Alsace : pour mieux agir contre les violences sexuelles, les Eglises protestantes publient une charte

A priori, aucune affaire récente de violences sexuelles n'a éclaboussé les Eglises protestantes d'Alsace-Moselle. Mais la révélation de plus de 200.000 victimes d'abus dans l'Eglise catholique les incite à mener une réflexion en profondeur. Premier fruit de ce travail : la publication d'une charte.

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En octobre dernier, le rapport de l'enquête menée par la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise catholique) faisait état de 216.000 victimes d'abus sexuels par un membre du clergé catholique.

"Comme tout le monde, les protestants alsaciens ont eu vent des scandales dans l'Eglise catholique" explique Rachel Wolff, conseillère conjugale et familiale laïque, très engagée dans l'Eglise protestante. "Et on n'est pas dupes. Pourquoi serions-nous mieux que les autres ?"  

Parallèlement à l'enquête de la CIASE, l'UEPAL (Union des Eglises protestantes d'Alsace et de Lorraine) a donc, elle aussi, entamé depuis deux ans un long travail de réflexion, afin de se doter de meilleurs outils d'écoute et de prévention dans ce domaine. 

La première étape est une charte, "sur les violences sexuelles et/ou intrafamiliales" qui vient d'être publiée, et dont Rachel Wolff est la rédactrice. A la fois document de fond et outil pratique, elle regroupe sur une seule page quelques principes fondateurs, ainsi que des contacts (numéros d'urgence et lieux d'écoute).  

Autre vision de la sexualité, mais aucune garantie contre les déviances

Contrairement aux prêtres, les pasteurs ont le droit de se marier, de divorcer, et de se remarier. Par ailleurs, en Alsace, plusieurs ecclésiastiques protestants, gays ou lesbiennes, ont fait leur coming out et peuvent vivre avec leur partenaire.  

Mais ce climat, beaucoup plus ouvert que dans l'Eglise catholique, n'est pas un rempart contre les déviances. Dans les années 1970, un pasteur alsacien pédophile avait été condamné à quatre ans de prison. Il a dû démissionner – avant d'être réembauché par une église allemande du Bade-Wurtemberg.  

Et dans son ouvrage "Un abécédaire inversé pour briser l'omerta du protestantisme historique", paru en février 2021, la sociologue Claire-Lise Weick-Kreiss a recensé une demi-douzaine de cas d'incestes dans des familles pastorales alsaciennes.

Pourtant, officiellement, aucun scandale de violences sexuelles n'a entaché l'image des Eglises protestantes alsaciennes ces dernières années.   

Les protestants également concernés

Cependant, dès le départ des travaux de la CIASE, l'UEPAL s'est sentie concernée par la problématique. D'autant plus que la théologienne protestante et écrivain Marion Muller-Colard, qui vit en Alsace, faisait partie des écoutants de la commission indépendante.  

Parallèlement, un colloque contre les violences faites aux femmes, tenu à Strasbourg à la même période, a également servi de détonateur. "Tout cela nous a mobilisés" se souvient Rachel Wolff. "On n'a pas voulu dire : 'On ne fait rien, on reste en retrait.' " 

On n'a pas voulu dire : 'On ne fait rien, on reste en retrait.'  

Rachel Wolff, rédactrice de la charte

Depuis deux ans, une équipe pluridisciplinaire s'est donc créée au sein de l'UEPAL, avec des spécialistes en droit, en psychologie, en sexologie, en éthique et en théologie. Afin de réfléchir aux différentes manières d'appréhender les violences sexuelles, et de se doter d'outils et de compétences pour y répondre au mieux. "La charte découle aussi de ce projet" précise Rachel Wolff, elle-même membre du groupe.     

La pédocriminalité, mais pas seulement

"Nos collègues de la 'France de l'Intérieur' (l'Epudf – Eglise protestante unie de France) ont sorti une brochure sur la pédocriminalité" ajoute encore Rachel Wolff. "Très bien faite, avec des repères et des conduites à tenir."  

Mais lorsque la vice-présidente de l'UEPAL, Patricia Rohner-Hégé, lui a demandé de préparer un document destiné aux protestants d'Alsace-Moselle, elle a souhaité y englober d'autres aspects. Car "la pédocriminalité n'est qu'une partie" du problème. "Il y a aussi les violences faites aux femmes…"

Dans ses recherches, Rachel Wolff a aussi découvert que, durant le premier confinement, la Fédération des Eglises baptistes de France avait publié une charte sur les violences conjugales. D'où l'idée de la forme à donner à ce premier document. "Je me suis dit : Tiens, voilà ce qu'il nous faudrait pour commencer.'"  

Un document de référence à visée pratique

Diffusée depuis une dizaine de jours à toutes les paroisses de l'UEPAL, et téléchargeable sur internet, la "Charte sur les violences sexuelles et/ou intrafamiliales" est très éloignée des documents protestants habituels, souvent très verbeux.     

Concise, elle tient en une seule page. La première partie, en quelques formules lapidaires, rappelle que l'UEPAL "croit en un Dieu de justice et d'amour", "veut vivre l'égalité en dignité et droits" et est "convaincue que la communauté chrétienne et la famille doivent (...) être des lieux garants de l'intégrité physique, morale et affective de chacun.e."  

De ces affirmations découlent quelques déclarations d'engagements très concrets. L'UEPAL "identifie et dénonce toute relation abusive et/ou agression, notamment sexuelle, de nature physique, psychologique ou spirituelle". Elle "accorde la plus grande priorité à la sécurité des personnes victimes" et s'engage à "les accueillir", les écouter, les soutenir et les orienter. 

L'UEPAL affiche aussi "une attention toute particulière aux victimes mineures ou vulnérables" et pour finir, "s'engage à sensibiliser ses membres sur l'ensemble des éléments de cette charte" et "promouvoir et favoriser la formation de personnes référentes".  

L'idée est que chaque paroisse puisse afficher cette charte dans ses locaux. 

Rachel Wolff, rédactrice de la charte

Cet engagement institutionnel se double d'un appel à chacun : "C'est maintenant le moment d'agir, ensemble. STOP à toute forme de violences. STOP à ces violences spécifiques." 

En bas de page, les numéros de téléphone d'une demi-douzaine d'organismes aptes à répondre aux urgences. Ainsi que les contacts de quatre lieux d'écoute internes à l'UEPAL : les coordonnées de deux conseillères conjugales – dont Rachel Wolff - , de RésO2Pro, (un réseau de professionnels de l'accompagnement qui adhèrent aux valeurs protestantes), et celles du Point Ecoute de la paroisse protestante Saint-Pierre-le-Vieux à Strasbourg.   

Des objectifs très concrets

"L'idée est vraiment que chaque paroisse, foyer paroissial et lieu d'Eglise puisse avoir cette charte affichée dans ses locaux" explique Rachel Wolff. Qu'elle soit "diffusée largement" et bien visible "dans les lieux de passage".  

Le but est simple. Une personne "qui entre et voit ça, qu'elle soit directement concernée ou qu'elle connaisse une autre victime" saura ainsi d'emblée qu'à cet endroit, elle pourra "faire un début de démarche" et aborder la question. Ou, du moins, elle trouvera immédiatement les coordonnées d'autres lieux où elle pourra le faire à sa convenance.   

Une brochure et des formations en préparation  

Mais cette charte n'est qu'un début. L'équipe pluridisciplinaire née voici deux ans travaille à une brochure plus informative et complète sur les violences sexuelles, "avec des volets juridique, psychologique et spirituel", à paraître ce printemps.  

Par ailleurs, cette équipe (qui recherche d'ailleurs une nouvelle psychologue sexologue ayant le temps et l'envie de venir étoffer ses rangs) poursuit ses réflexions autour de ce thème.  

Et des passerelles sont lancées vers d'autres associations, comme SOS femmes solidarité. Notamment pour monter des formations à l'intention des pasteurs "qui ne sont pas forcément bien outillés pour savoir d'emblée comment réagir s'ils soupçonnent des situations de violences familiales" précise Rachel Wolff.  

Car il faut parfois beaucoup de savoir-faire, et de savoir-être, pour aider la parole à se libérer. Et, ensuite, être capable d'offrir les réponses réellement adaptées.   

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