
Carole en est persuadée, des professionnels motivés pour faire ce métier, il y en a. Mais il faut leur donner les conditions de travail qui leur permettent de l'exercer correctement.
Quand j'ai commencé en réa, on m'a dit "l'espérance de vie" dans ce service, c'est 3 ou 4 ans. Et en effet, je vois beaucoup de mes collègues partir, ou avoir envie de le faire. Parce qu'on porte, beaucoup. Trop. De stress, de pression psychologique.
Alors parmi les revendications des syndicats, qui ont lancé pour le 11 mai un mouvement national de mobilisation, le passage de 2,5 patients à 2 patients par infirmier est en tête des préoccupations. Qui se focalisent aussi sur une reconnaissance statutaire des compétences spécifiques de la réanimation, une revalorisation salariale, une prime d'intéressement de reconnaissance de la spécialité, une prime spécifique pour tous les professionnels de ces services, le paiement des heures supplémentaires et le respect des plannings et des temps de congés : c'est ce que détaille le tract de Force ouvrière, l'un des syndicats qui appelle à la grève.
Une infirmière pour 2,5 patients, c'est trop !
Son représentant en Alsace, Christian Prudhomme, se bat sur ce dossier d'autant plus qu'il a été infirmier en réanimation il y a 20 ans. "Les choses ont beaucoup évolué et il faut de plus en plus de compétences très spécifiques pour exercer en réa. Il est temps de les reconnaître."
A Strasbourg, le CHU compte 310 infimiers et infirmières en réanimation. Certains, grévistes ce 11 mai, et non-réquisitionnés, se réuniront devant l'agence régionale de santé, à Strasbourg, à 14h30. Carole y sera, si elle finit à temps son service du matin. Avec l'espoir que la crise, qui met en lumière leur indispensable travail depuis plus d'un an, soit enfin l'occasion que leur appel, persistant, soit entendu.