Pourquoi Albert Schweitzer, théologien et médecin en Afrique, est-il toujours si actuel ?

Rund Um. Son musée de Gunsbach, dans la vallée de Munster, a été rénové et agrandi. Et une statue vient de lui être consacrée à Strasbourg. Mais quelle est donc l'aura d'Albert Schweiter (1875-1965), médecin, philosophe, théologien et musicien alsacien, pour qu'il reste toujours si actuel ?

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Le 17 septembre dernier, une statue à l'effigie d'Albert Schweitzer a été inaugurée place Saint-Thomas, au cœur de Strasbourg. Et le petit musée aménagé dans la maison qu'il s'était fait construire en 1928 dans son village d'enfance, Gunsbach (Haut-Rhin), a été transformé et flanqué d'une nouvelle extension. Afin de permettre d'accueillir davantage de visiteurs, dont de nombreux scolaires. Quel attrait le "grand docteur" exerce-t-il donc encore aujourd'hui ? 

En cette matinée d'automne, le musée Schweitzer, au centre du village de Gunsbach, rougeoie sous la vigne vierge qui le recouvre. Mais depuis les travaux de rénovation, à peine achevés avant le premier confinement, on n'y entre plus par la petite porte, côté rue. Désormais, l'accueil se fait par un grand bâtiment lumineux, un rectangle de bois et de verre, posé dans le verger.

Et après les mois de fermeture dus à la crise sanitaire, les visiteurs sont de retour. En à peine deux heures se succèdent un groupe d'une trentaine de Strasbourgeois, un couple venu de Chartres, un autre de Rhénanie- du-Nord-Westphalie, et une demi-douzaine d'enseignants allemands du Bade-Wurtemberg. Sans compter un autre groupe qui s'était annoncé, mais s'est perdu du côté de Kaysersberg. "Ces derniers temps, nous avons aussi eu beaucoup de visiteurs suisses, hollandais et même coréens" raconte Pascale Kientz, médiatrice.

Un humanitaire avant l'heure

Ceux qui sont déjà venus auparavant savourent le musée dans sa nouvelle formule. La visite démarre par deux salles sombres en sous-sol – la cave de l'ancienne maison, entièrement réaménagée. Un éclairage mouvant,simulant le fleuve Ogooué, et une petite pirogue, plongent immédiatement les arrivants dans l'ambiance africaine.

Dans les vitrines, d'innombrables objets, instruments chirurgicaux, pansements, serviettes de coton, morceaux de savon, bassines et photos, recréent la vie quotidienne à l'hôpital de Lambaréné, construit par Albert Schweitzer en 1913 au Gabon, en pleine forêt équatoriale.

Un hôpital pas comme les autres, où les familles pouvaient rester avec leur malade, et dormir dans des huttes regroupées en petits villages, par ethnies. Ils pouvaient même amener leur petit bétail et préparer leur propre nourriture. "Schweitzer a eu l'intelligence de ne pas construire un hôpital sur le modèle européen" précise Pascale Kientz.

Il était hors normes. Il fourmillait d'idées.

Lucie Maechel, visiteuse

Les visiteurs, invités à ouvrir des tiroirs dissimulés sous les vitrines pour découvrir d'autres objets originaux, apprécient cette forme de proximité avec le "grand docteur". "Il était hors normes" s'exclame Lucie Maechel, venue de Strasbourg. "Il a fait bien plus que d'autres, et fourmillait d'idées. Je l'ai rencontré quand j'étais toute jeune, il est venu dans mon école. Toutes les classes s'étaient rassemblées dans la salle de sport, et il nous a raconté sa vie à Lambaréné (...) Je me suis dit que c'était un bel engagement, et j'ai eu envie de devenir infirmière dans son hôpital. Mais je ne l'ai jamais fait."

Une sorte de génie universel

Au rez-de-chaussée de la maison, le bureau n'a pas bougé depuis le dernier séjour d'Albert Schweitzer en Europe, en 1959. Et dans un petit film, on l'entend même parler en alsacien à des habitants de Gunsbach qui passent sous sa fenêtre.  

Le médecin de Lambaréné est né à Kaysersberg le 14 janvier 1875. Il est encore un bébé quand sa famille déménage à Gunsbach, où son père est nommé pasteur. Albert passe toute sa jeunesse à quelques centaines de mètres du musée, dans le presbytère, aujourd'hui transformé en gîte, avec un grand réfectoire qui permet d'accueillir des groupes.

Initié à l'orgue très jeune, Albert part ensuite à Strasbourg étudier la musicologie, la philosophie et la théologie protestante. A 21 ans, il prend la décision de s'adonner au plaisir des études jusqu'à sa trentième année, puis de se consacrer à un service purement humain. "Sa belle vie privilégiée, il veut en donner une partie pour aider les autres" résume Pascale Kientz. Il soutient une thèse de philosophie, travaille comme pasteur à l'église Saint-Nicolas de Strasbourg et encadre les étudiants en théologie au Stift.

C'est fantastique, une personne qui cumule autant de compétences.

Rudolf Krenzer, visiteur

Parallèlement, dès 1905, il se lance dans des études de médecine. Et part pour le Congo (l'actuel Gabon) en 1913, pour y fonder son hôpital. Durant toute sa vie, il fait des allers-retours entre l'Afrique et l'Europe, où il donne des conférences et des concerts d'orgue. Il écrit de nombreux ouvrages de théologie et de philosophie, et quelques livres autobiographiques. Sa maison de Gunsbach lui sert de pied-à-terre durant ses séjours en Alsace.

"Il était bâtisseur, médecin, musicien, scientifique et artisan de paix" résume Rudolf Krenzer, un visiteur venu de la région de Wuppertal (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). "C'est fantastique, une personne qui cumule autant de compétences." Lui et sa femme, engagés dans leur paroisse, "connaissent son histoire" depuis leur enfance. Et durant leurs vacances à proximité de Gunsbach, il leur a semblé évident de venir faire un tour au musée.

Danièle Maurel-Hemidy, elle, vient de Chartres, mais a passé son enfance en Bretagne. "Les institutrices nous parlaient de Lambaréné, de l'hôpital. J'ai toujours entendu parler de lui comme médecin, mais jamais comme humaniste" confie-t-elle. "J'ai beaucoup appris dans ce musée."

Une image extrêmement stimulante

Et justement, le musée nouvelle formule est bien plus pédagogique, car auparavant, toute la vie et l'œuvre de Schweitzer étaient concentrées dans deux petites salles. Désormais, en face du bureau, les visiteurs peuvent passer par la cuisine, remise en état après avoir servi de lieu de stockage d'archives. Puis par plusieurs petites pièces thématiques : les jeunes années, avec des photos de famille, le temps des études... Un espace rend aussi hommage à sa femme, Hélène Bresslau.

La chambre dédiée à la musique présente des affiches de ses concerts – tous consacrés à son compositeur préféré, Jean-Sébastien Bach. Ainsi qu'un piano à pédalier d'orgue qui lui permettait de ne pas perdre la main durant ses longs séjours en Afrique. "Ce piano a été fabriqué en bois dur, pour résister aux termites. Et chaque touche a été vissée, et non collée, afin de résister à l'humidité du Gabon" détaille Pascale Kientz.

Son collègue Romain Collot, autre membre de l'équipe du musée, constate que les visiteurs ont des motivations assez diverses. "Beaucoup connaissent seulement Albert Schweitzer par l'une de ses facettes, en fonction de leur milieu d'origine ou professionnel. Selon qu'ils soient eux-mêmes musiciens, médecins, philosophes ou issus du monde protestant." Les autres aspects, ils les découvrent sur place. "Mais pour beaucoup, Schweitzer reste – peut-être pas un modèle à suivre, ce n'est pas le bon terme, mais du moins une image extrêmement stimulante."

Une dernière petite salle d'exposition présente quelques célébrités fascinées par Schweitzer. Et il y a du beau monde. En vrac : Albert Einstein, qui l'a rencontré à plusieurs reprises, Elisabeth II, qui l'a fait membre honoraire de l'ordre du mérite, Dwight D. Eisenhower et John F. Kennedy, mais également Martin Luther King, Joséphine Baker, Rainier de Monaco qui a offert une salle d'opération à l'hôpital de Lambaréné. L'abbé Pierre s'y est rendu en 1960, ainsi que le Dalaï Lama quelques années plus tard.

Une éthique du "respect de la vie"

En 1952, Albert Schweitzer reçoit le prix Nobel de la paix. Mais dès 1947, le Life magazine le surnomme "plus grand homme du monde", et écrit que lorsqu'il se déplace, "à Strasbourg comme à New York", il y a foule, ainsi qu'une nuée "de journalistes et de photographes". Vraisemblablement parce qu'il représente "un symbole d'espoir et d'humanité" après les horreurs de la Seconde guerre mondiale.

Sa pensée reste d'une actualité brûlante.

Pascale Kientz, médiatrice du musée

Dans les dernières années de sa vie, passées en Afrique, Albert Schweitzer s'engage aussi contre l'énergie nucléaire, à travers plusieurs écrits. Indigné par la souffrance de tout être vivant, grand ami des animaux, il résume son éthique par une formule qui résonne encore profondément aujourd'hui : le "respect de la vie" (Ehrfurcht vor dem Leben).

Et même si certains visiteurs ont le sentiment que la jeune génération ne sait plus très bien qui il est et ce qu'il a réalisé, "sa pensée reste d'une actualité brûlante" estime Pascale Kientz. Elle-même est d'autant plus heureuse de pouvoir mieux transmettre cette pensée aux plus jeunes, depuis que le musée s'est doté d'une belle salle de médiation pour des groupes de scolaires.

 

 

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