Philippe Kuhlmann, installé dans la vallée de Munster (Haut-Rhin), est l'un des derniers en France à dresser des bœufs, des vaches et des taureaux pour les mettre au travail. Un savoir-faire qu'il souhaite transmettre, persuadé que la traction bovine est une technique d'avenir.
Sur l'exploitation de Philippe Kuhlmann, tout se fait au rythme des bovins. Depuis 40 ans, il réalise tous ses travaux agricoles à l'aide de ses bêtes : débardage, foin, épandage du fumier...tout y passe. Le bouvier, l'un des tous derniers en France, n'a utilisé un tracteur et des machines à moteur que quelques années, à ses débuts, avant de s'en débarrasser.
Une autre façon de procéder qu'il assume et revendique : les bœufs et les taureaux le passionnent depuis toujours bien davantage que la mécanique, et surtout, les gros engins ne sont pas adaptés à sa ferme de montagne.
Chez lui à Soultzeren, dans la vallée de Munster, le terrain est pentu et souvent boueux, du moins en hiver. Impossible pour un tracteur de s'y aventurer, sous peine de dévaler. "Sans mes bœufs, je serais coincé la moitié du temps. Il faudrait décaler une grande partie des travaux à l'été et tout faire à la va-vite, c'est une façon de faire qui ne m'intéresse pas. Ou alors il faudrait que j'aménage un chemin en dur mais je n'en ai pas envie", explique-t-il.
Plus en harmonie avec la nature et plus économique
Les bovins permettent de travailler plus facilement en harmonie avec la nature. "Je sens quand arrive le jour de faire une tâche précise, parfois c'est à ce moment-là et pas un autre. Alors s'il faut attendre…", confie encore Philippe Kuhlmann. Sans parler des dégâts causés pas les machines surpuissantes sur les cultures, et de leur coût.
"Je fais beaucoup d'économies car tout cela est extrêmement cher en carburant et en entretien. En plus, je dresse mes bêtes en même temps que je fais mon travail, c'est d'une pierre deux coups", sourit l'éleveur de 62 ans, qui a d'ailleurs imaginé et fait concevoir des outils et remorques spécialement appropriées à l'attelage. Ils s'attachent au joug placé sur les animaux.
Philippe Kuhlmann vit du bois qu'il livre à des clients et de ses bovins. Il en vend certains, une fois prêts, à des agriculteurs et d'autres (ceux qui ne sont pas adaptés à la traction) à des abattoirs.
En quatre décennies, il a déjà dressé plus de 300 bêtes. Cela nécessite parfois quelque jours à peine, parfois des mois ou des années. "Il arrive aussi que je sois obligé d'abandonner car tous les animaux ne deviennent pas dociles", reconnaît-il. Pour être certain d'assurer une certaine pérennité, il fait ainsi naître des petits chez lui et sélectionne lui-même les couples reproducteurs.
L'un des derniers bouviers en France, un héritage à transmettre
Philippe Kuhlmann anime depuis plusieurs années des stages à l'Ecomusée d'Alsace pour partager ses connaissances sur le dressage et la traction bovine. Il reçoit aussi régulièrement, pendant plusieurs jours, des agriculteurs intéressés par la pratique. Certains viennent de l'autre bout de la France, d'autres de Belgique ou d'ailleurs en Europe.
Le bouvier a une solide réputation et un savoir-faire qu'il est l'un des derniers à maîtriser en France. Il a appris, adolescent, auprès des anciens et s'il a testé le travail à l'aide de chevaux, il est vite revenu aux bœufs, moins difficiles à canaliser et moins dangereux selon lui.
"Si on veut sauver la traction bovine, il faut que je redonne ce qu'on m'a donné, sinon bientôt, ce sera trop tard. C'est pour cela que j'ai publié un manuel avec tout ce que je sais à l'intérieur : comment parler aux animaux, quel comportement adopter, quel matériel utiliser… Je pense qu’un jour, tout cela pourra servir car les ressources en pétrole s’épuisent. Et la génération des 25-30 ans est sensible à cette façon de faire", affirme Philippe Kuhlmann.
De plus en plus de jeunes agriculteurs fraîchement installés ou en reconversion cherchent en effet des alternatives pour travailler sans polluer… La traction bovine pourrait bien être une technique d'avenir.