Au Haut-Kœnigsbourg en Alsace, l'un des châteaux les plus visités de France, se trouve une pièce cachée qui n'est jamais montrée au public : le cabinet de travail de l'empereur Guillaume II, dans lequel se trouve également son cabinet de toilette. "Un lieu de curiosité rare et insolite".
Chaque année, plus d’un demi-million de personnes viennent visiter le château du Haut-Kœnigsbourg en Alsace, près de Sélestat (Bas-Rhin). C’est l’un des dix châteaux les plus visités de France.
Niché sur un éperon rocheux à 800 mètres d’altitude, datant du XIIᵉ siècle, et placé sur l'ancienne frontière entre la France et l'Allemagne, le château du Haut-Kœnigsbourg a entièrement été rénové et rebâti par l’empereur allemand Guillaume II, dès 1901.
L’empereur ne souhaitait pas se contenter d’une "ruine à consolider, explique Denis Louchart, guide au château. Il a commandé à Bodo Ebhardt, architecte et archéologue berlinois, une restauration intégrale avec tous les meubles. Une reconstitution du Moyen Âge, la plus vraisemblable possible". Car il y avait une volonté politique de l'empereur derrière ce chantier titanesque : "montrer, après la victoire prussienne sur la France de 1871, que l'Alsace a toujours été une terre germanique."
Déjà le cabinet regorge de charme par sa conception.
Denis Louchart
Guillaume II est particulièrement attaché au projet. Chaque année, jusqu’à l’inauguration du château du Haut-Koenigsbourg en 1908, il va venir lui-même superviser l’avancée des travaux. Au sommet d’une des tours rebâties, l’architecte lui installe un cabinet de travail. C'est dans ce lieu caché que l'empereur, puis les autorités du château du Haut-Kœnigsbourg, vont accumuler une collection d’antiquité et d’objets d’art qui ne sont pas exposés ni présentés au public.
Car davantage qu’un véritable cabinet de travail, cet ensemble de quatre pièces est d’abord un lieu de curiosités rares et insolites. "Regardez comme c’est beau. Les murs du cabinet sont habillés de bois et lambrissés, ce qui lui donne un côté cosy, s’émerveille Denis Louchart. Les vitraux reprennent des œuvres d’Albrecht Dürer, immense artiste du XVᵉ siècle." Sur un mur, une de ses gravures originales est exposée.
Un kachelofe typique de la région, c'est-à-dire un poêle en faïence vernissé, est installé dans le fond de la pièce principale. Il est dans un parfait état de conservation. De l'autre côté, derrière une discrète porte en bois, "le cabinet donne sur un cabinet de toilette".
Le siège impérial
Voici donc les WC sur lequel se posait le séant impérial. Le cabinet est agrémenté d'un petit évier en céramique. "C’était particulièrement moderne et contemporain pour l’époque" s’amuse Denis. Le petit coin est recouvert de noyer massif qui donne le sentiment d’être dans l’Orient-Express. "C’est le luxe absolu !" Ce qui est drôle, c'est que plus personne n'ose y poser ses fesses. Sans doute le respect dû au rang.
En revenant dans la salle de travail, l’œil est immédiatement attiré par un immense livre relié en cuir blanc trônant sur une grande table en bois massif. "Il s’agit du livre d’or du château. Les plus grandes signatures du siècle dernier y figurent. Bien sûr, ceux qui ont visité le château, jusqu'en 1918, au moment où le Haut-Kœnigsbourg est en territoire allemand."
Le livre d’or est sublimement enluminé par les armoiries des Hohenzollern. Il s’ouvre sur les signatures manuscrites du kaiser Wilhelm II, celle de son épouse l’impératrice et reine de Prusse Augusta-Victoria de Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Augustenbourg et de leur unique fille, la princesse Victoria-Louise de Prusse. "Au total, sept visites du Kaiser sont consignées dans ce livre d’or. Parmi les autres illustres personnalités qui ont laissé une dédicace, Mehmed VI, le dernier sultan ottoman ou Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la Turquie moderne."
Après la Première Guerre mondiale, la France devient propriétaire du château. Le maréchal Pétain, commandant en chef des armées, y inscrit sèchement la dernière signature du livre d’or : "le présent registre est arrêté ce jour, 27 janvier 1919, pour être envoyé aux Invalides". Le livre d’or est pourtant toujours dans le cabinet de travail de l’Empereur. "Ils ont dû l’oublier", note un brin espiègle Denis, le guide du château.
Une collection rare et insolite
Les découvertes dans ce cabinet ne s’arrêtent pas là. Il faudrait des heures pour approfondir leurs détails. Ici, un vase précieux sur lequel apparait le château. Là, des armes anciennes dont une arbalète de chasse rehaussée d’ivoire de la première moitié du XVIIᵉ siècle. Plus loin et forcément glaçant, une épée de justice, c’est-à-dire une épée de bourreau. "Elle vient de Bischwiller [dans le Bas-Rhin] et date du XVIIᵉ siècle". Sur la lame est gravée une scène de décapitation et une inscription : "Lorsque le condamné est remis entre mes mains et que je lève mon épée, je lui souhaite la vie éternelle".
Sur un coffre, une prothèse articulée du XVIᵉ siècle, "très ingénieuse pour l’époque", qui permettait à un chevalier dont la main avait été coupée sur un champ de bataille de recouvrer une certaine autonomie. Enfin, une grande valise qui ne demande qu’à être ouverte.
"C’est la valise d’Hugo Zorn von Bulach, le premier commandant du château du Haut-Kœnigsbourg. Il a laissé tous ses habits d’apparats, sa coiffe, son épée, mais surtout son agenda de 1908, année d’inauguration du château, sur lequel il a tout consigné en français".
Le baron Hugo Zorn von Bulach, né à Strasbourg, en France, en 1851, et dont le père avait été le chambellan de Napoléon III, fut l'un des hommes politiques les plus influents de l’Empire. Il a contribué à la Constitution de l’Alsace-Lorraine. C’est toute la complexité de l’histoire alsacienne, ballotée entre la France et l’Allemagne, qui se découvre dans cette valise. L’émotion est forte.
Le cabinet de travail de l’empereur ne se visite hélas pas "pour des raisons de sécurité, car il n’y a pas d’issue de secours et que les objets qui s'y trouvent sont trop précieux". En revanche, le château du Haut-Kœnigsbourg et ses collections médiévales se découvrent tous les jours sauf le 1ᵉʳ janvier, le 25 et le 26 décembre.
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