Néonicotinoïdes : les betteraviers inquiets après la décision de l’UE de bannir les dérogations, "on va mettre à mal toute la production en France"

La Cour de justice de l’Union européenne a jugé, ce 19 janvier 2023, que la France, et les autres Etats membres, ne pouvaient pas déroger à l’interdiction des néonicotinoïdes. En Alsace, certains betteraviers estiment que la décision est "injustifiée et dangereuse" pour l’industrie sucrière. L'Etat français annonce qu'il va soutenir la filière.

Un sérieux coup de frein pour certains agriculteurs. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé, dans un arrêt rendu ce jeudi 19 janvier, que les dérogations octroyées pour les néonicotinoïdes en France, et dans les autres Etats membres, étaient illégales. La décision intervient alors que le ministre français de l’Agriculture s'apprêtait à prolonger, pour l’année 2023, l’autorisation d’utiliser ce pesticide réputé comme dangereux pour les abeilles. 

Avec près de 9 millions de tonnes en 2019, la région Grand Est se classe 2ème en termes de production de betterave sucrière. Avec 5500 hectares (ha) présents en Alsace, les betteraviers locaux comptent bien faire entendre leur mécontentement. Dans le secteur de Sélestat (Bas-Rhin), Gérard Lorber, propriétaire de 45 ha de betteraves, a été surpris de la décision de la CJUE. "C’est une décision trop brusque, alors que nous sommes à deux mois des semis", déplore-t-il.

"On va mettre à mal toute la production de betterave en France. Cette solution, qui empêchait aux insectes parasites de venir sur nos cultures, est l’une des seules qui fonctionne". Le produit phytosanitaire, très utilisé dans la culture de la betterave, était interdit depuis 2018 par l’UE pour toutes les cultures. Néanmoins, les dérogations, prise en France et dans dix autres Etats membres, avaient permis aux agriculteurs de continuer à l’utiliser en traitement préventif. 

Une décision "trop rapide" pour le monde agricole

Après le virus de la jaunisse en 2020, qui a majoritairement touché l’Île-de-France, et quelques hectares en Alsace, les betteraviers craignent de devoir se tourner vers d’autres cultures. "Si nous avons des demi-rendements à cause des virus ou insectes, les agriculteurs ne prendront plus le risque de planter des betteraves", craint Gérard. 

Les dérogations, en France, étaient conditionnées à des conditions drastiques

Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves

De son côté Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), juge l’arrêt de la CJUE "inacceptable". "Les dérogations, en France, étaient conditionnées à des conditions drastiques, notamment la diminution des doses d’enrobage", explique-t-il, "Mais les écolos en ont fait un sujet politique. Ce pesticide, lorsqu’il est mis sur les betteraves, ne détruit pas les abeilles, car c’est un légume qui ne fleurit pas". 

Il estime que la décision intervient trop rapidement. "L’INRAE  (Institut national de la recherche agronomique) parle de solutions alternatives disponibles d’ici deux ans. Ils auraient donc dû attendre avant de nous mettre ce coup de massue", juge-t-il. "On nous avait donné tellement de garanties pour ces dérogations, que lorsque j’ai appris la nouvelle je n’y ai pas cru". 

La sucrerie d’Erstein en danger ? 

Mais alors que vont devenir les sucreries françaises si les agriculteurs tournent le dos à la betterave. Gérard Lorber, qui est aussi président de la section Erstein à la sucrerie Cristal Union, craint le pire. "On nous parle de réindustrialisation, mais si on doit se fournir en betterave au Brésil ou autre, cela ne marchera pas". 

Pour le président de la CGB, l’inquiétude est la même. "Il y a aujourd’hui un problème de souveraineté alimentaire, notamment avec la guerre en Ukraine, et l’UE se tire une balle dans le pied", déplore-t-il, "Je crains que les sucreries ferment en France et en Europe si les agriculteurs ne cultivent plus de betteraves". 

Une décision de l’UE saluée par Alsace Nature 

La décision de l’UE de rendre ces dérogations illégales est « une bonne chose » pour Daniel Rininger membre de l’association pour la défense de l’environnement Alsace Nature. "C’est rassurant qu’il y ait une instance suprême qui prend une décision de ce type. C’est une façon de remettre les pendules à l’heure, car l’interdiction des néonicotinoïdes était un engagement du gouvernement et il ne l’a pas tenu". 

Il prône désormais un changement du modèle agricole et arrêter ces pesticides "nocifs sur la biodiversité, pour la qualité de l’air et de l’eau". Selon Alsace Nature, les agriculteurs ont eu le temps de trouver des solutions alternatives à ce pesticide. "On nous parle de l’INRAE depuis des années, mais aucune solution n’arrive. À un moment donné, il faut agir". 

Dans sa décision, la CJUE précise qu'une "disposition permet aux États membres d'autoriser de façon dérogatoire et temporaire l'usage de pesticides contenant des substances bannies dans l'UE". Mais cette disposition ne permet toutefois pas de déroger à l'interdiction de mise sur le marché de tels produits. 

Soutien de l'Etat aux agriculteurs

Le ministre de l'agriculture Marc Fesneau a annoncé ce lundi 23 janvier que la France respecterait l'arrêt rendu par la cour européenne. "Je n'ai aucune intention de balader les agriculteurs et en particulier ceux qui sont inquiets, car c'est dans 4 à 6 semaines qu'ils vont prendre la décision d'implantation des semences", a t-il précisé lors d'un point presse.

Voilà qui est clair alors que la France s'apprêtait à autoriser une nouvelle fois l'usage de ces pesticides de façon dérogatoire pour la campagne d'ensemencement 2023 des betteraves. Le ministre précise cependant que l'Etat mettra en place un accompagnement financier "mobilisable en cas de pertes de rendements liés à la jaunisse. Cette aide, dont les éléments techniques devront être définis rapidement, a vocation à sécuriser les planteurs et les industriels dans cette transition".

De quoi rassurer les agriculteurs? Rien n'est moins sûr.

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