Au pouvoir depuis 20 ans, le président turc Recep Tayyip Erdogan semble pour la première fois en difficulté à l'approche de l'élection présidentielle du 14 mai. En Alsace, où la diaspora turque vote traditionnellement pour le président sortant, la participation est particulièrement forte.
La Turquie votera ce dimanche 14 mai pour élire son président. Candidat à sa réélection et au pouvoir depuis 20 ans, Recep Tayyip Erdoğan semble pour la première fois en position délicate face à son adversaire Kemal Kiliçdaroglu. Pour France 3 Alsace, le politologue Samim Akgönül explique les enjeux de cette élection en Alsace.
On estime la communauté turque dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin à 70.000 personnes. Parmi elles, de nombreux électeurs et électrices appelé(e)s aux urnes jusqu'à ce mardi 9 mai. Traditionnellement, les Turcs d'Alsace déposent pour la majorité un bulletin "Erdogan" dans les urnes. Mais l'actuel président paraît en difficulté face au candidat d'opposition Kemal Kiliçdaroglu.
Samim Akgönül était l'invité du journal de 12h de France 3 Alsace de ce mardi 9 mai 2023. Le politologue et directeur du département d'études turques à l'Université de Strasbourg a analysé l'écho de l'élection présidentielle turque en terres alsaciennes.
France 3 Alsace : La communauté turque d'Alsace est considérée comme conservatrice et pro-Erdogan. Comment l'explique-t-on ?
Samim Akgönül : "On l'explique par la sociologie des migrations : depuis les années 1960, notre région reçoit des immigrés et des franges de la population plutôt conservatrices. Donc depuis les élections de 2014, date depuis laquelle la diaspora peut voter, nous avons une sur-représentation du vote conservateur nationaliste et une sur-représentation du vote pro-kurde par rapport à d'autres pays et à d'autres régions. En Angleterre, ou même à Marseille, la configuration n'est pas du tout la même."
Qu'en est-il de la participation en Alsace ?
"Jusqu'à maintenant, la participation a pu atteindre les 50% aux dernières élections 2018. D'après les données qui arrivent des différents consulats, elle va dépasser cette année les 50%. Et cette participation est évidemment le signe d'un engouement pour cette élection présidentielle."
Ici, comme en Turquie, la réélection du président sortant est plus que compromise. Une opposition a réussi à s'unir derrière un seul et même candidat. C'est quelque chose d'inédit ?
"C'est même un exploit de Kamal Kiliçdaroglu qui a pu réunir six mouvements très dissemblables et qui a su maintenir ces six partis ensemble pour devenir le seul candidat malgré d'autres prétendants. Ça, c'est inédit !"
Qu'est-ce qui fait qu'Erdogan soit mis à mal, notamment dans les sondages ?
"Déjà, il y a une usure du pouvoir après 21 ans et le pays est traversé par le népotisme, la corruption, le sentiment d'injustice, le sentiment d'un pouvoir incarné par un seul homme... Ça provoque une réaction, surtout dans les nouvelles générations.
Mais en plus, il y a une crise économique qui dure depuis dix ans avec une hyperinflation de l'ordre de 50 à 100%. Il faut ajouter à cela le tremblement de terre du 6 février qui a fait plus de 50.000 morts et plus de deux millions de déplacés. Tout ça peut jouer en défaveur du président sortant."
Les clivages identitaires et idéologiques qui traversent la Turquie existent en Alsace, de manière peut-être encore plus tranchée.
Samim AkgönülPolitologue et directeur du département d'études turques à l'Université de Strasbourg
Ce sont des questions qui préoccupent les électeurs turcs d'Alsace ?
"Bien sûr, et même avant 2014. Mais depuis que la diaspora arrive à voter, les clivages identitaires et idéologiques qui traversent la Turquie existent en Alsace, de manière peut-être encore plus tranchée entre les différentes communautés conservatrices, turques, kurdes, sunnites..."
En Turquie, on voit que l'élection est particulièrement tendue avec des heurts dans le pays entre différents votants...
"Effectivement, j'espère que ce n'est pas une répétition pour dimanche. À Strasbourg, à Marseille mais aussi à Anvers en Belgique, il y a eu des échauffourées entre les partisans des conservateurs nationalistes et des pro-kurdes par exemple."
Lors de la dernière élection présidentielle turque, en 2018, les électeurs alsaciens avaient voté à 70% en faveur de Recep Tayyip Erdogan, d'après le consul turc à Strasbourg.