Rafle d'universitaires strasbourgeois à Clermont-Ferrand en 1943 : "les Allemands supposaient, à raison, qu'il y avait beaucoup de résistants parmi eux"

Le 25 novembre 1943, il y a exactement 80 ans, plus de 600 personnes étaient raflées sur le campus de l'université de Clermont-Ferrand, qui accueillait depuis 1939 l'université de Strasbourg déplacée pour fuir les nazis. 110 furent déportés dans les camps de concentration, 36 en revinrent. Yvonne Lobstein a été arrêtée ce jour-là, elle raconte.

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Yvonne Lobstein avait 17 ans, ce 25 novembre 1943, elle était en première année de médecine à l'université de Strasbourg, relocalisée à Clermont-Ferrand depuis le début de la guerre, en 1939. Aujourd'hui encore, elle se souvient très bien de cette journée.

Tous les personnels ont été regroupés vers onze heures, étudiants et enseignants, mais aussi secrétaires et femmes de ménages. Toutes les personnes du campus, des foyers étudiants, des amphis et des bureaux ont été regroupés dans la cour de l'université. 

"Quand je suis arrivée, il y avait déjà beaucoup de monde qui était entassé là", raconte-t-elle. "Tout le monde était très calme, mais bien sûr très inquiet, surtout ceux qui avaient quelque chose à cacher aux Allemands."

Mater l'université de Strasbourg, repliée en Auvergne

Les Allemands avaient déjà fait une rafle le 25 juin 1943, dans le foyer de la Gallia des étudiants alsaciens (qui a gardé le même nom qu'à Strasbourg), en ciblant des résistants uniquement, en représailles des attentats commis contre plusieurs membres de la Gestapo par des résistants la veille.

Le 25 novembre, la rafle est massive, tout le monde est arrêté, plus de 500 personnes. Les nazis ne supportent pas que l'université de Strasbourg ne soit pas revenue en Alsace après l'armistice du 22 juin 1940. "Ne pas revenir était déjà un acte de résistance", explique Michel Deneken, le président actuel de l'université de Strasbourg.

Yvonne Lobstein est conduite avec tous les autres dans la cour. "Par petits groupes, on passait de la cour au hall de l'université. Là il y avait le tristement célèbre Georges Mathieu, avec la femme de la Gestapo [Ursula Brandt, étudiante allemande connue pour avoir été l'assistante du chef de la Gestapo de Clermont-Ferrand, Paul Blumenkamp]."

Certains étudiants et enseignants, résistants alsaciens, avaient fait de faux papiers. Alors il les mangeaient pendant qu'on attendait, pour qu'on ne les trouve pas sur eux.

Yvonne Lobstein

"Et on nous triait, à droite ou à gauche. Mon nom de jeune fille c'était Henry, mon amie Le Coroller, ça n'avait rien d'alsacien, donc on nous a mises d'un côté. Mais on ne savait pas à ce moment-là pourquoi. On a vite compris", raconte Yvonne Lobstein, 98 ans aujourd'hui et encore vaillante.

"Certains étudiants et enseignants, résistants alsaciens, avaient fait de faux papiers. Alors ils les mangeaient pendant qu'on attendait, pour qu'on ne les trouve pas sur eux. Mais Mathieu connaissait les étudiants, parce qu'il leur avait fait les cartes d'identité, du temps où il était du bon côté disons. Donc ils ont été repérés très vite."

"Le soir, on a été libéré vers cinq heures. On a su après que les autres ont été emmenés à la caserne. Un certain nombre a été relâché le lendemain matin, et les autres ont été déportés."

Et puis les cours ont repris, Yvonne a continué ses cours à l'université de Strasbourg. "On a dit que si la guerre avait duré quelques mois de plus, il n'y aurait plus eu d'université de Strasbourg à Clermont. C'était une provocation. Et les Allemands savaient bien que c'était un nid de résistance."

"Moi si je me suis inscrite à cette université, c'était déjà parce que c'était glorieux. Et puis tout le monde ne pouvait pas s'y inscrire, il fallait avoir subi un préjudice de la part des Allemands. Et moi mon père préfet avait été récusé, donc j'avais le droit."

Des années étudiantes difficiles

Yvonne Lobstein se souvient de ses années étudiantes. "Des rafles, il y en avait en ville aussi. C'est difficile de décrire ces années-là. On avait 20 ans, on était étudiants malgré tout. Mais on n'avait pas l'allégresse qu'on aurait dû avoir. Il y avait une chape de plomb qui pesait."

"Quand un ami disparaissait, on se demandait s'il était parti au maquis ou s'il avait été arrêté. On vivait comme ça."

Après la guerre, l'université de Strasbourg revient en Alsace, et Yvonne Henry quitte Clermont pour Strasbourg. Elle y rencontre André Lobstein, qui devient son mari. Lui avait aussi étudié à l'université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand. Arrêté le 25 juin 1943 avec 38 autres étudiants de la Gallia, il a passé deux ans dans les camps de concentration nazis de Buchenwald et Dora. "Mais moi, j'ai vécu dans ses souvenirs de camps, même s'il n'en parlait jamais. Alors cette commémoration de la rafle du 25 novembre, ça va de soi, c'est normal de venir chaque année."

Lors de son discours, Michel Deneken cite Simone Veil qui disait souvent : "je n'aime pas l'expression 'devoir de mémoire', je préfère parler de devoir d'histoire et de devoir de réflexion".

Des représentants de l'université de Clermont-Ferrand sont présents ce 25 novembre 2023 à la commémoration qui a lieu au Palais universitaire de Strasbourg, un événement dramatique qui a créé un lien fort entre les deux universités.

Pour Yvonne Lobstein, cette commémoration du 25 novembre a une place à part. "Les monuments aux morts, les commémorations sont importantes, mais celle-ci plus encore. Sur la plaque, là, il y a le nom d'un jeune homme, avec qui j'étais en première année de médecine. Il s'appelait Henry Herold. Comme il était seul, il est mort très vite au camp. Il fallait être en groupe au camp pour survivre. Mon mari était avec d'autres étudiants qu'il connaissait, donc ils se soutenaient."

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