La rentrée se prépare déjà avant l'été pour les parents dont le handicap de leur enfant nécessite une scolarité adaptée. Lorsqu'elle leur est refusée, l'angoisse monte. C'est le cas de Charlotte : sa fille doit entrer au collège par la voie classique, alors qu'elle demandait à poursuivre en Ulis.
Charlotte Merdinger se dit épuisée. Car à chaque nouvelle étape du parcours scolaire de sa fille Louise, il faut se battre pour qu'elle ait accès à la structure qui lui convienne. Louise a 12 ans et s'apprête à entrer au collège. Ses parents viennent de recevoir, en cette fin d'année scolaire, la notification d'orientation du rectorat : elle ira en 6e classique, alors qu'elle suit depuis plusieurs années sa scolarité en classe Ulis, ces "unités localisées pour l'inclusion scolaire", autrement dit des structures aménagées aux besoins spécifiques d'enfants souffrant de retards cognitifs ou mentaux, de troubles du langage, des apprentissages ou des fonctions motrices.
Louise, elle, n'a pas de diagnostic précis, mais plusieurs pathologies qui entraînent "une déficience globale des acquisitions", nous dit sa maman. Son dossier est chaque année validé par la MDPH (maison départementale pour les personnes handicapées), gage de reconnaissance de son handicap."C'est un ensemble de handicaps invisibles : des retards en psycho-motricité, des codes sociaux qui ne sont pas intégrés, un manque de maturité affective et sociale... Alors, elle a besoin d'être en confiance, d'avoir des repères stables..."
Louise devait déjà faire son entrée en 6e l'an dernier, mais elle n'était pas prête. Le grand saut avait pu être évité, elle est restée en élémentaire, au niveau CM1, dans sa classe Ulis de Lingolsheim. Mais elle a désormais douze ans, et "un niveau scolaire de CE2", ce qui est le prérequis pour passer au collège, dans le dispositif Ulis.
Pas assez de place en IME, pas assez de place en Ulis
Ce dispositif lui a permis jusque-là de poursuivre sa scolarité, en étant parallèlement prise en charge par les spécialistes du service de soins et d'éducation spécialisée à domicile (SSESD) d'Illkirch-Graffenstaden : orthoptiste neuronal, ergothérapeuthe, neuro-psychologue, psyco-motricien, tout est organisé pour que Louise soit accompagnée.
Et voilà que toute cette organisation, minutieusement mise en place à son entrée en élémentaire, menace de s'effondrer. Suivre une scolarité en 6e classique, tout en continuant les soins qui lui sont nécessaires au SSESD semble mission impossible. "On est effondré. Elle va se retrouver en situation d'échec, elle est très émotive."
À chaque changement dans la vie de notre enfant, on a peur, et là, la dose de stress est maximale.
Charlotte Merdinger, maman de Louise, 12 ans
Les parents de Louise ont déposé un recours auprès du rectorat, mais sans espoir. Car le problème est celui du manque de places. "C'est l'effet dominos : il n'y a pas assez de places en institut médico-éducatif, alors les enfants qui devraient y être vont en Ulis. Et les enfants adaptés au dispositif Ulis s'en retrouvent exclus... et plus personne n'est à la bonne place."
Un constat que partage Sonia Cardoner. Cette maman d'une jeune femme de 22 ans elle aussi en situation de handicap moteur et cognitif, est très engagée dans l'accompagnement des parents d'enfants handicapés. Elle est présidente d'une association - l'APEEIMC (association parentale d'entraide aux enfants atteints d'une infirmité motrice cérébrale) - et responsable du centre ressources enfance et handicap pour le Bas-Rhin, qui propose des solutions d'accompagnement loisirs pour ces enfants. Elle rencontre 200 à 250 familles par an, qui toutes connaissent ces situations d'angoisse.
"Il y a 20 ans, déjà, je partais moi-même en vacances d'été la boule au ventre, ne sachant pas exactement comment la rentrée de ma fille allait s'arranger. Aujourd'hui, elle est adulte, et son accompagnement par des structures adaptées est tout aussi problématique, dans le monde du travail.
Et c'est d'ailleurs là un des problèmes : les jeunes adultes ne sont pas accompagnés, donc restent dans les structures pour enfants, les IME. Ils ne libèrent pas la place pour les plus jeunes. Et comme de nouvelles places ne sont pas créées, beaucoup sont dans l'impasse dès le plus jeune âge..."
10.000 élèves en situation de handicap scolarisés en Alsace
Elle constate même une aggravation de la situation. "La crise sanitaire a été un coup d'arrêt. On avait l'impression de voir les choses un peu s'améliorer, mais là, il n'y a plus de volonté politique, plus de moyens... Oui, on parle de l'inclusion scolaire, on veut en faire une priorité. Mais il faut qu'elle soit bien faite, avec des AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap) en nombre suffisant, et surtout bien formés."
Il faut créer des places dans les établissements spécialisés, mais aussi former des AESH, et bien les former. Mettre les moyens.
Sonia Cardoner, responsable associative
À la rentrée 2021, dernier chiffre recensé par le rectorat, 4026 élèves étaient scolarisés en Ulis dans le primaire et le secondaire, sur les 10.174 reconnus en situation de handicap. 351 structures les accueillent, dont 133 au collège. Dont Louise, sauf déblocage de dernière minute, ne fera donc pas partie.
"C'est d'autant plus dommage que Louise aime l'école. Elle se réjouit d'aller au collège. Elle est curieuse, volontaire, hyper sociable, motivée. Mais il faut l'accompagner. Là, elle serait lâchée en pleine nature, sans même un AESH, car nous en avons demandé un, mais il manque beaucoup aussi. C'est une option tout simplement inenvisageable."
Louise et ses parents, comme tant de familles, s'apprêtent donc à passer l'été dans l'inquiétude et la recherche de solutions. Et une année de 6e bien plus angoissante que prévu.