"Je l’ai aimé, il est rempli de symboles" : un sapin de famille vieux de 34 ans offert pour le marché de Noël

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Il avait atteint la belle taille de 17 mètres de hauteur. Peut-être un peu trop pour cet épicéa installé dans un jardin de Gries (Bas-Rhin). Ses propriétaires ont décidé d'en faire don à une commune toute proche, la mort dans l'âme. Le sapin vient d'être coupé.

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Une route est barrée ce jour-là dans ce quartier résidentiel de Gries (Bas-Rhin). Le ciel est maussade, et l’humeur des riverains aussi. Deux gros engins sont stationnés devant la maison des Kaeffer. Par-dessus la clôture, l’épicéa du jardin a été solidement harnaché à une grue télescopique. Une dizaine d’hommes s’active, des bûcherons, des spécialistes des transports hors normes…

Et parmi eux, deux femmes circulent un peu anxieuses. Il s’agit de Josée, la soixantaine douce et souriante, et de son portrait craché, Isabelle, 34 ans, qui ira au travail un peu plus tard "parce que c’est important aujourd’hui".

Olivier met en route sa tronçonneuse. "Ça me fait quelque chose quand même" nous lâche Josée, sans quitter son sapin des yeux. Les gestes du bûcheron sont rapides, sûrs, précis. Encore un coup d’œil vers la cime, et il entame son travail : une double entaille d’un côté. "Vous croyez que ça a mal un arbre quand on le coupe ? " demande Josée, mi-malicieuse mi-inquiète. Puis une autre entaille du côté opposé. "Ça fait quand même mal au cœur". L’arbre se détache de sa base pour s’élever d’un bon mètre en l’air.

L'opération est sécurisée par les équipes techniques de la "com com" de Haguenau, mais il y a toujours un risque. "Ce qui est délicat, c'est la réaction de l'arbre surtout", commente Oliver Coudert. "On ne sait pas ce qu'il peut se passer, il peut fendre par exemple. Là, vous avez vu, il s'est quand même décalé. Ça dépend de la manière dont on l'a attaché."

Car prélever un tel arbre en zone urbaine comporte toujours un risque. C'est d'ailleurs en raison de ses dimensions que les propriétaires ont décidé de s'en séparer. "L'inquiétude, c'est quand il y avait des grands vents, le haut bougeait. Donc, on avait peur qu'une branche casse et tombe dans la rue ou sur le toit d'une maison" justifie Josée.

Mais la décision a été prise à contrecœur. Jean-Marie, le papa d'Isabelle, n'était pas d'accord du tout à l'origine. Josée poursuit : "Je l’ai aimé ce sapin, il est rempli de symboles. On l’a planté il y a 34 ans pour le baptême de notre fille, et puis maintenant, il s’en va. Ça a été un refuge, un repère depuis toutes ces années, et ça me fait mal au cœur même s’il va finir lumineux". Josée n’est pas la seule à être émue. Sa voisine toute proche est sortie de chez elle, une écharpe autour du cou, pour assister à la scène. Elle agite la main pour dire adieu au sapin qui s’offrait à sa vue depuis trois décennies. 

Le conifère est toujours suspendu à la grue. Il tourne au ralenti dans les airs. "Il est beau quand même" commente Josée. Isabelle continue de mitrailler avec son téléphone portable. Très lentement, l’arbre est repositionné pour être couché sur une remorque. Il mesure quand même 17 mètres de haut pour 1,5 tonne selon les estimations des agents sur place. 

"La nature est extraordinaire parce qu’il a été planté tout petit petit dans un pot de fleurs et il a grandi, en 34 ans, c'est devenu un géant". Tout doucement, le géant est déposé sur le plateau. Olivier vient vers Josée : "Qu’est-ce que vous voulez que je fasse avec la souche ? Que je coupe à ras ?" Josée s’en remet à l’expérience du professionnel : "Qu’est-ce que vous en pensez ?" Le spécialiste préfère "mettre à ras". 

Album photo à l'appui, Josée tient à montrer au bucheron la genèse de l'histoire. "Il y a 34 ans, pour le baptême de notre Isabelle, l'abbé Naegert, qu'on appelait le pope, a demandé qu'on apporte un petit sapin. Il était dans un pot et l'hiver, on l'a planté. Comme disait Pope, il faut donner des racines. Alors, on a donné des racines. Au sapin et à l'enfant. Et on a élevé le sapin. Et on a élevé l'enfant."

À l'ombre du sapin, les enfants ont joué. À cache-cache par exemple. Même Clément, le fils d'Isabelle. Il a aussi été un refuge pour les oiseaux. Alors Josée et sa fille sont un peu tristes de le voir ainsi couché sur un plateau, lui qui se dressait fièrement dans le jardin jusqu'à présent.

"Maintenant le sapin va être emmené place d’Armes à Haguenau" explique Olivier Hentz, responsable du service parcs, jardins et cimetière de la com com de Haguenau. "C’est toujours un événement pour les Haguenoviens, c’est toujours le début des festivités de Noël avant l’ouverture du marché de Noël le 22." 

Josée n’est pas la seule à avoir proposé son sapin au don. Chaque année, la commune de Haguenau lance un appel au don sur les réseaux. Cette année, elle a recueilli une vingtaine de propositions. Seules sont retenues celles qui concernent un véritable sapin (et non un tuyau ou un cyprès par exemple) et qui permettent l’accès des services des espaces verts. "Ce sont souvent des sapins dont ils n’ont plus l’utilité, ou qui gênent par rapport aux façades de la maison, ou d’autres raisons, du coup, on propose de venir les chercher gratuitement, et ça nous fait nos sapins pour nos décors de Noël". 

Pour les particuliers, l’opération permet quand même l’économie de l’intervention d’un professionnel, chiffrée à quelque 3 000 euros selon nos informations. Les Kaeffer eux, ont prévu de quoi remercier les agents : café, viennoiseries et streussel en quantité avant de repartir. Pendant que les équipes se réchauffent, Isabelle en profite pour demander un service au bucheron : "Est-ce que vous pouvez me couper un petit disque du sapin pour le petit" demande-t-elle.

Sur le disque volontiers découpé, Olivier prend le temps de nous éclairer. "Vous voyez ici, l'arbre est incurvé parce qu'un obstacle l'a empêché de pousser. Et ici, ce cercle plus étroit, c'est la marque de la canicule de 2023."

Café et pain au chocolat avalés, il est temps de partir installer le sapin au centre de Haguenau. La famille Kaeffer a bien sûr prévu de se rendre sur place une fois l'arbre décoré. "Je suis fière" confie Isabelle. "On va peut-être le voir dans le monde entier étant donné la réputation des marchés de Noël d'Alsace. C'est un beau symbole comme fin pour ce sapin".

Dans le jardin des Keaffer, il ne restera pas seulement une souche du sapin d'Isabelle. Le trentenaire a donné deux petits arbres.

Pour l'instant en pots, ils seront peut être plantés, pour à leur tour donner naissance à de belles histoires. 

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