Retour sur une période troublée : la Seconde Guerre mondiale, et ses conséquences sur la jeunesse en Alsace occupée. A l'occasion d'une exposition au Mémorial Alsace Moselle retraçant les méthodes d'acculturation nazie, nous avons rencontré un témoin de cette époque. Denise Luttenbacher nous raconte l'école sous la botte nazie.
"Sur la photo, c’est moi. On était un petit noyau de trois ou quatre, révoltés. On était complètement anti-nazis". Dans sa main, Denise Luttenbacher tient une photo en noir et blanc. Elle date de l’époque où elle avait douze ans, à Cernay, pendant la Seconde Guerre mondiale. Tout à coup, les sœurs de Ribeauvillé, à l’école, ont été remplacées par des professeurs allemands. "C’était bizarre". Chaque matin, Denise devait faire le salut nazi. Il fallait aussi éviter de parler le français, sous peine de payer une amende d’un mark. Par contre, l’anglais, lui, était enseigné. "Allez comprendre".
"On devait faire très attention à ce qu'on disait"
Et puis, il fallait prendre garde aux enfants de nazis, ou membres des jeunesses hitlériennes, dans la classe. "On devait faire très attention à ce qu’on disait", raconte Denise. La délation était monnaie courante. Ses parents, à la tête d’un salon de coiffure pour dames, devaient aussi être prudents avec leurs clients Allemands. Mais jamais, ils n’ont embrassé les idées nazies. Ils ont toujours poussé Denise à résister pacifiquement, nous dit-elle.
Et puis, il y a eu les obus. La cachette, dans la cave, avec les voisins, durant trois mois. Un obus était tombé sur le clocher de l’église de Cernay, le réduisant en poussière. Denise habitait juste à côté, avec ses parents et sa sœur, au centre de la commune. Impossible de rester à découvert. "Mais ce décembre-là, c’était mon plus beau Noël. On était tous ensemble", se souvient Denise, émue.
La jeunesse sous l'occupation nazie
Aujourd’hui, Denise a 92 ans. Son témoignage, clair et précieux, figure depuis quelques années dans la banque de données de la cinémathèque Mira. A la tête de l’association, dont le but est de collecter les photos et films amateurs du début du 20ème siècle, l’historienne Odile Gozillon-Fronsacq apprécie la précision du récit de Denise. "On se demande toujours comment cette jeunesse a pu survivre à l’occupation nazie. Voir qu’il y a eu des jeunes qui résistaient, poussés par leur famille, c’est rassurant, assure-t-elle.
Pour mieux comprendre le quotidien de cette jeunesse sous l’occupation, le Mémorial Alsace Moselle propose à Schirmeck une exposition intitulée "Intoxiquée ! La jeunesse sous la botte nazie". Y figure, notamment, le témoignage vidéo de Denise Luttenbacher, parmi d’autres précieux documents, photos et vidéos. Un aperçu de documents d’époque qui permet de cerner la brutalité de ce régime nazi.
"Il faut le raconter"
"Ils faisaient tout pour attirer la jeunesse, par les associations sportives, les compétitions, des rassemblements de jeunes sur le modèle des scouts… Les nazis essayaient de contrôler les enfants pour en faire de bons nazis, de bons soldats pour défendre le Reich" explique Alphonse Troestler, ancien délégué à la mémoire régionale de l’Alsace, en lien étroit avec le Mémorial.
Bien sûr, certains jeunes se laissaient séduire, étaient fiers de porter leur uniforme de la Hitlerjugend, la jeunesse hitlérienne. Un phénomène que le visiteur comprend mieux à la lecture de ces documents. Une plongée dans l’histoire salutaire. Parce que, comme le dit Denise, les yeux humides : "Il faut en parler, raconter. Nous, nous savons ce que traversent les personnes durant une guerre." Parler, et surtout essayer de ne pas laisser se répéter le terrible passé.
Exposition temporaire « Intoxiquée ! La jeunesse sous la botte nazie », à découvrir au Mémorial Alsace Moselle (Schirmeck) jusqu’au 12 novembre 2023.