L'association A Cloche Fontaine, située à Charmont-sous-Barbuise dans l'Aube, se retrouve au coeur d'une polémique. Pour annoncer leur spectacle "Moi je me souviens", qui doit avoir lieu lors des journées du Patrimoine, les bénévoles ont utilisé et modifié une affiche de la propagande allemande de la seconde guerre mondiale, suscitant incompréhension et colère du côté de la fédération des déportés, internés et résistants de l'Aube.
Maladresse ? Cela semble être le cas. Mais quand cette maladresse touche l'histoire, celle de la seconde guerre mondiale, elle émeut bon nombre d'anciens résistants et déportés et d'Aubois.
À Charmont-sur-Barbuise, à une vingtaine de kilomètres de Troyes, une association culturelle, A Cloche Fontaine, travaille sur son dernier spectacle "Moi je me souviens. Ou la seconde guerre mondiale vue par les yeux d'enfants". Un spectacle produit au château du village, siège de l'association, durant le week-end des journées du patrimoine. Pour en faire la promotion, l'association a utilisé et modifié une affiche de la propagande allemande, suscitant polémique et émotions.
"Cette affiche a été conçue sur la base de notre scénario," explique Mathieu Baty, Président de l'association A cloche Fontaine.
"Nous avons fait beaucoup de recherches historiques locales. Nous avons aussi interviewé les plus anciens du village qui ont pu témoigner de leur ressenti, leur vécu d'enfant à l'époque. Forts de tous ces éléments d'archives, nous avons essayé de constituer une histoire, un scénario qui a fondé ce spectacle. Et pour l'illustrer au mieux, on a essayé de réaliser une affiche qui parle de tous ces faits. À Charmont-sous-Barbuise, on a eu l'exode, l'occupation allemande et la libération. Et le temps fort, qui a occupé la période la plus tragique a été l'occupation allemande. On joue donc autour des témoignages d'enfants qui ont vécu cette période de guerre pour raconter ces faits historiques".
L'association A Cloche Fontaine, fondée en 2007 pour sauver une des églises du village, l'église Saint-Alban, propose depuis plusieurs années des spectacles historiques. "La Révolution, la campagne de France, mais aussi la guerre 14-18, explique Olivier Renault, cofondateur de l'association et scénariste des spectacles. Notre objectif est de mettre en valeur le patrimoine local et notamment le château de Charmont. Cette année, nous racontons la seconde guerre mondiale".
"On ne voyait pas à mal"
Pour mettre en place le scénario de ce nouveau projet culturel, les bénévoles de l'association culturelle de Charmont-sous-Barbuise, s'appuient donc sur les récits récoltés auprès des habitants. Des souvenirs forts de la résistance, mais aussi de l'arrivée de la Wehrmacht dans le village. "Une ancienne du village, décédée depuis, a vécu des périodes de résistance, explique encore Mathieu Baty. Elle a aussi aidé, avec ses parents, à protéger des familles juives".
C'est une affiche largement diffusée, et la remettre sur le devant de la scène pour en raconter l'histoire et son impact, nous intéressait.
Mathieu Baty, président de l'association A Cloche Fontaine
"Un ancien nous a dit aussi, que lorsque les Allemands sont arrivés, il les avait regardés avec des yeux ébahis. Ils avaient une image, non pas de libérateurs, mais ils distribuaient des gâteaux, comme l'ont fait les Américains avec les chewing-gums, sauf que ce n'est pas du tout la même approche. Cette vision d'enfant était différente de celle des adultes".
Dans leurs recherches historiques, l'association trouve une affiche de la propagande allemande. "Nous, on ne voyait pas à mal. Cette affiche, on l'a retrouvée dans les archives. D'ailleurs, on la retrouve facilement sur le Net, dans tous les livres d'histoire. On connaît sa symbolique. On en a conscience, reprend Mathieu Baty, le président de l'association A Cloche Fontaine. Nous, le visuel nous intéressait parce que, finalement, c'est une affiche largement diffusée, et la remettre sur le devant de la scène pour en raconter l'histoire et son impact, nous intéressait. L'image de ces enfants, de ce soldat allemand, on a essayé de la modifier parce qu'on voulait parler des autres périodes de l'occupation. On a voulu faire ce chevauchement".
Cette affiche nous a fait mal. C'est comme un coup de poing. Ces affiches, je les connais. Elles ont ponctué ma jeunesse. J'avais 12 ans en 1944 dans ma famille de résistants.
Jean Lefèvre, Co-président de l'association des déportés, internés, résistants, patriotes (ADIRP) de l'Aube
C'est en toute conscience de ce que représente le document de propagande que Mathieu Baty et les membres de l'association décident de l'utiliser comme outil de promotion, en la modifiant. Ils remplacent les insignes de la Wehchmacht apposés sur la veste du soldat allemand, par un drapeau américain, puis y inscrivent les renseignements liés au spectacle et notamment son titre : "Moi je me souviens. Ou la seconde guerre mondiale vue par les yeux d'enfants". "C'est ce chevauchement qui pose problème, précise encore le président. Dans les critiques qui nous sont faites, le fait de chevaucher soldat allemand et soldat américain, ça crée l'ambiguïté. Ça peut changer, pour certains, la signification de cette affiche, alors que ce n'est pas notre but."
"Nous affirmons clairement que nous n'avons jamais eu, à travers cette affiche, aucune arrière-pensée, aucun message d'aucune sorte. C'était purement esthétique, pour servir le spectacle. Sur scène, les spectateurs verront l'affiche de mobilisation, l'annonce de l'arrivée des Allemands et leur arrivée au village. La prise du château et sa transformation en Kommandentur. On y parle aussi des habitants faits prisonniers, des actes de résistance et de l'arrivée des soldats américains. J'ai mis en scène tout cela en épluchant les archives en mairie. Ce seront 30 minutes d'un spectacle très visuel pour le public".
Indignation
La sortie de cette affiche en plein mois d'août a suscité beaucoup d'émotions. Ce mois d'été est celui de nombreuses commémorations autour de la libération des villages aubois. Un mois, où la population se souvient, un peu plus, des moments tragiques de son histoire, pense à ses morts.
À Buchères, à 30 kilomètres de Charmont-sous-Barbuise, l'association des déportés, internés, résistants, patriotes de l'Aube a commémoré, le 24 août dernier, le 79e anniversaire de la libération du village. "Le détournement de cette affiche de la propagande allemande, qui était très active, très habile, nous a beaucoup émus, explique Jean Lefèvre, Co-président de l'association des déportés, internés, résistants, patriotes (ADIRP) de l'Aube. Cela nous a mis un peu en colère. Vous savez que sur cette affiche, il y a le soldat allemand qui est le sauveur, le protecteur des enfants. Or, nous sommes ici à Buchères, juste devant le monument aux morts, et ici, il y a eu 67 personnes massacrées le 24 août 1944, dont 21 enfants et parmi eux, 5 bébés. Alors comme protection de l'enfance, il y a mieux. Le fait d'avoir utilisé cette affiche, de l'avoir détournée, témoigne d'une méconnaissance. On s'en sert comme un support culturel, ce qui témoigne d'une perte des valeurs démocratiques et patriotiques, dans un pays qui, aujourd'hui, est gangrené par les idées d'extrême droite. Cette affiche, nous a fait mal. C'est comme un coup de poing. Ces affiches, je les connais. Elles ont ponctué ma jeunesse. J'avais 12 ans en 1944 dans ma famille de résistants. Mes oncles, ma mère ont été arrêtés et fait prisonniers. Quand je la vois, je me dis que ces gars-là, ils n'y connaissent rien. Pourquoi ils l'utilisent. Est-ce que c'est volontairement ? Est-ce que c'est bêtement ? Cette association va certainement réfléchir. S'ils veulent changer leur affiche, j'applaudirai à deux mains."
Regrets
"Je comprends que cela choque, dit encore Mathieu Baty, mais je ne voudrais pas, si on fait machine arrière, que l'on dise de nous, ils n'assument pas. Au sein de l'association, nous n'étions pas unanimes. C'est aussi, moi, qui ai porté la responsabilité de cette affiche. À travers elle, je voulais assumer ces faits. Ne pas la montrer, ne pas pouvoir y toucher, c'est sacraliser cette affiche, c'est sacraliser la propagande. Cela semble être un non-sens. La remettre sur le devant de la scène comme un fait qui a existé et qui n'est pas à refaire... on l'a détournée pour en dire autre chose. Pour nous c'était un peu subtil comme démarche de remplacer l'insigne allemand par le drapeau américain".
"Nous sommes prêts à parler avec les personnes de l'association des déportés, pour s'excuser. Comment cette histoire peut-elle se terminer ? Que proposent-ils pour que les choses soient réparées".
Olivier Renault, scénariste et bénévole de l'association A Cloche Fontaine
La polémique laisse, aujourd'hui, la place aux regrets. "C'est plus un choix graphique et esthétique qui a fait que l'on se retrouve dans cette polémique, reprend Mathieu Baty. Il y a forcément du regret car mon intention et celle de l'association n'étaient pas mal intentionnées. Il n'y avait pas de sous-entendus. La maladresse graphique et le fait que l'on n'est pas pris assez de recul fait, que je regrette sa conception, notamment dans la modification avec le drapeau américain, qui masque les insignes allemandes. Pour apaiser les intentions et arrêter la polémique, il faudrait revoir cette affiche et la laisser tomber".
"La diffusion de l'affiche sur la page Facebook de l'association a été le point de départ, regrette Olivier Renault, bénévole, scénariste de l'association A Cloche Fontaine. Tout de suite nous avons eu un message critique d'une personne sur la page, puis il a prévenu les médias locaux. Je ne comprends pas cette réaction. Cette personne aurait pu contacter directement notre association plutôt que d'appeler le journal. Je regrette aussi que l'association des déportés ne nous ait pas, non plus, appelés. Tout s'est fait par l'intermédiaire des médias. On ne s'est jamais expliqués directement. Bien entendu, nous sommes prêts à nous excuser, à regretter. L'affiche a été retirée de Facebook, est en cours de retrait de la page des journées du patrimoine et un graphiste travaille sur un nouveau support de communication".
"Nous sommes prêts à parler avec les personnes de l'association pour s'excuser, reprend Olivier Renault. Comment cette histoire peut-elle se terminer ? Que proposent-ils pour que les choses soient réparées".
60 comédiens et des musiciens seront sur scène le 17 septembre au Château de Charmont-sous-Barbuise, symbole, lui aussi de l'occupation allemande lors de la seconde guerre mondiale.
Tous espèrent voir cette polémique apaisée.