Affaire Sophie Le Tan : "je l’ai échappé belle" témoigne une étudiante qui avait répondu à l’annonce de Jean-Marc Reiser

Peu avant la disparition de Sophie Le Tan, Lucie avait été en contact avec Jean-Marc Reiser, le principal suspect. Elle avait répondu à sa petite annonce. Elle livre à France 3 Alsace un témoignage glaçant. Un témoignage qui s'était avéré déterminant pour les enquêteurs en septembre 2018.
 

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Sous ses airs détachés, Lucie (le prénom a été modifié à sa demande), la vingtaine passée, fluette et souriante, peine encore à croire qu’elle a failli croiser la route de Jean-Marc Reiser. En août 2018, cette étudiante avait répondu, en ligne, à une offre de location pour un appartement à Schiltigheim, dans la banlieue de Strasbourg (Bas-Rhin). Une annonce publiée anonymement qui allait se révéler frauduleuse et derrière laquelle se cachait Jean-Marc Reiser. L’homme qui sera soupçonné, quelques semaines plus tard, d’être le ravisseur et l’assassin présumé d’une autre étudiante, Sophie Le Tan.
 
"Il y avait un numéro à contacter et j’ai appelé, tout simplement. D’abord ça n’a pas répondu, puis le lendemain, la personne m’a rappelée et on a eu un échange téléphonique assez court. Ça a duré aux alentours de 3 minutes, pas plus." La jeune femme, à la voix calme, parfois tremblotante, se souvient parfaitement du moment où elle a échangé avec Jean-Marc Reiser. Ce jour-là, au téléphone, le faux loueur "qui semblait âgé" ne donne pas son nom. Rien d’anormal selon elle, "en général, les propriétaires attendent surtout que ce soit à nous de nous présenter." Ce qui l’étonne, en revanche, c’est le peu de coopération de son interlocuteur face à des questions concernant l’équipement de l’appartement.

Vous verrez sur place, quand vous visiterez
Jean-Marc Reiser à Lucie lorsque celle-ci lui demande des détails sur l'appartement à louer


"C’était évasif. Je l’ai senti récalcitrant à répondre à mes questions. Il me disait à chaque fois : «vous verrez sur place, quand vous visiterez.» J’ai d’abord pensé que c’était une stratégie commerciale, pour susciter mon intérêt. Et après, je me suis dit que c’était quand-même un peu bizarre." L’étudiante s’interroge, se méfie. "J’étais mal à l’aise." Autre élément troublant, Jean-Marc Reiser ne lui donne pas rendez-vous directement à l’adresse du bien à louer, mais rue des Chasseurs, à Schiltigheim, à 150 mètres à pied de la rue Perle où il réside. "Il m’avait dit que c’était à côté et qu’on irait ensemble à l’appartement. Ce n’était pas conventionnel. C’est la première fois qu’on me faisait ça. Je me souviens avoir dit à mon compagnon qu’il y avait quelque chose qui clochait."

Malgré les doutes, un rendez-vous est pris, quelques jours plus tard. "Comme beaucoup d’étudiants, juste avant la rentrée, on est dans l’urgence de trouver un appartement, alors on visite beaucoup, on y va et on ne se pose pas trop de questions." Une visite que la jeune femme doit effectuer seule. "J’avais prévu d’y aller après ma journée de travail. Les personnes qui m’accompagnaient habituellement n’étaient pas disponibles. Et finalement, concours de circonstance, mon compagnon s’est libéré. C’est quand même toujours plus rassurant et plus sympa d’être à deux."

Ce serait quand même fou si c’était pour piéger des filles
- Le compagnon de Lucie, le jour de la rencontre qui n'a jamais eu lieu


Sur place, le couple fait chou blanc. "On a attendu encore et encore. On a envoyé plusieurs messages, puis on a fini par appeler pour demander ce qu’il en était, s’il comptait arriver. Personne ne s’est présenté. Sur le coup, nous étions énervés." Trois quarts d’heure d’attente, pendant lesquelles le compagnon de Lucie lance une remarque prémonitoire. "Il m’a dit : «ce serait quand même fou si c’était pour piéger des filles qu’il faisait ça et que là, parce qu’on est deux, il ne se passe rien.» Sur le moment, on l’a évoqué sans être sérieux, mais on s’est dit que ce serait quand même possible." En rentrant chez eux, les deux jeunes gens décident de signaler l’annonce frauduleuse au site Leboncoin, avant que leur histoire ne prenne une toute autre dimension.

7 septembre 2018, Sophie Le Tan, étudiante à l’université, a elle aussi rendez-vous à Schiltigheim pour visiter un appartement, route de Bischwiller. A 9h17, elle envoie un dernier SMS à l’annonceur et disparaît. Elle ne rejoindra pas sa famille qui l’attend pour fêter son vingtième anniversaire. Un appel à témoins est rapidement diffusé sur les réseaux sociaux. Lucie le remarque sur une page étudiante. "Je n’ai pas mis longtemps à faire le rapprochement. Je me suis dis que c’était un peu gros et que c’était sans doute la même personne, les mêmes circonstances, sauf que cette fois il s’était passé quelque chose."
 
La jeune femme réagit, se renseigne sur l’endroit de la disparition, poste un commentaire qui attire l’attention des proches de Sophie Le Tan. Après être entrés en contact avec elle, ils la persuadent de relater sa mésaventure aux enquêteurs. Un témoignage, ajouté à celui d’une seconde jeune femme, qui se révèlera capital pour remonter la trace du suspect. Confondu par les analyses des données téléphoniques, Jean-Marc Reiser sera interpellé le 15 septembre 2018 à Illkirch-Graffenstaden, des traces de griffures au poignet gauche. Il est aujourd’hui mis en examen pour assassinat, enlèvement et séquestration et continue de nier les faits qui lui sont reprochés.
 
Aujourd’hui, Lucie a le sentiment d’avoir échappé au pire. "Je me dis que je ne suis pas passée loin et que ça aurait pu être moi." Pour elle, c’est bien le fait d’avoir été accompagnée, "qui a changé la donne". "J’imagine que d’une manière ou une autre, il [Jean-Marc Reiser, ndlr] voyait si les personnes étaient accompagnées ou pas. Depuis un poste d'observation ou en passant dans la rue, il devait repérer." La jeune femme avoue être parfois rattrapée par un sentiment de culpabilité. "Il y a des fois où je me dis avec cynisme : pourquoi elle et pas moi ? Je l’ai échappé belle, mais je pense à Sophie et à sa famille."
 
Sophie Le Tan reste introuvable, neuf mois après sa disparition. Si les recherches sur le terrain ont été interrompues par la police, ses proches continuent de se mobiliser pour la retrouver. Lucie suit leurs actions, en tâchant de continuer sa route du mieux possible. "Ça remet les choses en place. Quand on est étudiant, on s’investit beaucoup, on veut réussir à tout prix et on passe à côté de plein de choses. Du coup maintenant, je profite plus de la vie", termine-t-elle en sanglot. Pas tout à fait indemne, certainement marquée à jamais.
 
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