En Alsace, l'inquiétude post-Covid des amateurs de courses à pied : "les gens se sont recroquevillés sur eux-mêmes"

Interrompue pendant deux ans par la crise sanitaire, la saison des trails et courses à pied bat son plein en Alsace, sur une terre riche de ces compétitions. Mais le Covid semble avoir rebattu les cartes et certains événements peinent désormais à rassembler.

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Jean-Guy Dietrich garde le sourire. Même s'il est un peu crispé. Ce samedi 11 juin 2022, le trail du Kochersberg (Bas-Rhin) fêtera sa 10e édition avec 600 inscrits, autant qu'en 2019. Une stabilité exceptionnelle, que nombre de ses collègues ne connaissent pas. "Les échos que nous avons à droite à gauche, des diverses courses proposées cette saison, c'est une baisse de 20 à 40% du nombre d'inscrits par rapport à avant la crise sanitaire, relate celui qui est aussi président de l'office du tourisme de Truchtersheim. Beaucoup s'interrogent sur la suite à donner à ces compétitions..."

Le petit milieu de la course à pied alsacienne, pourtant dynamique, est inquiet. Sur sa page d'accueil, le site spécialisé l'Alsace en courant précise avoir de plus en plus de mal à proposer un calendrier exhaustif des compétitions de la région. "La crise sanitaire que nous vivons depuis 2 ans complexifie encore la tâche avec les nombreuses courses arrêtées, annulées ou reportées et des organisations qui se pose la question de poursuivre ou non", peut-on lire sur le site, qui recense tout de même quelque 250 dates, preuve que l'Alsace est bien une terre de running.

Mais si les gens continuent de courir, ils ne le font plus nécessairement dans le cadre d'événements organisés. "Ils ont pris de nouvelles habitudes, ils sont plus casaniers, ont perdu l'envie de se mobiliser. On est un peu catastrophé par cette individualisation galopante, s'inquiète Jean-Guy Dietrich. Et surpris : il y a eu un entrain à sortir, à profiter de la nature, à faire du sport, après la crise. Mais les gens pensent d'abord à prendre soin d'eux, pas à s'investir ou à participer à des événements collectifs".

Les gens pensent d'abord à prendre soin d'eux, pas à se mobiliser collectivement

Jean-Guy Dietrich, organisateur du trail du Kochersberg

Un état d'esprit qui se répercute à la fois sur le nombre de participants et sur les bénévoles, nécessaires en grand nombre pour organiser ce type d'événements. Ils sont 200 par exemple, engagés pour veiller au bon fonctionnement du trail du Kochersberg. "Nous avons un fichier de 450 personnes mobilisables, que nous avons constitué en 10 ans d'existence, explique Jean-Guy Dietrich.

Par le passé, nous devions même en refuser, tellement les gens étaient motivés ! Là, c'est fini, nous avons eu beaucoup de mal à les trouver... Et la jeune génération n'est pas prête du tout à prendre la relève"

Des bénévoles démobilisés

"Beaucoup de membres historiques de l'organisation ont eu envie de profiter de cette pause pour dire stop définitivement", renchérit Robert Reichenbach, à la tête du triathlon d'Obernai, qui mobilise 540 bénévoles, et des Foulées des 4 Portes de Rosheim. "Ils se disent, tiens, c'est pas mal aussi quand on n'a pas ça à gérer... Ils ont pris d'autres habitudes pendant deux ans. Le bénévolat peine..."

Moi, j'espère encore que ce n'est que passager, que nous parviendrons à relancer la machine.

Robert Reichenbach, organisateur du triathlon d'Obernai et des Foulées de Rosheim

Concernant les coureurs eux-mêmes, "je crois que eux finiront par revenir". Mais à Obernai les 4 et 5 juin, les inscriptions ont stagné à 1.720, soit 200 de moins qu'en 2019. "Les longues distances ont davantage pâti, car les gens étaient moins préparés, ils ont préféré ne pas se lancer sur les formats longs."

Pour les Foulées de Rosheim, qui auront lieu le 25 septembre, l'organisateur enregistre un net recul des inscriptions pour le moment. "Nous en sommes à 280 à cette date (au 9 juin, NDLR), contre 600 au même moment en 2019. Nous espérons que les gens ont juste décidé de s'inscrire plus tard... Mais nous tablons de toute façon sur 2.000 participants contre 2.500 à 3.000 avant le Covid, histoire de ne pas engager des frais que nous ne pourrions rentabiliser."

Privilégier les courses de proximité pour économise le prix de l'essence

Dans le Haut-Rhin, Grégory Leloup, président du Pays de Colmar Athlétisme et organisateur, avec sa société Team Com, d'une quinzaine de courses par saison, tempère un peu la morosité ambiante. S'il constate bien un changement de comportement des coureurs, avec un repli sur les compétitions organisées au plus près de chez eux, "pour éviter de dépenser trop d'argent dans l'essence", et une tendance à s'inscrire au dernier moment, il souligne également la hausse du nombre de licenciés, qui prouve que la discipline a de l'avenir.

"Nous avons beaucoup de jeunes qui se lancent, dans nos clubs. Alors bien sûr, ce ne sont pas eux qui vont s'inscrire dans l'immédiat dans nos compétitions, mais ils dynamisent la pratique.

Sur les courses en elles-mêmes, on constate que les nouvelles attirent et font le plein. D'autres marchent en effet moins bien..." A lire les commentaires sur les réseaux sociaux, les abonnés de sa page Facebook soulignent le prix des inscriptions et l'envie de ne pas parcourir des kilomètres pour aller courir. L'envie de voir autre chose aussi. "L’impression d’avoir fait un peu le tour, explique par exemple Philippe Joubert. Par exemple cet été je me programme la traversée de la foret noire en trail et en off."

"Les mentalités changent, il faudra peut-être se rabattre sur d’autres types d’événements qui fédèrent plus (courses d’obstacles, colore run…), suggère un autre internaute. Quand on voit le niveau général sur les courses, la performance semble passer au second plan."

Dans le Kochersberg, une fête en plus du sport

Et c'est bien sur une formule plus festive que mise le trail du Kochesberg. "Je crois que ce qui fait notre succès, c'est de ne pas uniquement miser sur l'événement sportif, explique Jean-Guy Dietrich. Nous avons aussi un engagement solidaire, avec de l'argent reversé à des associations (cette année, l'Unicef, en solidarité avec les enfants d'Ukraine et Coeur de clown, qui intervient dans les Ehpad). Et nous proposons de la convivialité, un feu d'artifice, des repas...

Les familles viennent pour cela aussi, d'autant qu'elles sont autorisées à marcher sur le parcours, à la rencontre des coureurs engagés sur le 17 ou le 26 km. C'est unique et la formule plaît."

Alors le trail du Kochersberg devrait vivre un 10e anniversaire particulièrement festif. Histoire de boucler une belle décennie. Sans garantie de pouvoir proposer une 11e édition.

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