Il est le "Troyen de l’année 2022". Il est aussi Estrella Gold, drag queen à Troyes, dans l’Aube. Etienne Charpentier veut faire bouger les choses. Il se définit comme membre de la "communauté queer", et veut mettre sa renommée au service des "invisibilisés".
"Troyen de l'année 2022", mais surtout humble : c'est ce que l'on ressent, lorsqu'on entend Etienne Charpentier. Cet habitant de Troyes (Aube) de 43 ans s'est vu décerner ce titre, il y a quelques mois.
Tatoué de part et d'autre de ses bras, barbe fournie, il aime aussi s'exercer à sa deuxième activité : être une "drag queen". Fan de "make-up", d'esthétique et de strass, celui qui aime s'appeler aussi Estrella Gold compte mettre sa médiatisation à profit, pour aider ceux qui en ont besoin. Portrait.
L'altruisme avant tout
De sa passion qu'il exerce depuis septembre dernier, il veut en faire quelque chose d'utile. "À un moment donné, je me suis dit qu’il faut que j’arrête de me dire que la société ne m’autorise pas à faire ce que je veux, et donc je me suis permis de le faire. Je me suis dit que je le fais bien, que j’étais content de le faire. Avec le Troyen de l’année, je me suis rendu compte que dans la communauté queer, l’artiste drag queen est quelqu’un qu’on va forcément voir", détaille l'artiste.
"12 centimètres et demi de talons", des plumes pour lui, des perruques pour d'autres : Etienne sait qu'il est vu. Il estime que c'est une chance : "En tant qu’artiste, c’est qu’on peut attirer des gens qui ne sont pas dans la compréhension, qui ne savent pas trop. C’est un peu une voie royale qu’on a et dont je veux faire bénéficier la communauté". Spontané, il ne mâche pas ses mots, en particulier pour ces personnes qui "ne sont pas dans la compréhension".
"Aujourd’hui, si on rencontre des difficultés, c’est parce que les gens ont peur. Je pense que la vraie méchanceté, tout ce qui peut être négatif autour de ces phobies, sont rarement fondées. À partir du moment où on va commencer à discuter avec des gens homophobes, transphobes, généralement on démonte assez vite leur raisonnement : à partir du moment où on l’explique, on se rend compte que souvent ce n’est pas fondé derrière. C’est juste de la peur. Ils ont peur qu’on touche leur masculinité, qu’on fasse du mal à leurs enfants, qu’on transforme leur vie à eux. Alors qu’on a juste envie de vivre la nôtre en fait", se désole Etienne Charpentier.
Une adversité à l'origine de son engagement
Etienne, alias Estrella Gold, fait face à certaines personnes réfractaires. Qu'importe : il se fixe l'objectif de rendre le monde meilleur, à sa façon. "J'essaie de changer la face de ma ville, du monde, des gens qui m’entourent. Plutôt apporter, qu’enlever. Mettre des paillettes dans la vie des gens, c’est ce que je sais faire de mieux. Cette légitimité-là, en tant que "Troyen de l'année" mais aussi comme drag queen, me donne envie de dire ‘regardez-nous ou ne nous regardez pas, mais ne venez pas nous stigmatiser, car mon bonheur n’empiète pas sur le vôtre’", explique l'artiste.
Il a en effet eu le titre de "Troyen de l'année 2022". Pour autant, pas question d'avoir trop d'orgueil. C'est au contraire le moment d'aider les autres : "Ce titre et le côté drag m’ont donné envie de me rapprocher du milieu associatif existant. Sauf qu’ici, les choses existent mais on n’en parle pas. Même dans la communauté queer dont je fais partie, on n’est pas au courant. C’est la troisième Pride cette année à Troyes. Moi, je la découvre, après avoir découvert une association qui s’appelle Aux adelphes."
Etienne s'attriste de ce manque de visibilité : "D’autres associations comme Nous toutes et Ecoféministes organisent la Pride, ce sont de jeunes personnes pleines d’envie et d’énergie. Je trouve ça aberrant qu’on n’en parle pas : j’ai envie d’être leur voix. Je suis juste en train de profiter de la lumière qu’on me donne, pour mettre la lumière sur eux. Pour travailler avec eux, mais sûrement pas sans eux. Ils font le travail, et j’ai juste envie de les accompagner."
Du réalisme et une pointe d'inquiétude
Dans cet enthousiasme, Etienne tient tout de même à nuancer son propos. Pour cette 10e date anniversaire de l'apparition du "mariage pour tous", il se montre positif, mais un peu amer. "Je pense que le "mariage pour tous" a changé les choses, comme toutes les avancées autour de cette population queer. Ca offre une visibilité, mais en même temps, ces avancées ne vont pas assez vite. Aujourd’hui, par exemple, on commence à pouvoir donner son sang en étant homosexuel", se désole le Troyen.
"Même marié, il y a quelques années encore, on ne pouvait pas car on est une population qui n’est pas fidèle et qui a des partenaires multiples obligatoirement. Ces clichés-là ont encore la vie dure Il reste vrai qu’il reste plein de gens pour qui il est plus facile de stigmatiser sur des effets négatifs, sur le fait qu’on va perturber les enfants, amener des maladies comme le Sida. Ils n’ont pas d’arguments et utilisent ces négativités-là pour nous attaquer", complète-t-il.
Autre point qui le préoccupe : la hausse récente des agressions à l'encontre des personnes LGBTQIA+. L'homme généreux et enjoué se montre inquiet : "Même quelqu’un comme moi, vit dans la peur, je ne suis pas à l’aise. J’admets que dans ma vie, j’ai déjà été heurté à l’homophobie. Violemment, moralement mais pas physiquement en tout cas. À Troyes, je me suis jamais encore permis de me promener en drag-queen. On l’a fait une fois, on a eu une voiture qui s’est arrêtée en lançant des quolibets. Aujourd’hui, on ne peut pas être safe dans la rue, c’est certain. On a toujours le sentiment qu’on est pris pour de la provocation, alors qu’on veut juste être ce que l’on est."
Soucieux de ne pas terminer sur une note triste, il nourrit l'espoir d'une France plus apaisée : "J’ai vraiment cette idée de fédération, ce côté positif de dire ‘soyons ensemble et solidaires’". En espérant que ce rêve devienne réalité.