Un maraîcher et producteur de fleurs de Wintershouse (Bas-Rhin) cultive également un millier de noyers. Durant trois semaines, la récolte des noix bat son plein. Des machines spécialisées facilitent la tâche, mais à chaque étape, une partie du travail reste manuelle.
Un vieux dicton alsacien dit "De Herrgott het dir Nusse gschenkt, àwwer er knàckt dir sie nit uff" ("Dieu t'a offert des noix, mais il ne te les ouvre pas"). Cette savoureuse version dialectale du fameux "Aide-toi, le ciel t'aidera" s'applique parfaitement à la manière dont se déroulent la récolte et le traitement de ces fruits à coque dans les vergers puis les hangars de Jean-Marc Schneider, à Wintershouse. Fructueuse, mais exigeante.
En effet, malgré les nombreuses machines très ingénieuses que ce producteur a dénichées dans la région grenobloise, principal secteur de production de noix françaises, à chaque étape, il s'agit de remettre la main à la pâte.
Par cette belle matinée de début octobre, malgré le soleil encore très chaud, le feuillage dense des noyers offre une ombre bien fraîche. A l'extrémité du verger, deux hommes s'affairent, regard au sol. Chacun tient un gros tuyau souple, raccordé à une drôle de machine. Le tout évoque un aspirateur géant, ce que confirme Jean-Marc Schneider : "On tient le tuyau en main, et on le passe sur une noix après l'autre. Chaque noix est aspirée dans la machine, qui fait le tri."
L'activité nécessite de la concentration, mais évite de devoir se baisser. "Ce système n'est pas nouveau, mais en Alsace, il est mal connu, précise le producteur. Dans la région de Grenoble, mais aussi en Isère et dans la Drôme, il y a des spécialistes. Cette machine vient de là-bas, et il en existe encore de bien plus grandes."
Un aspirateur et un "balai"
Dans le corps de l'engin, chaque noix "tape sur du caoutchouc dur" qui fait éclater le brou vert. La machine fait immédiatement un pré-tri : les noix de calibre standard aboutissent dans un filet, les brisures de brou vert et les petites noix dans un autre, et les feuilles et débris aspirés par mégarde sont rejetés.
Mais la machine recrache également en un gros tas les fruits encore entièrement enveloppés de leur brou, ainsi que les noix les plus grosses. Il faudra ensuite ramasser le tout à la main, et refaire le tri par la suite.
Un peu plus loin, autre méthode de ramassage, complémentaire. Là, le sol n'est pas aspiré, mais pour ainsi dire, "balayé". Philippe Schneider, le frère de Jean-Marc, et sa compagne, passent et repassent sur l'herbe une curieuse cage ovoïde aux barreaux souples, agrémentée d'un long manche. Au contact d'une noix, les barreaux s'écartent puis l'emprisonnent. Simple et ingénieux.
"C'est la première année qu'on l'utilise. On pensait que ça ne fonctionnerait pas, mais ça marche, sourit Philippe Schneider. C'est vraiment une bonne invention, on n'a plus besoin de se baisser."
En effet, l'an dernier, au moment de la récolte, il avait beaucoup plu, et toutes les noix étaient tombées en même temps et risquaient de pourrir. Il avait donc fallu les ramasser rapidement, mais le sol était trop mouillé pour l'aspirateur. Toute la famille Schneider avait donc passé plusieurs jours à genoux, à se casser le dos... et s'en souvient encore.
Un tracteur-vibreur
Lorsque le sol est entièrement "nettoyé" à un bout du verger, c'est un tracteur-vibreur qui entre en action, pour faire tomber les noix des arbres suivants. Comme pour certains fruits à noyaux, telles les mirabelles, le tronc est secoué, brièvement, mais énergiquement, à l'aide d'un long bras articulé. En à peine quelques secondes, l'arbre laisse tomber la totalité de ses fruits, et le ramassage peut reprendre.
Jean-Marc Schneider a planté près d'un millier de noyers en quinze ans, sur une demi-douzaine de parcelles, qui lui lui permet de récolter annuellement une dizaine de tonnes de noix. Il produit principalement la variété traditionnelle Franquette, de forme allongée, ou la Lara, plus sphérique.
"Pour le plaisir", il bichonne également quelques noyers "rubis" dont les fruits ont des cerneaux rouges. Ainsi que quelques "bijoux" dont les énormes coquilles (les "Goggelsnusse") étaient autrefois plébiscités par les bijoutiers, qui les tapissaient de velours pour y présenter des bagues ou des pendentifs.
"J'ai toujours aimé les arbres, et tout particulièrement les noyers, explique-t-il. J'ai fait une formation de menuisier avant de devenir agriculteur, et j'affectionne cette essence de bois. J'ai donc planté un verger, puis un autre. Et lorsqu'on investit dans des machines, il faut les rentabiliser."
Des vergers en agro-foresterie
Sur certains de ses vergers, les rangées de noyers sont espacées d'une quinzaine de mètres, ce qui lui laisse de la place pour d'autres cultures entre les troncs. "Comme je n'ai pas énormément de surfaces, cette technique me permet de continuer à cultiver du blé ou du colza, précise-t-il. Je le fais depuis une douzaine d'années, et devrais pouvoir continuer à le faire durant 10 ou 15 ans, jusqu'à ce que les arbres se développent pour former une charpente qui fera trop d'ombre."
L'autre avantage est que les oiseaux, attirés par les arbres, s'attaquent aux insectes nuisibles qui s'attaquent au colza. "Ce n'est pas un remède radical, mais ça aide bien." Dans les vergers où les noyers sont plus rapprochés, ce sont des moutons qui entretiennent l'herbe. Mais seulement au printemps, pour éviter le risque d'aspirer du crottin au moment de la récolte des noix.
Un second hangar construit l'an dernier
Après le ramassage, les noix aboutissent dans deux immenses hangars, où elles doivent être soigneusement triées. A la main, il faut écarter toutes celles grignotées par des rongeurs, ou malades, reconnaissables à leur coque voilée d'une membrane noire et collante.
Les fruits qui sont encore entièrement enveloppés de leur brou vert sont mis à part. Après une bonne semaine supplémentaire de maturation, le brou se détachera de lui-même. Les noix simplement vêtues de leur coquille, elles, sont menées par un tapis roulant jusqu'au sommet d'un immense séchoir de plus de six mètres de haut.
"Elles entrent directement par le 4e et dernier étage du séchoir, détaille Jean-Marc Schneider. Chaque étage peut contenir 1,20m de hauteur de noix, soit environ une tonne et demie."
Lorsque l'étage supérieur est plein, un système de manettes et de trappes fait tomber les noix un échelon plus bas. Le séchage, de sept à huit jours, est indispensable à la conservation. Il se fait avec de l'air pulsé, à température ambiante.
Les fruits passent ensuite dans une "calibreuse" qui les trie par taille : petites, moyennes et grosses. "Les grandes, je les vends dans leur coquille, précise le producteur. Les autres passent dans la casseuse pour en extraire le cerneau."
Cette "casseuse", machine bien nommée, peut traiter une cinquantaine de kilos de noix par heure. Elle brise les coquilles, mais laisse les cerneaux relativement intacts. "Avant, on ouvrait tout à la main avec un casse-noix et un marteau, se souvient Jean-Marc Schneider. Là, c'est quand même différent."
Mais là encore, la machine ne fait pas tout. Après, "il faut à nouveau l'intervention des petites mains" pour écarter les éclats de coquilles, séparer les deux moitiés de cerneau, et retirer la membrane centrale. Pour cette étape, ce sont les parents du producteur qui donnent de sérieux coups de main.
Les cerneaux trop petits ou brisés finiront en bredele de Noël, dans du pain aux noix ou en huile. Les autres, entiers et bien galbés, passent dans un déshumidificateur, puis sont emballés sous vide avant un petit séjour en chambre froide pour éviter tout risque de prolifération de vers, qui nuiraient à leur conservation. Ensuite, enfin, ils peuvent être proposés aux consommateurs. "Ce qui est bien avec la noix, c'est qu'on a trois semaines pour la récolter, et huit jours de séchage. Mais ensuite, j'ai toute une année pour la vendre, ce qui est très important" résume Jean-Marc Schneider.
Les noix de Wintershouse sont vendues sur divers marchés strasbourgeois (Boulevard de la Marne, Krutenau et rue de la Douane), directement à la ferme Schneider, ainsi que dans le magasin de la coopérative Hop'la à Oberhausbergen.