Ardennes : confinés dans un village enclavé, ils s'organisent sans téléphone portable et avec internet à très bas débit

Dans la pointe des Ardennes près de Givet, le petit village de Landrichamps est enclavé et loin de tout. Il ne dispose pas encore d'un réseau de communication très efficace. Les téléphones portables ne passent pas dans cette zone blanche, Internet est reçu par satellite.  

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"C'est un trou de verdure où chante une rivière, accrochant follement aux herbes des haillons d'argent ". Ces premiers vers du poème d'Arthur Rimbaud, le dormeur du val ( 1854-1891 ), semblent avoir été inspirés, peut-être, par la beauté du village de Landrichamps. À quelques kilomètres de Givet, dans la pointe des Ardennes, la Houille, une rivière, traverse en effet le bourg. Elle sert de miroir aux arbres hauts, à cette forêt dense qui encercle l'endroit.

Pas de bruits gênants, pas de circulation, un silence presque rare, percé de chants d'oiseaux. La départementale qui vous amène ici s'y arrête, on ne va pas plus loin, c'est une impasse dans la campagne. 

 

Pour ces 133 habitants, les Landrichampenois, ce serait le paradis s'ils pouvaient partager cette idée au reste du monde avec leurs smartphones et leur réseau internet. La situation du hameau, dans une cuvette de verdure, est un vrai problème pour la réception des ondes électromagnétiques de communication. Le centre du village et ses alentours sont en zone blanche encore à ce jour, (avril 2021) ça ne passe pas. La situation sanitaire et le nouveau confinement n'arrange pas les choses. 

 

 


" Allo? Allo? ...."

En ce matin du lundi 12 avril, la traversée du village se fait en cinq minutes. Tout est simple ici : il y a la rue de l'église, la rue du village, et au bout de celle-ci, il y a Olivier Gérard qui travaille sur sa maison. Quand on lui demande d'expliquer son quotidien sans réseau ou avec si peu, il s'arrête net et soupire : "Le problème, c'est vraiment le portable ici !" me lance-t-il en guise d'introduction.

" Au mieux, on arrive à avoir l'opérateur Orange, mais on bascule souvent sur les réseaux belges, on est à côté. Moi, là où je suis situé, c'est encore pire, car j'ai la colline derrière la maison, alors, il faut aller jusqu'au début du village où ça passe un peu, ou sur la colline, sur les hauteurs. Pour la plupart, on a internet par la parabole avec l'opérateur Nordnet, et on a ainsi un téléphone fixe avec l'offre".
 

 

En plus, avec le téléphone fixe de la parabole, quand on téléphone, il y a un décalage de quelques secondes avec la personne. C'est un peu comme les journalistes en direct à la télé.

Olivier Gérard, habitant de Landrichamps dans les Ardennes

 

" On récupère dans la rue le code de validation de nos achats internet ! "

Rien n'est facile dans ce petit bout de France loin des antennes : les achats sur le net demandent avant tout d'être sportif et motivé. Pour Olivier, c'est un drôle de manège qui commence lorsqu'un membre de la famille passe une commande sur l'ordinateur de la maison. Il raconte ce moment : "Quand on achète sur internet, il y a certains sites qui demandent une validation. Ils nous envoient un code par message sur nos portables, alors, on est obligé de sortir de la maison, d'aller vite chercher du réseau dans le village, et on court ensuite pour valider. Il faut se dépêcher".

Pour les SMS qu'il envoie chaque jour, Olivier a trouvé la parade. Il utilise les réseaux sociaux et c'est par le service Messenger de Facebook qu'il discute avec monsieur le maire ce matin. Il n'a pas le choix, son portable est indisponible.

 

 

Etudes, distanciel, télétravail, ça rame !

Derrière la grande baie vitrée, sur la table de la salle à manger, Antoine, 21 ans, a installé son ordinateur. Pour cet étudiant en DUT mesures-physique à Reims, ses études à distance sont une double-peine. C'est un des rares jeunes adultes de cet âge dans le village, et pour lui, une bonne connexion avec la toile est encore plus indispensable que pour ses voisins.

 

Que ce soit pour la recherche d'informations ou la consultation de documents, la galère internet commence au premier clic de souris. Antoine décrit son quotidien avec résignation : "Mon tout premier confinement, je l'ai fait à Landrichamps et j'ai vraiment souffert de cette lenteur du réseau. En ce moment, je suis en deuxième année DUT et je fais normalement un stage à la centrale nucléaire de Chooz, sauf qu'ils m'ont imposé du télétravail à cause des restrictions sanitaires. 

Je dois pouvoir accéder à des sites liés à mon entreprise, c'est compliqué ici. Je dois m'adapter et trouver des moyens palliatifs pour y arriver. Nous, ici, en famille, on a la chance d'avoir un réseau de l'opérateur Free avec une box et un peu de wifi, ( moins de dix personnes peuvent prétendre être éligibles et profiter du dégroupage chez Free dans le village. Ndlr ), mais on a un débit très faible."

Concrètement, quand on fait une simple recherche sur le net, ça rame ! Ça prend plus de temps pour s'afficher. Si on a des fichiers trop gros à télécharger, théoriquement, on peut le faire, mais ça prendrait plusieurs jours, alors, on laisse tomber. Au plus bas, on peut frôler les 10 Kilos octets/secondes seulement.

Antoine Prince, étudiant, Landrichamps. Ardennes.

 

"Dans la famille, on a dû s'organiser. On a un emploi du temps respectif et on fonctionne par ordre de priorité. Quand quelqu'un est en visioconférence, par exemple, on essaie de se mettre tous en "mode avion", pour économiser le Wifi. On concentre le réseau sur celui qui en a besoin. Moi, en tant que jeune, je n'ai jamais pu jouer aux jeux en ligne en réseau avec les copains, ou voir des films en streaming, ça n'est pas possible à la maison". 

Quand on demande à Antoine ses astuces pour récupérer du débit ou de la connexion, il nous confie avec le sourire : "Il m'est déjà arrivé de prendre mon ordi portable parce que j'avais des fichiers à télécharger pour mes partiels et de monter vers un parking en voiture à un endroit où j'ai du réseau. J'ai fait un partage de connexion avec mon portable et mon ordinateur pour récupérer les documents. Un policier municipal en patrouille m'a demandé des comptes, mais il a été compréhensif, et il a vu la situation. "

 

Pas de réseau performant, pas de nouveaux habitants

Les belles maisons de pierre jaunes sont toutes alignées de chaque côté de la rivière. Autour de l'église silencieuse, d'autres espaces et biens immobiliers feraient la joie de quelques acquéreurs. Sébastien Paulet, maire du village n'attend que cela, de nouveaux arrivants seraient les bienvenues. Il y a cependant toujours cette fameuse question qui lui revient : " Ça passe bien ici le téléphone et internet ?"

Même avec le plus bel enthousiasme, difficile pour monsieur le maire de promettre des services optimaux et un réseau numérique efficace pour le moment. Entre deux salutations à ses administrés par-dessus la haie, il nous confie que "chaque fois que quelqu'un veut acheter ou même louer un bien, il est enchanté par le village, mais, la seule chose qui le rebute, c'est l'accès aux nouvelles technologies.

 C'est vraiment ce qui coince, on a perdu de futurs habitants. On a un logement communal au-dessus de la mairie qu'on va relouer prochainement, des familles l'on visité, mais pour les enfants, ils veulent internet tout de suite, et c'est bloqué pour l'instant".

Quand il pose sa casquette de maire, Sébastien Paulet est entrepreneur dans les espaces verts. Il avoue que la communication à distance est souvent compliquée avec ses clients, le téléphone portable est une nécessité absolue aujourd'hui.

" Vite ! appelez les pompiers, la police ! "

En cas d'urgence, la sécurité de chacun est mise à mal dans ce territoire loin des secours. La forêt de Landrichamps est une terre de chasse, de nombreux habitants sont âgés, le portable peut ici sauver des vies.

Le maire souligne cet impératif : -" On a l'ambition d'ouvrir deux chemins de randonnées prochainement. En cas d'appel des secours on ne sait pas comment faire. Il n'y a pas d'appel d'urgence ici, il n'y a rien qui passe. À vol d'oiseaux, on est pourtant à moins de deux kilomètres de la centrale de Chooz, derrière la colline."

On est dans le périmètre de sécurité de la centrale nucléaire, mais on ne peut pas prévenir nos habitants par SMS en cas de problème. Ici, les messages ne passent pas.

Sébastien Paulet (SE), maire de Landrichamps dans les Ardennes

 

 

"Un petit débit internet vaut mieux que rien ! " C'est peut-être la maxime du moment au pays des Landrichampenois. À l'entrée du village, Gilles Favet, un heureux retraité très intéressé par les nouvelles technologies, se voit comme un privilégié.

Lui aussi profite d'un dégroupage des services de l'opérateur Free. En clair, il possède enfin une box et un abonnement pour utiliser un téléphone fixe et internet. Dans le village, c'est un  luxe numérique.

 

 

Assis derrière son écran, il nous décrit son installation : "La ligne téléphonique classique du village est éligible à certains endroits, au début du village, pour un dégroupage de l'opérateur Free. J'ai la chance de bénéficier d'un abonnement Free, avec cependant un débit moindre. Je suis gâté par rapport à d'autres qui utilisent Nordnet avec la parabole et qui doivent recharger leur forfait lorsque leur débit est épuisé. Ils ont des frais de dépassement. Moi, j'ai un fixe et une connexion internet au moins. "

 


Le village de Landrichamps voudrait profiter du projet d'installation d'un des huit nouveaux pylones téléphoniques prévus dans les Ardennes. En attendant une décision et cette nouvelle connexion pour les portables, la fibre internet pourrait, quant à elle, faire son arrivée dans les rues du bourg et changer radicalement le quotidien des habitants pour l'été 2021. 
 

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