Guerre en Ukraine : "j'ai toujours voulu que ma fille apprenne le français, mais pas dans ces conditions"

La famille Zakarian est arrivée le 10 mars 2022 en Alsace, après avoir quitté Odessa dès les premières heures de l'attaque par la Russie de l'Ukraine. Un an plus tard, les enfants parlent français, le grand-père a trouvé du travail et le père est en train de créer son entreprise d'import-export. Rencontre avec une famille en fuite.

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Lida et Souren jouent aux échecs, un capuchon remplace le pion manquant. Ça ne les a pas empêchés de gagner des médailles à un championnat d'échecs junior dans le Bas-Rhin, il y a quelques mois. Les deux enfants espiègles et bavards ont plein de choses à dire sur leur nouvelle école de Saverne.

"Avant, je ne comprenais pas bien le français, maintenant, c'est plus facile", explique Lida en CM2 cette année. "J'ai beaucoup d'amis et je suis bonne en mathématiques. L'année prochaine, je vais aller au collège St Antoine", dit-elle, avec un grand sourire. La famille est catholique et les parents sont contents que leur fille soit prise dans cet établissement catholique.

"La semaine dernière, nous sommes allés à la bibliothèque, j'ai pris trois livres, un en ukrainien et deux en français. Celui en ukrainien, je l'ai déjà fini, parce que c'était simple à lire. J'ai commencé 'Yuzu la petite vétérinaire' en français", 

Je trouve qu'on ne travaille pas beaucoup à l'école. Et les mathématiques, c'est très facile !

Lida, Ukrainienne de 10 ans

"Les mathématiques et les langues, c'est très différent ici. Et les récréations... en Ukraine, tout était différent ! Je trouve qu'on ne travaille pas beaucoup à l'école. Et pourquoi on n'a pas école le mercredi ? Je ne sais pas !". La petite fille est enthousiaste, pour elle c'est une langue de plus à apprendre.

Elle parle déjà russe, ukrainien et arménien à la maison. Son père est né en Arménie, mais il est arrivé tout petit à Odessa, "une ville cosmopolite", rappelle-t-il. "Là-bas, il y a beaucoup d'Arméniens, de Turcs, de Russes, il y a des églises, des mosquées, des synagogues. Et tout le monde parle russe pour se comprendre. C'est ça Odessa, c'est une ville ukrainienne, nous sommes tous ukrainiens".

Khachatur est souriant, comme ses enfants, mais son sourire s'arrête net quand il reparle de ce 24 février qui a changé sa vie et celle de toute sa famille.

"J'ai vu les bombes tomber sur l'aéroport, sur les entrepôts. Et notre entreprise n'était pas très loin. Nous avons tout de suite décidé de partir. Les enfants ne devraient jamais connaître la guerre." Emportant des affaires pour quatre jours, les voilà partis en Pologne, puis en Allemagne, puis ils arrivent en France parce qu'une cousine y habite déjà.

Les enfants ne devraient jamais voir la guerre.

Khachatur, Ukrainien père de trois enfants

Dormir dans une voiture, ne pas savoir où aller, les parents souhaitent une stabilité pour leurs enfants. La décision de s'installer en France n'a pas été facile à prendre.

De l'huile de tournesol ukrainienne à Strasbourg

"En septembre, nous avons envisagé de repartir", raconte Khachatur, "mais après les Russes ont commencé à bombarder les stations électriques, et la situation s'est aggravée dans tout le pays. Vivre dans des logements sans lumière et sans chauffage, c'est très dur, surtout avec des enfants."

"La France nous a beaucoup aidé. Mais maintenant, je veux apporter ma contribution. A Odessa, nous avions une boulangerie familiale et j'avais développé l'import-export, et aussi une entreprise de logistique."

"Je veux utiliser toutes mes connaissances et compétences pour trouver un travail ici. J'ai bien conscience qu'il faut aussi que j'apprenne le français, mais dès maintenant je sais que je peux être utile, en commençant une activité d'import-export."

Déjà, grâce aux contacts de Khachatur, Garegin Ounoussian, un arménien qui importe des produits des pays de l'Est, a réussi à faire venir de l'huile de tournesol, produit emblématique d'Ukraine. "Il y a les produits, parce que les Ukrainiens continuent à travailler, malgré la guerre. Mais ce qui est compliqué, c'est de faire sortir les produits. J'ai organisé cela avec des chauffeurs ukrainiens."

Il a réussi à importer des pellets aussi, d'autres produits vont suivre. C'est une grande fierté pour lui de valoriser les produits ukrainiens en France.

Retravailler en France

"Les amis m'ont promis qu'ils allaient m'aider à ouvrir une auto-entreprise. Et si Dieu le permet, quand il n'y aura plus la guerre, je pourrai repartir en Ukraine. Avec ces nouvelles connaissances, je pourrai faire de l'import-export avec des produits français en Ukraine, donc c'est vraiment une vision à long terme."

Khachatur est en France pour ses enfants, c'est très clair : "si je n'avais pas eu d'enfants, je ne serais sans doute pas parti d'Odessa. C'est ma ville d'origine, j'y ai vécu toute ma vie, j'ai tous mes amis, toutes mes connaissances. Mais les enfants ne devraient jamais voir la guerre, ce n'est pas envisageable."

La France nous a beaucoup aidé. Mais maintenant, je veux apporter ma contribution.

Khachatur Zakarian, père de famille ukrainien

"Maintenant, mes enfants sont en sécurité ici en France, ils vivent une vie tranquille, ils apprennent le français. C'était mon rêve que ma fille apprenne le français, mais pas dans ces conditions. Et puis voilà, ce qui est arrivé, on n'y peut rien. Il faut voir le côté positif. Ressasser de mauvaises pensées, ce n'est pas non plus ce que je souhaite, il faut aller de l'avant."

La femme de Khachatur, Ani aimerait travailler dans une crèche, elle va commencer des cours de français intensifs le mois prochain. "Nous n'avons pas essayé tout de suite d'apprendre le français, parce que tous les trois mois, nous étions prêts à repartir. Et puis nous avons compris que nous allons rester ici plus longtemps, et maintenant j'aimerais pouvoir parler avec les gens, je voudrais retravailler. J'ai toujours travaillé en Ukraine, donc me retrouver à la maison c'est difficile.

Le père de Khachatur, ingénieur en Ukraine, a pris un travail de chauffeur routier, il ne pouvait pas rester inactif. Sa mère Lida aimerait aussi retravailler, elle travaillait dans la boulangerie familiale depuis toujours. Ils sont tous à Saverne, pour combien de temps ? Personne ne sait.

"Les mathématiques en France, pour moi, c'est très facile", explique Souren un grand sourire sur le visage, comme sa soeur. "Je voudrais revenir en Ukraine, maintenant, c'est la guerre, mais un jour, je veux repartir", dit d'une traite Souren, qui continue de sourire. 

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