Rund Um. Robert Wurtz vit une retraite paisible dans le nord de l'Alsace, loin des projecteurs. Mais l'ancien arbitre de football, considéré comme l'un des meilleurs de sa génération, n'a rien perdu de son caractère fantasque qui a marqué le public du monde entier.
Se déplacer chez Robert Wurtz, c'est plonger dans un univers. L'octogénaire - il a fêté ses 80 ans le 16 décembre 2021 - a donné rendez-vous chez lui, à Climbach, dans le nord du Bas-Rhin. Il nous accueille dans sa rue, pieds nus. Le ton est donné. Un arbitre libre, toujours.
Pour le symbole, il chaussera ses crampons le temps de quelques minutes. Histoire de s'afficher avec la panoplie parfaite d'un "homme en noir" : chaussures de football donc, mais aussi short et maillot, cartons jaune et rouge, sifflet. Tout heureux de montrer qu'il rentre encore facilement dans sa tenue. Mais c'est bien les pieds à l'air que Robert Wurtz préférer désormais se balader.
Avec pour terrain de jeu, la forêt. Omniprésente dans son village des Vosges du nord. Il aime s'y promener, baigner ses jambes dans l'eau d'une fontaine dite miraculeuse - "une cure Wurtz", plaisante-t-il. Un cadre qu'il ne quitte quasiment plus depuis 15 ans.
De joueur du Racing à arbitre international
"J'apprécie le calme, l'air pur. J'ai tout ce dont j'ai besoin ici. Avant, mon objectif – de par le foot – était de voyager le plus loin possible. Mais ce que j’ai vu m’a suffi. Je veux passer mes derniers jours ou plutôt mes dernières années ici. C'est mieux pour mes nerfs. Même si je continue à m'intéresser à ce qui se passe dans le monde", assure le diplômé d'un doctorat de physique-chimie en biologie macromoléculaire.
Il suit toujours le foot, avec surtout un faible pour l'émission Sportschau, consacrée à la Bundesliga sur la télévision allemande - "elle est très bien faite, avec des résumés courts, juste ce qu'il faut". Le Racing Club de Strasbourg reste évidemment son club favori. Comment pourrait-il en être autrement ? Robert Wurtz a grandi à quelques mètres du stade de la Meinau. Enfant, il a même porté les couleurs du club. "Gilbert Gress, mon coéquipier, me criait toujours "Robert, lève la tête". Je n'étais pas aussi bon que les autres mais je voulais rester sur les terrains, alors je suis devenu arbitre."
L'un des meilleurs au monde. Avec à son actif, entre autres, une coupe du monde (en 1978 en Argentine), deux championnats d’Europe (en 1976 et 1980) et une finale de Ligue des champions (en 1977, la compétition portait alors le nom de coupe des clubs champions européens). Le privilège également d'avoir côtoyé des joueurs d'exception, Johan Cruyff ou Michel Platini pour ne citer qu'eux.
Un arbitre célèbre pour ses facéties
Mais si personne n'a oublié Robert Wurtz, c'est parce que sur le terrain de football, l'arbitre jouait l'artiste. Comme lors d’un PSG-Auxerre, en 1989, où il s'est mis à genoux devant Guy Roux pour supplier l'entraîneur de se calmer. L'image est restée dans les mémoires.
Ou lors d'un match de barrages très tendu du championnat mexicain, en 1971 : "Il y a eu des incidents. Je me suis demandé comment j’allais pouvoir tenir le match jusqu'au bout. Alors j’ai fait semblant qu’un caillou envoyé par un spectateur m’avait touché et je me suis écroulé. On m’a cru mort. J’ai entendu le speaker signifier que si les jets de cailloux ne cessaient pas, la rencontre serait arrêtée. Les gens ont eu peur et j’ai pu mener le match à son terme. Preuve qu'une attitude théâtrale peut parfois aider."
Une façon d'être et de faire naturelle pour ce fils d'un musicien et d'une choriste du théâtre municipal de Strasbourg, devenu Opéra national du Rhin. Le "Nijinski du football" tiendrait ses pitreries de sa maman - "elle faisait du théâtre au quotidien dans sa vie, elle m'a transmis ses gênes".
Un nouveau défi : devenir centenaire
Partout où Robert Wurtz est passé, les spectateurs en redemandaient. De quoi l'encourager à poursuivre : "Aujourd'hui encore, je veux qu'après avoir discuté avec moi, mon interlocuteur ait passé un bon moment. Sinon, je n'ai servi à rien, confie-t-il, tout à fait à l'aise avec l'image d'homme "un peu fou" qui lui colle à la peau. Sortir du cadre fait du bien. Les autres vous observent, cela vous encourage à poursuivre. C’est un jeu. Avoir un grain de folie ne fait pas de mal."
C'est cette extravagance qui a poussé l'équipe d'Intervilles à le recruter. Un nouveau rôle d'arbitre, au milieu des vachettes, qu'il a endossé jusqu'à un AVC en 2007.
Le gamin de la Meinau a fait le tour de France et du monde. Encore un coup de génie de cet Alsacien qui n'a jamais eu le permis (il a échoué à deux reprises à l'examen). Son nouveau défi : devenir centenaire. Pour cela, il fait également travailler sa tête, à force de grilles de sudoku et de mots croisés, allongé devant sa porte de garage. Pieds et torses nus même en hiver. "C'est un original, sourit sa femme Hélène. Il faut le prendre comme ça". Même à 80 ans, Robert Wurtz continue de siffler sa vie, à sa façon.