Témoignage. Océane, à Troyes, en situation de handicap: "Mes camarades de classe sont devenus mes aidants"

Publié le Mis à jour le Écrit par Florence Morel

Océane Michel a 21 ans et vit à Troyes. En fauteuil roulant depuis l'été 2016 à la suite de deux accidents de la route, elle se bat désormais tous les jours contre les préjugés. Des idées préconçues qui émanent à la fois de ses professeurs, du corps médical et de sa famille. Rencontre.

Quand Océane nous reçoit ce matin d'avril, ses lunettes de soleil ne sont pas de la coquetterie, mais un outil médical. Au même titre que son fauteuil roulant, ses lunettes posées sur le bout de son nez lui sont indispensables. La jeune Auboise est handicapée à 80%, dans l'incapacité de marcher. En plus de sa motricité, elle perd progressivement la vue et l'audition.

Quelques gouttes de pluie ont mouillé les carreaux de son studio, situé au centre-ville de Troyes. Son lit, son canapé et son bureau sont poussés contre les murs pour faciliter au maximum les déplacements d'Océane dans son fauteuil électrique. Au-dessus de son bureau, une plaquette avec l'alphabet en braille rappelle le combat à venir pour Océane : la perte annoncée de sa vue.
 

 

Deux accidents de la route en juillet 2016

Tout a commencé en juillet 2016. Océane est victime d'un premier accident de la route. En apparence saine et sauve, elle repart de l'hôpital de Troyes sans examen médical. Trois jours plus tard, deuxième accident. Océane est en scooter, et aurait percuté une voiture, sans que l'on sache qui est responsable de la collision. La jeune fille perd connaissance, ne se souvient de rien. Là encore, à l'hôpital, ni scanner ni IRM ne sont pratiqués. Seule une radio de la colonne est effectuée. Elle ressort le soir même, sur ses deux jambes, persuadée de s'en être sortie sans dommages.

Les premiers symptômes se font très vite ressentir. Son pied gauche se tord vers l'intérieur, sa motricité se réduit. Le côté droit de son corps se paralyse petit à petit. En un mois, elle est incapable de bouger, son pied est totalement retourné.

Alors à la fin de son année d'études pour devenir aide-soignante, Océane comprend qu'il va falloir revoir ses projets de vie. Finie la carrière au service de la santé des autres, elle sera désormais du côté des patients. Finies aussi l'indépendance et la vie au volant d'une voiture ou d'un deux roues. Océane, après trois mois d'hospitalisation, retourne vivre chez ses parents, à une vingtaine de kilomètres de Troyes.

Océane jongle entre les heures de kiné, de soins et les cours : 

Un an et demi avant d'obtenir une chaise de douche

Un long parcours semé d'embûches administratives débute. Tout d'abord, elle s'adresse à la maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) de l'Aube, à qui elle demande un fauteuil électrique. Sa demande est étudiée. Son handicap est reconnu en décembre de la même année. "Je suis reconnue handicapée à plus de 80%, j'ai la vignette de stationnement. Mais dès qu'il faut m'accorder une haute physique ou financière, ça bloque totalement", regrette-t-elle.

Elle en veut pour preuve les difficultés qu'elle a rencontrées avant qu'on ne lui octroie une chaise de douche. "Pour me laver, on a dû m'attacher sur une chaise de jardin, pour ne pas que je tombe, pendant un an et demi." "Nous lui avons proposé une chaise, il suffisait d'aller la chercher chez un fournisseur", rétorque Didier Malnoury, directeur de la MDPH de l'Aube. "On a eu des premiers blocages de la part de la MDPH puis du fournisseur, rectifie Emmanuelle Martin, qui accompagne Océane dans son quotidien. J'ai dû menacer l'ergothérapeute, qui maintenait qu'il n'y avait pas la place pour une chaise de douche chez Océane, d'en référer à sa direction. Puis on s'est aperçu que le département avait payé, et là, c'est le fournisseur qui ne répondait plus."

Une chaise de douche, et un fauteuil aussi. Océane se déplace encore aujourd'hui grâce à un fauteuil que lui prête l'association "Enfance Lyme & Co", sans lequel elle ne pourrait toujours pas circuler. "Je peux pas du tout marcher, souligne-t-elle. Sans fauteuil, je resterais alitée toute la journée." Et d'ajouter : "Le motif qu'on m'a donné, c'est que si je remarche demain, on me financera un fauteuil pour rien." Didier Malnoury, le directeur de la MDPH le concède, "ce n'est pas normal qu'elle n'ait toujours pas de fauteuil adapté", tout en reprochant à la Troyenne son manque d'implication. "Nous avons proposé un fauteuil électrique à Océane, qui n'est pas allée au bout de ses démarches", pointe-t-il. En cause: cette dernière préfère finalement un fauteuil avec un système de verticalisateur (lui permettant de se tenir debout), qui serait plus adapté. Plus cher aussi. "Pas indispensable", jugent le directeur de la maison départementale et le médecin employé par la structure.

"C'est toujours comme ça, renchérit Emmanuelle Martin, de l'association "Enfance Lyme & Co". Océane ose dire qu'elle n'est pas d'accord, et on lui rétorque qu'elle devrait s'en accommoder."  
 

Un combat dans sa vie personnelle et au lycée

L'Auboise ne compte pas en rester là. Elle parle à son ergothérapeute de sa volonté de reprendre les cours, le sport aussi. "Elle m'a répondu que le sport, dans les cas comme le mien, ce n'était pas une obligation", se souvient-elle. En septembre 2017, elle s'inscrit en BTS comptabilité au lycée Marie de Champagne à Troyes. Entre temps, elle réussit à louer un studio auprès d'un bailleur social, grâce notamment à son allocation pour personne handicapée et sa bourse d'étude.

Là encore, les choses sont loin d'être gagnées. Malgré une direction à l'écoute "dans un premier temps" et un diplôme aménagé sur trois ans au lieu de deux en raison de ses soins, Océane subit les remarques de ses professeurs.

"C'est : 'Oh, Océane est encore absente.' Mes camarades l'entendent et me le racontent. Sauf qu'ils savent bien pourquoi je suis absente."
- Océane Michel, en situation de handicap

Mais à force, elle sent bien qu'eux-aussi doutent de ses motivations. Quand on lui rapporte l'incident, l'inspecteur d'académie s'offusque : "Il n'est pas question qu'on néglige ces choses-là (...) Les remarques des enseignants ne sont pas acceptables." 

"Sur mon bulletin, il n'y avait aucune remarque positive. Tous les professeurs ne constatent que mes absences, se désole-t-elle. Sans compter que beaucoup d'entre elles sont dues à des cours déplacés à la dernière minute à des jours où il est prévu que je n'aille pas en cours." A ses côtés, Emmanuelle renchérit : "Océane est en décrochage. C'est difficile pour elle d'être confrontée à tout cela."

"J'aimerais m'intégrer auprès des gens de ma classe, mais ils sont devenus mes aidants", Océane témoigne de ses difficultés dans son lycée: 

5h45 de soins par semaine

La vie d'Océane n'est pas de tout repos. Chaque jour, elle doit jongler entre 2h45 de présence d'auxiliaire de vie pour ses soins, ses repas et ses courses. "J'ai demandé une heure quotidienne de plus, car on dépasse tous les jours. Mais la MDPH refuse de me l'accorder, me répond que je n'ai qu'à me la payer." Elle raconte :

"Une heure de plus me permettrait de pouvoir me déplacer en sécurité. Pour le moment je fais tous mes trajets seule parce que je n'ai pas le choix. En décembre dernier, je me suis faite renverser car je n'ai pas entendu la voiture arriver. C'est elle qui était en tort parce qu'elle regardait ailleurs, mais si je l'avais entendue, j'aurais pu l'éviter."
-Océane Michel, étudiante en BTS en situation de handicap

Ce à quoi Didier Malnoury répond qu'une nouvelle demande de la part d'Océane, qui date de février 2019, sera prochainement étudiée. A cela s'ajoutent deux heures de kinésithérapie, une heure avec son infirmière, un rendez-vous par mois chez son généraliste et un autre rendez-vous tous les mois et demi chez son spécialiste.

Aux remarques de ses professeurs s'ajoutent les nombreuses absences des auxiliaires de vie scolaires (AVS) octroyées par la MDPH. Alors qu'elles devraient être présentes à plein temps auprès d'Océane, cette dernière affirme que c'est loin d'être le cas. "Nous avons mis en place une AVS à temps plein", objecte Frédéric Bablon, inspecteur d'académie. Quand on lui rétorque que ce n'était toujours pas le cas il y a encore quelques jours, il reconnait "qu'il y a pu avoir quelques absences".

Dans un témoignage d'un de ses camarades de classe que nous avons pu nous procurer, ce dernier affirme : "Par exemple, le jeudi matin, une auxiliaire de vie scolaire l’aide pour ses deux heures de cours de comptabilité, elle n’a personne le midi, puis une deuxième auxiliaire de vie scolaire pour les cours de 13h à 15h, puis elle n’a à nouveau personne durant une heure où l’on a pas cours, ce qui empêche Océane de pouvoir rattraper les cours qui lui manquaient, et enfin nous avons cours de 16h à 18h, la même matière, la même salle, et pourtant Océane n’a une aide que pour une heure, ce qui veut dire que pour l’autre heure une personne de la classe devra l’aider, ce qui la ralentira dans son apprentissage personnel."

Une autre camarade témoigne :

"Je trouve cela aberrant qu’elle se retrouve obligée de partager son auxiliaire de vie scolaire avec une autre élève alors qu’Océane en a besoin à temps plein, de plus je ne trouve pas cela normale qu’à partir du jeudi elle se retrouve sans auxiliaire de vie scolaire, j’ai donc pris l’initiative de l’accompagner du jeudi au vendredi dans ses cours et dans son quotidien pour lui donner à manger et pour l’emmener à l’infirmerie, pour lui enlever un poids qui la pèse énormément. Mais ceci entraine donc des répercussions sur mes études car je ne suis donc pas concentrée autant que d’habitude."
- Une camarade de classe d'Océane


"Ce sont mes camarades de classe qui coupent ma viande, me donnent à manger, raconte Océane, fatiguée de relayer encore une fois la même histoire. Jusqu'à il y a quinze jours, je n'allais pas aux toilettes de la journée. Maintenant, ce sont les infirmières qui m'aident." Fin novembre, une notification de la MDPH stipulait qu'Océane devait être accompagnée à plein temps. De son côté, l'Académie souligne que "les accompagnants ont récemment suivi une formation 'gestes et postures', impulsée par l’établissement".

Au début de l'entretien, Océane comptait ses mots, par peur de choquer. Plus les exemples viennent, plus le débit s'accélère. Ses sourires accueillants restent, mais laissent parfois place à une moue de la tête, toute cette charge se faisant trop lourde pour ses épaules malades. "Je n'arrive pas à croire qu'elle ait toujours le sourire et cette volonté de continuer", avoue Emmanuelle, pour qui Océane est devenue "sa quatrième enfant". Elle ajoute :

"A chaque fois qu'Océane dénonce un problème dans son dossier, à son lycée, on lui fait comprendre que c'est elle le problème. Que c'est elle qui en demande trop."
- Emmanuelle Martin, présidente de l'association "Enfance Lyme & Co"


Six heures à attendre dans un couloir

Une fois lancée dans son récit, Océane a du mal à s'arrêter. Les exemples fusent, tous aussi difficiles les uns que les autres. "Par exemple, ma professeur de culture générale s'est rendu compte que pendant trois mois, j'ai passé six heures dans le couloir sans rien faire. Après le cours de 8h à 10h, on avait un trou dans notre emploi du temps jusqu'à 16h. Les élèves me déplaçaient jusqu'à la salle du cours de 16h et moi, j'attendais devant." Et d'ajouter : "Quand la proviseure adjointe passait à côté de moi, elle me sommait d'éteindre mon téléphone, que je regardais pour m'occuper, car ils sont interdits dans les couloirs…"

Interrogée, l'Académie affirme que tout est mis en place pour répondre au mieux aux besoins d'Océane. Par mail, l'institution rappelle que "le lycée lui a attribué sur fonds propres une table adaptée à son handicap pour suivre sa scolarité dans de bonnes conditions".

Pour Océane, les blocages sont dûs à la MDPH:
Face à ces difficultés, Océane a choisi de recourir à des avocats spécialisés dans les affaires liées à la maladie de Lyme*. Après une rencontre organisée le 28 mars dernier, Julien Fouray et Catherine Faivre ont décidé d'épauler la jeune fille dans ses démarches. "On a jamais vu ça. Cumuler autant de problématiques… On a le sentiment qu'ils sont dépassés." Comme Emmanuelle Martin, ils dénoncent : "On essaie de lui imputer sa situation en lui disant que c'est elle le problème."

Malgré tout, les deux avocats vont tenter de passer par des recours avant une éventuelle action en justice. De son côté, Océane assure qu'elle ira jusqu'au bout de sa scolarité : "J'ai l'impression qu'ils veulent me décourager en me mettant en difficulté. Au contraire, à force de me battre, j'ai envie de rester dans ce lycée."


*Les différents handicaps d'Océane sont dûs à la maladie de Lyme. Jusqu'à ses deux accidents, Océane était atteinte de la maladie, mais sans aucun symptôme. Cette maladie se serait "exprimée", au moment des deux accidents, à l'été 2016. Les avocats assurent que dans ce cas, ils interviennent "hors polémique Lyme".
 
Le directeur de la MDPH, Didier Malnoury, demande un droit de réponse
"Suite au reportage et au témoignage diffusés le 12 avril 2019, sur votre chaîne, relatifs à la situation de Madame Océane Michel, je souhaitais réagir et apporter quelques précisions supplémentaires à certains propos tenus par Madame Michel.
 
Le dossier de Madame Michel n'a pas rencontré de "blocage particulier" lors de son instruction et de son évaluation à la MDPH. Malgré une situation complexe, mes collaborateurs ont effectué une analyse précise des difficultés et ont apporté dans les meilleurs délais des réponses aux questions et/ou demandes de Madame Michel.
 
Certes, malgré l'engagement et le professionnalisme dont fait preuve mon équipe, les propositions formulées ne répondent pas toujours aux attentes personnelles des usagers. En effet, l'évaluation est réalisée, par l'équipe pluridisciplinaire de la MDPH, constituée de professionnels spécialisés, sur la base des éléments fournis à l'appui de la demande, sur les échanges avec l'usager à  son domicile, sur les avis médicaux et suite aux éventuels essais de matériels. Les éléments qui en résultent constituent la base de la proposition, communiquée à l'usager, après prise en compte des critères d'éligibilité fixés par le cadre législatif et réglementaire. 
 
Tout au long de cette procédure, l'équipe pluridisciplinaire, soumise au secret professionnel, s'attache à respecter des règles d'objectivité et d'équité dans le traitement des situations individuelles. 
 
 C'est pourquoi, j'aimerais revenir sur les points suivants qui ont pu être évoqués :
 
Le premier concerne particulièrement la demande de fauteuil roulant électrique. Cette demande a été formulée par écrit, sur les conseils de l'ergothérapeute de la MDPH, par Madame Michel et déposée auprès de nos services le 12 juillet 2018 et ne date pas de trois ans comme cela a pu être évoqué. L'évaluation réalisée a due être interrompue avant sa finalisation totale, compte tenu des souhaits de Madame Michel, à savoir: d'une part, le choix d'un matériel différent de celui préconisé par les professionnels de la MDPH et d'autre part, sa volonté de chercher par elle-même des solutions adaptées. L'arrêt de la procédure et les motifs qui l'imposent ont été notifiés par écrit à Madame Michel dans d'un courrier daté du 26 juillet 2018.
Ce courrier n'a donné lieu à aucun retour, ni sollicitation particulière de sa part, alors qu'elle disposait des cordonnées des référents, chargés du suivi de sa situation à la MDPH.   .
  
Le second vise la demande de fauteuil de douche, établie et effectuée en même temps et dans les mêmes conditions. Après essais, la décision d'accord quant à cette demande a été rendue par la Commission des Droits et de l'Autonomie des Personnes Handicapées de l'Aube le 29 novembre 2018. Suite à celle-ci, et après information de l'intéressée, ce matériel est resté disponible plusieurs semaines auprès du fournisseur sans que Madame Michel en demande la livraison.
 
Enfin pour terminer, le temps d'aide humaine dont bénéficie actuellement Madame MICHEL, a été accordé en référence à ses problématiques de santé et  ses limitations d'activité au moment de sa demande en 2017. Ce plan de compensation est susceptible d'être révisé dès lors que son bénéficiaire le sollicite.
La prise en compte d'éventuels besoins nouveaux, fera l'objet d'une très prochaine évaluation consécutive au dépôt d'une nouvelle demande de compensation du handicap, déposée par Madame Michel , le  06 février  dernier.

Je puis vous assurer que le dossier de Madame Michel est et restera traité avec le professionnalisme et l'impartialité qui caractérisent l'activité des services de la MDPH.
Je ne souhaite en aucun cas que cet échange fasse polémique mais vous comprendrez l'utilité à rétablir la véracité de certaines affirmations."
 
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