Si aucune mesure gouvernementale n'interdit les traditionnelles fêtes de fin d'année en entreprise, les sociétés spécialisées en évènementiel font face depuis deux semaines à des annulations en cascade. Une catastrophe pour ce secteur très fragilisé par deux ans de pandémie.
Si le gouvernement en appelle à la prudence et incite à limiter les rassemblements festifs dans le cadre du travail, il n' y a pour l'heure aucune interdiction stricte. Pourtant depuis deux semaines déjà, le secteur de l'évènementiel subit de plein fouet la 5e vague Covid. Les annulations s'enchaînent. Décembre, mois important avec son lot de fêtes de Noël d'entreprises, est devenu pour les sociétés de ce secteur un vrai cadeau empoisonné. Reportage à Strasbourg.
Frilosité
Strasbourg, auto-proclamée capitale de Noël, ne l'est réellement que sur la place publique. Dans le privé, c'est une toute autre histoire bien loin du conte de fées. Ici pas de cadeau. Brinbelle Chambet travaille chez Acte 5, une société spécialisée dans la production de spectacles et dans l'évènementiel. Si son premier secteur d'activité est pour l'heure épargné, le second qui représente 40% de son chiffre d'affaires "morfle carrément." Tous les évènements prévus en décembre ont été annulés les uns après les autres. "Nous avions quatre fêtes de Noël organisées. Il en reste zéro. C'est simple, c'est la catastrophe. Même notre formule numérique, à base d'une simple vidéo, a été annulée." Ainsi le 21 décembre, 500 salariés devaient créer leur propre spectacle à l'Iliade, à Illkirch. "C'était un super projet, voilà, pfffff ... moralement c'est très dur, financièrement pour le moment ça tient mais pour combien de temps ?"
C'est simple, c'est la catastrophe
Brinbelle Chambet, Acte 5
Des annulations mises sur le compte de la peur des entreprises d'être responsable d'un cluster et surtout d'un manque de visibilité. "On est dans l'incertitude la plus totale sur ce qui va advenir et quand. Donc les clients préfèrent annuler et anticiper d'éventuelles interdictions sans report." Antoine Johner, de Stras Events, organise chaque année la soirée du réveillon salle de la Bourse à Strasbourg. Chaque année sauf depuis deux ans. "L’année dernière, on a pas eu le choix. Cette année, c’est moi qui ai annulé. 400 convives, 400 repas. J'allais pas sortir la grosse artillerie pour m'entendre dire dans deux semaines, non c'est interdit. Parce que c'est comme ça que ça marche, toutes les semaines ou les 36 du mois, y a de nouvelles annonces, de nouvelles mesures, on ne ne peut plus rien prévoir."
400 convives, 400 repas. J'allais pas sortir la grosse artillerie pour m'entendre dire dans deux semaines, non c'est interdit.
Antoine Johner, Stras Events
Sur les huit évènements qu'il devait organiser en décembre, anniversaires, fêtes de Noël, la moitié sont déjà annulés. "Mais je ne me fais pas d'illusions pour les autres." D'ailleurs Antoine ne s'engage plus dans des projets trop mirobolants : "Je ne prévois plus de fêtes onéreuses ou ambitieuses, le risque serait trop grand. D'autant que, vues les circonstances, commercialement je ne demande pas d'acompte, donc je n'ai pas de trésorerie, opération blanche quoi." Blanche comme la neige de décembre.
Bis repetita
Christophe Laurent, Event&Com, a déjà perdu lui 100.000 euros de son chiffre d'affaires de décembre. Les annulations encore et toujours :"Dès le mois de novembre pour les plus grosses sociétés, une vraie catastrophe. D'autant que ça ne va pas s'arranger." Christophe mise sur un premier semestre 2022 tout aussi mauvais. "C'est simple maintenant c'est moi qui dit aux clients écoutez en janvier les séminaires au ski avec repas le soir et tout le toutim on va annuler, c'est pas raisonnable. Partout autour de moi j'entends en janvier, après les fêtes, on va être reconfinés. Ce n'est pas le fait que ce soit vrai ou faux, c'est juste que ces supputations instaurent un tel climat d'anxiété que personne, moi le premier, n'a envie de prévoir quoique ce soit. Et quand c'est parti comme ça, c'est parti pour trois mois. Les fêtes de printemps ça se prépare à l'avance ça se décide à l'avance. Quand on a peur, on y pense pas."
Il y a un tel climat d'anxiété que personne n'a envie de prévoir quoique ce soit
Christophe Laurent, Event Com
Christophe amer poursuit. "C'est désespérant, on recommence encore et encore. Bis repetita. On ne peut même pas compter sur de simples reports. 95% des reports n'ont jamais lieu. J'attends toujours ceux de l'année dernière. Ce qu'on a perdu on ne le retrouve jamais même avec les aides. On veut juste bosser voilà." Aurélie Ehret, de l'agence Passe-Muraille, prévoit elle aussi un début d'année compliqué. "Janvier s'annonce très calme. Pourtant c'est le mois des conventions des commerciaux, des vœux. Là nous n'avons absolument aucune demande. C'est inédit." Chez Passe-Muraille, malgré une baisse de 70% du chiffre d'affaires au premier semestre on se veut un peu plus optimiste "Depuis cette vague Covid, les évènements se décident et se montent de plus en plus tard. On ne prévoit plus rien certes mais parfois on fait. Nous sommes rodés aux mesures sanitaires, aux bidons de gel XXL .. nous proposons même un stand de tests PCR lors de nos évènements, donc on verra bien."
Janvier s'annonce très calme. Nous n'avons absolument aucune demande. C'est inédit.
Aurélie Ehret, Passe-Muraille
Alternatives
L'Alsace n'est pas une exception, cette fin d'année est difficile pour tout le secteur de l'évènementiel. Selon le syndicat des activités évènementielles (SAE), 85% des évènements prévus à la fin de l'année ont été annulés. Une perte globale de 32 millions d'euros.
On marche sur la tête, il n'y a aucune cohérence, c'est vraiment en fonction des directions respectives.
Jonathan Schlegel, Innov Events
Innov Events est basée à Paris mais possède 36 agences dans l'hexagone. Spécialiste de l'évènementiel d'entreprise : Corporate, séminaires et fêtes de Noël, Jonathan Schlegel, son président, confirme. "Ce qui se passe en Alsace où disons sur 30 évènements prévus en décembre 5 seulement sont maintenus est symptomatique de ce qui se déroule dans les autres agences. Le ratio est partout le même." Le phénomène touche aussi bien les grandes entreprises que les TPE parfois de manière absurde. "On marche sur la tête, il n'y a aucune cohérence, c'est vraiment en fonction des directions respectives. On peut avoir une fête de Noël avec 35 personnes annulée et une autre avec 150 maintenue."
Le mois de décembre représente 30% du chiffre annuel de la société : "C'est beaucoup mais pour l'instant on arrive à se maintenir grâce une gestion rigoureuse, à flux tendus. Non le vrai souci ce sont les 14.000 prestataires avec qui nous travaillons qui sont de plus en plus fragilisés : traiteurs, décorateurs, animateurs. Certains on déjà disparu avec les premières vagues Covid, d'autres sont en reconversion, là je me demande combien il va en rester …" Si Innov Events réussit tant bien que mal à garder la tête hors de l'eau c'est parce qu'elle aussi a entamé sa reconversion. "Bien obligés. Nous avons dû nous diversifier et trouver d'autres axes de revenus. Nous avons créé une nouvelle branche de communication digitale et oui de nouvelles solutions : Food truck, box cadeaux à distribuer aux salariés à domicile ou même décorations de parkings. Il faut s'adapter."
Pour compenser ces pertes, le gouvernement s'est engagé mardi dernier à remettre en place l'activité partielle et à renforcer l'indemnisation des charges fixes des entreprises. Mais pour beaucoup le mal est déjà fait. Comme pour Antoine Johner de Stras Events "Depuis avril je suis aide informatique à domicile, SOS.Alsace, rien à voir. J'ai des copains du secteur qui font de l'intérim, un autre qui a transformé sa maison en gîte d'hôtes. Ce qui était notre activité principale ne l'est plus. C'est triste mais il faut bien gagner sa croûte." Tous attendent des annonces fortes de l'Etat pour soutenir financièrement ce secteur. Tous attendent aussi impatiemment de meilleurs jours, au printemps peut-être où les fêtes pourront se dérouler dehors, sur la pelouse. Sans le sapin mais avec les hirondelles.