Pendant près d’un demi-millénaire, Brumath (Bas-Rhin) en Alsace a été à la frontière de l’empire romain et du monde barbare. Capitale romaine et celtique, sa forêt cache encore des trésors inexplorés. Seuls témoins de ce passé historique florissant, ces nombreux tumuli dont personne ne parle pour ne pas susciter la convoitise des pilleurs de tombes.
Pas la peine de partir à l’autre bout du monde pour jouer aux explorateurs. "Du haut de ces tertres, 3 500 ans vous contemplent" clame l’archéologue amateur local, Louis Ganter. Une balade avec lui dans la forêt de Brumath (Bas-Rhin), qui se trouve à quinze minutes au nord de Strasbourg, peut se révéler bien étonnante.
Le long des chemins, le marcheur est immédiatement surpris par une centaine de monticules, plus ou moins grands, cachés par une forêt dense. "Ces buttes ne sont absolument pas naturelles". Il s’agit en fait de tumulus ou tumuli (les deux orthographes au pluriel sont acceptées) qui composent l’une des plus importantes nécropoles de l'ère celtique d'Alsace. "Toute la plaine de la région, du nord au sud, est d’ailleurs parsemée de ces tumuli, notamment autour d'Haguenau et dans le Ried" explique l'historien. Il forme l'un des plus grands ensembles tumulaires en France.
Le tumulus, ou tertre, désigne une butte artificielle qui abrite une ou plusieurs tombes. Le tertre était parfois délimité par des poteaux, un fossé ou une palissade en bois. "On sait aujourd’hui qu’à son sommet, on y plaçait une borne ou une pierre levée" relève Louis Ganter. Évidemment, avec le temps, ces "protections symboliques" ne sont plus visibles.
Le tumulus est une sépulture destinée à des notables, des dignitaires ou des guerriers celtes sans discrimination de genre. D’ailleurs, les tombes des femmes se révèlent souvent d’une richesse supérieure à celles des hommes. Dans la société celtique, la place de la femme était déterminante, les taches étaient partagées y compris à la guerre.
Plus le tumulus est haut et grand, plus la personnalité qui y repose est importante
Louis GanterHistorien de la ville de Brumath
Vestiges de pratiques funéraires de 3 500 ans
"Plus le tumulus est haut et grand, plus la personnalité qui y repose est importante" explique notre guide. Le tumulus est constitué de terre ou de pierres jetées au-dessus des sarcophages ou des cercueils par les personnes qui assistaient aux funérailles. "Cette terre ou ces pierres provenaient des lieux où ils habitaient et qu’ils ramenaient sur place". Certains y plaçaient également des offrandes. Ainsi, les plus hauts tertres de Brumath peuvent atteindre quatre mètres de hauteur pour plus de trente mètres de diamètre. "Les plus vieux tumuli de Brumath datent de - 1 500 av. J.-C.".
Louis Ganter ajoute, "on peut trouver dans ces tombes deux sortes d’enterrement par crémation ou par inhumation. En règle générale, la tête du défunt est orientée vers l'est. Il arrive parfois que l'on retrouve des squelettes enfouis dans les parois de ces tumuli, ce qui signifie que ces tombes ont été réutilisées".
Pillés depuis le XVIIIe siècle
Des campagnes de fouilles se sont déroulées dans la forêt de l’ancienne capitale gallo-romaine. "Elles n’ont pas toutes été réalisées de manière officielle, il y a eu beaucoup de pillages et de reventes aux brocanteurs dès le XVIIIe siècle".
Les plus anciennes fouilles officielles datent du XIXe siècle ; les plus récentes lors de la construction de la Ligne à grande vitesse (LGV) entre Paris et Strasbourg. De véritables trésors ont été trouvés, notamment datant de la période du Hallstatt, de - 1 250 avant J.-C. à - 450 avant J.-C. : des fibules de toutes les sortes, des épingles, des boucles de pieds ou de bras, des armes (épées dans leur fourreau, haches, casques…), des bijoux, des ceintures ornées, des torques (collier caractéristique des celtes généralement en bronze), de la vaisselle et même un gril.
"Tous les objets trouvés à Brumath dans les tumuli sont disséminés à travers le monde souvent dans des collections particulières" regrette Louis Ganter. "Heureusement, nous avons pu sauver quelques pièces qui sont exposées en Alsace, soit au Musée archéologique de Strasbourg, soit au Musée historique de Mulhouse". Le Musée des antiquités nationales de Napoléon III à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), devenu le Musée archéologie nationale, possède également une épée de Brumath pour "représenter la région Alsace". Le Musée archéologique de Brumath, lui ne possède plus qu'une lame de poignard en bronze, un petit fragment de bronze et deux bracelets en bronze.
Des découvertes grâce au Lidar
Un projet de prospection a été mené en 2010 par le Pair (Pôle d’archéologie interdépartemental rhénan) pour identifier le nombre exact de tumulus dans la forêt de Brumath. Un relevé Lidar (télédétection par laser) a été effectué. C’est un laser aéroporté qui permet de réaliser un plan numérique du sol en s’affranchissant du couvert forestier. Les résultats se sont montrés étonnants : 93 tumuli avérés, 46 potentiels et 4 buttes indéterminées. En 1860, l’archéologue Philippe Beilstein en avait identifié seulement 66.
Depuis 1857, avec Maximilien de Ring, éminent fouilleur de tumulus, seuls seize tertres ont été fouillés, ce qui laisse présager de magnifiques découvertes à venir. C’est souvent le manque d’argent qui a contraint les archéologues à ne pas étudier tous les tombeaux. C’est pour cette raison que le site est protégé et inventorié aux monuments historiques et qu’il est formellement interdit de s’y rendre, encore plus qu’ailleurs, avec un détecteur de métaux. "Les vols de tombes sont sévèrement punis par la loi", rappelle Louis Ganter. Les chercheurs ont hélas déjà pu constater que des tertres avaient été saccagés par des voleurs, notamment lors de la présence de l’armée autrichienne à Brumath en 1814-1815.
C’est la raison qui explique qu’aucune information n’indique la présence des tumuli dans la forêt de Brumath. "Ces tombes doivent rester secrètes et inviolées le plus longtemps possible". Un seul tumulus est visible. Il se trouve sur le parcours pédestre du sentier d’Ici et d’Ailleurs. Des panneaux didactiques et pédagogiques rappellent l’histoire des tumuli à Brumath. Un parking se trouve, route de Bilwisheim pour y accéder.
Brumath, capitale celtique, romaine et germanique durant plus d'un demi-millénaire
Plusieurs millénaires d’histoire marquent la présence humaine à Brumath. La première installation des éleveurs cultivateurs venant du bassin du Danube date d’il y a plus de 7 000 ans, au néolithique. Le site va se développer à la Protohistoire grâce à la découverte de l’utilisation des métaux. Les habitants du lieu vont se révéler particulièrement doués dans ce domaine. La période va se caractériser par l’essor de nouveaux rites, notamment funéraires. "On sait très peu de choses sur la religion des habitants de l’époque. Elle était sans doute tournée vers une adoration du soleil". Les premiers tumuli apparaissent à Brumath : ils ont plus de 3 500 ans.
Vers - 600 ans av. J.-C., une tribu celte venue de l’actuel département de la Moselle et d’une partie de la Belgique, les Médiomatriques, arrive sur le site. C’est elle selon les historiens qui vont fonder Brocomagus (l’ancien nom de Brumath) en perpétuant les rites celtiques.
En 58 avant J.-C., Jules César conquiert l’Alsace. Dans le cadre de la paix romaine, il autorise ses adversaires défaits, les Triboques autre tribu celtique, à s’installer dans la ville qui devient leur capitale, Civitas Tibocorum, la cité des Triboques. Le lieu devient un pôle attractif et commercial composé de celtes et de germains dans lequel s’installent également des romains vers - 15 av. J.-C., Brocomagus devient florissant et riche. Un carrefour des civilisations. Des fouilles livrent des témoignages de la présence de nombreux artisans, commerçants, potiers, fondeurs de bronze.
Brumath sera ainsi la capitale celtique et romaine d’Alsace, ainsi que de la Germanie supérieure pendant plus d’un demi-millénaire jusqu’en 352 où la ville est pillée et détruite par les Alamans. La présence des nombreux tumuli dans la forêt de Brumath sont les vestiges de cette étonnante histoire méconnue.
Vous connaissez un endroit ou un personnage insolite en Alsace et vous voulez le faire connaître ? Contactez Éric Vial, l'Alsace insolite par e-mail à l'adresse : eric.vial@francetv.fr. L'Alsace insolite, une collection de reportages à découvrir sur france.tv.