Des mises en chantier en baisse de 16%, et 30% en moins de permis de construire délivrés. Le secteur du logement neuf est en crise. Il pourrait mener le secteur du bâtiment à la catastrophe. Une crise inédite qui n'épargne pas l'Alsace, où des travaux sont déjà à l'arrêt.
Leurs petites entreprises, contrairement à la célèbre chanson, connaissent la crise. Il n'y a qu'à aller à Pfastatt, près de Mulhouse (Haut-Rhin), pour le voir. Sur ce terrain, un projet immobilier de 26 logements qui devrait voir le jour dans ce quartier très prisé. Sauf que dix mois après l'obtention du permis de construire, aucun chantier n'a débuté.
Cette commune d'Alsace n'est pas la seule à être touchée par cette crise du bâtiment. Dans le Bas-Rhin comme dans le Haut-Rhin, des travaux n'ont pas commencé. En cause : l'augmentation du prix des matériaux, ou encore la montée des taux d'emprunts immobiliers.
France 3 Alsace dresse le panorama de cette crise de la construction de bâtiments neufs, à travers les deux départements d'Alsace.
Un engrenage inquiétant
Franck Maire est inquiet. Ce promoteur immobilier se désole, devant ce quartier de Pfastatt (Haut-Rhin). "On est dans un environnement résidentiel, on a des stationnements en sous-sol. On a un quartier magnifique. Il devrait se vendre et par le passé, il se serait déjà vendu depuis longtemps. Aujourd'hui, il n'en est rien, seulement deux ventes en un an. Tous les promoteurs sont confrontés à la même chose : des ménages devenus insolvables avec la hausse des taux d'intérêt et un gouvernement qui aujourd'hui ne prend pas de mesure pour resolvabiliser les ménages", déplore-t-il.
Le contexte n'aide pas : dans le Grand Est, les réservations de logements neufs sont en baisse de 45% sur un an. Plusieurs facteurs sont en cause. Il y a d'abord l'augmentation du prix des logements, elle-même liée à la hausse du coût des matériaux. Il faut aussi prendre en compte l'ascension brutale des taux d'intérêt. Ils atteignent en moyenne 4,12%, à ce jour. Un taux quatre fois plus haut, comparé à 2021 : ce qui met hors-jeu de nombreux acheteurs.
"En l'espace de deux ans, les gens ont perdu environ 30% de budget. Imaginez cela sur un appartement, on passe de 87 à 88 m² aujourd'hui à 55 ou 56 m². La réglementation s'est durcie : il y a le taux d'endettement de 35 % qu'il faut respecter, et puis la bride sur la durée, fixée depuis quelques mois à 25 ans", précise Lionel Lutz, coordinateur Alsace de l'Union des intermédiaires de crédit, à Strasbourg (Bas-Rhin).
Moins de constructions, plus de fragilité financière
Le pouvoir d'achat immobilier baisse, et cela se voit immédiatement sur les constructions. Mathieu Klotz est à la tête de l'entreprise de construction du même nom. Son carnet de commande s'est déjà considérablement réduit : il a son agenda de chantiers remplis sur trois mois, au lieu de sept habituellement. "Il y a surtout une appréhension sur l'année 2024. Je pense que cette année va être difficile, quelle que soit la taille d'entreprise", redoute-t-il.
"Il y aura forcément beaucoup moins de volume d'affaires. Après, est-ce que les hausses de matériaux vont continuer comme elles étaient l'an dernier, avec des croissances exponentielles ? C'est un peu délicat", ajoute le chef de l'entreprise Klotz Construction. Seule certitude pour survivre, il faudra des reins solides et savoir s'adapter.
Chez cet autre constructeur, les ventes de maisons individuelles ont chuté de 40 %. Cette équipe mise alors sur un nouveau produit : le duo, moins cher et plus facile à bâtir. "On est au même prix que l'appartement, avec des meilleures prestations parce que finalement, vous êtes deux ou maximum trois dans une "bâtisse", une grande maison. Pour nous, cela reste une grande maison plus facile à construire, avec des grues moins grandes, des entreprises plus locales, des artisans moins nombreux", à en croire Christophe Lang, directeur commercial de Muc Habitat.
Des ristournes incitatives pour relancer les achats
Pour vendre, les promoteurs immobiliers doivent parfois recourir aux coups de pouce. Certaines prestations sont offertes aux clients, à l'image des frais de courtage. Un élément décisif, qui a permis à ce primo-accédant d'obtenir un meilleur taux d'emprunt et d'économiser 22 500 euros.
"Ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y a un taux d'endettement de 35 % quand on souhaite acheter. Je ne pouvais pas avoir mon bien avec les taux actuels, mais justement, grâce à ce courtier et ses économies d'à peu près 22 500 euros, on a pu arriver à ce pourcentage à 34,5% de taux d'endettement. Ce qui m'a permis d'acquérir ce bien", explique Maxence Moi, futur propriétaire.
Certains professionnels admettent s'en sortir, mais ce n'est pas le cas de tous. La Fédération française du bâtiment se montre pessimiste. Elle estime qu'à "l'horizon 2025, 150 000 emplois seront détruits". La fédération appelle donc le gouvernement à l'aide, sans résultat pour l'instant.