La fermeture définitive de l’équipementier automobile Thomé-Génot dans les Ardennes en 2006 n’est plus qu’un mauvais souvenir pour Mustapha Menacer, 55 ans, un ancien ouvrier licencié à l’époque. Sa reconversion en directeur d’enseigne haut de gamme est étonnante.
Ils étaient 316 salariés à se retrouver sur le carreau lorsque que la grande usine Thomé-Génot, leader mondial des pôles d’alternateurs, fermait ses portes à Nouzonville dans les Ardennes. En prime, la fuite des deux patrons à l’étranger poursuivis pour abus de biens sociaux. Mustapha Menacer, 43 ans à l’époque, ouvrier sur presse, voit son avenir de travailleur actif s'arrêter d’un coup. Une prime supra légale plus tard arrachée dans la douleur, quelques milliers d’euros pour calmer les esprits, et le voilà poussé vers la sortie avec les encouragements des organismes d’aide.
De son ancienne vie, Mustapha n’a voulu, dans un premier temps, ne conserver qu’une couleur : le bleu. Dans l’usine où il travaillait, devant son énorme machine de production, il avait sa banette bleue en cuir, son tablier professionnel de protection. Quand il décide le 7 avril 2007 de rebondir et de tenter un métier différent, c’est un autre tablier bleu, en coton cette fois-ci, qui va devenir sa nouvelle présentation.
Le hasard d’une errance dans le centre-ville de Charleville-Mézières en sortant d’une boîte d’intérim, va lui indiquer, ce jour-là, un autre chemin professionnel. "On avait signé un protocole de fin de conflit et il était stipulé que si, parmi les licenciés, quelqu’un ouvrait une entreprise ou un commerce, le Conseil Départemental et d’autres organismes locaux nous viendraient en aide financièrement, pour, au moins, débuter l’installation."
Je suis passé devant ce local à vendre, je n’y connaissais rien en commerce mais j’ai dit à ma femme qu’on allait essayer de l’acquérir et ouvrir à cet endroit une épicerie haut de gamme, l’idée m’est venue simplement comme ça. Quand tu as fait 26 ans d’usine, t’es bosseur, alors, tu trouves des solutions.
- Mustapha Menacer, directeur d'une épicerie fine à Charleville-Mézières
De Mustapha l’ouvrier à « Mouss » l’épicier
La rue du moulin à Charleville-Mézières n’a jamais si bien porté son nom : les clients de la petite épicerie rentrent et sortent au rythme des salutations qui n’en finissent pas. Ici, c’est «Mouss» que l’on vient voir, avant de tâter quelques beaux légumes et acheter ses produits rares. En quelques années, l’adresse est devenue un lieu de rencontres, un endroit où l’on aime refaire le monde chaque matin au milieu des bonnes choses à manger. C'est un personnage pétillant que décrivent ses clients fidèles, voire, un ami pour certains.Monsieur Nicolas, 85 ans, habite le quartier depuis 25 ans et a bien connu les débuts difficiles de"l'apprenti épicier". "Je l’ai soutenu lorsqu’il a changé d’orientation avec cette fermeture d’usine dramatique. C’est une belle reconversion, car il faut le dire, il y a souvent des échecs, donc, là, c’est une belle réussite et on le soutient en étant présent."
Il y a une ambiance, une sorte de sympathie qui se crée et ici on est accueilli par quelqu’un.
- Monsieur Nicolas, retraité, fidèle client de l'épicerie
« On vient pour la relation que l’on a avec lui et son sens de la clientèle, du service en fait. Il est très humain, et c’est pourquoi il fonctionne. »
Il n’y a pas que les légumes, il n’y a pas que les boîtes et les soupes, ici, on discute en plus.
-Mme Cohen, fidèle cliente et amatrice de soupes bio
L'odeur de la terre et plus celle du fer
Dans sa nouvelle "usine" aux bonnes saveurs, Mouss ne regrette pas sa deuxième vie. L’odeur des tôles, du fer et la poussière âcre des fourneaux qui crachaient les pièces pour l’industrie mécanique, a laissé place aux parfums suaves de ses fruits exotiques venus des quatre coins du monde. Le voilà maintenant conseiller pour faire bonne chère, spécialiste du bon goût et maître des douceurs sucrées. Rangés dans des caisses, ce ne sont plus les pôles d’alternateurs en acier qu’il manipule chaque matin, mais les mangues du Pérou alignées dans leurs présentoirs.Tout n’a pas été facile néanmoins au début de la belle aventure. L’enthousiasme et la bonne volonté n’ont pas suffi à Mustapha le premier semestre de sa nouvelle activité. Un stock de marchandises à acheter, une clientèle à séduire, et l’investissement de départ qui fond comme neige au soleil. Le projet a connu une période de doute et d’incertitude. « J’avais investi tout l’argent que j’avais, je n’avais rien gardé comme petite réserve des fonds de roulement. C’était une erreur mais elle était justifiée car, au début, j’avais besoin de remplir le magasin, je ne pouvais pas faire une demi-épicerie, je n’avais pas le choix. »
Au bout de six mois, je me suis retrouvé à découvert, sans autorisation de dépassement et il a fallu que je trouve des solutions rapidement.
- Mustapha Menacer, responsable épicerie" Gourmets gourmandes" Charleville-Mézières
Les nuages menaçant qui planaient au-dessus de son début de carrière se sont dissipés aujourd’hui pour Mustapha. La confiance est de mise sans pour autant se croire sauvé à jamais. L’ancien ouvrier garde un œil bienveillant sur ses années de fer et en tire une leçon :
Je suis content d’avoir été licencié, sinon, je serai resté dans l’usine je pense, et je n’aurai pas connu toutes les belles personnes que j’ai rencontrées là.
-Mustapha Menacer, responsable Gourmets gourmands à Charleville-Mézières