Le lundi 11 décembre 2023, le syndicat Force Ouvrière Santé des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) a saisi la procureure de la République pour dénoncer la situation des urgences. Un nouveau levier actionné par le syndicat qui alerte depuis des années.
Aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS), Force Ouvrière veut passer à la vitesse supérieure en saisissant la procureure de la République de Strasbourg ce lundi 11 décembre 2023. Face à des difficultés qu'il juge "gravissimes", le syndicat continue de dénoncer la mise en danger des professionnels de santé et des patients.
Depuis plusieurs années, l'hôpital public souffre. De nombreuses manifestations, enquêtes, prises de parole dans les médias et actions de la part du personnel soignant l'ont montré, sans que des solutions satisfaisantes ne soient trouvées selon les principaux concernés. En s'en prenant à la justice, Force Ouvrière compte aller plus loin.
"On a cherché un autre levier et surtout un regard extérieur pour mettre en responsabilité nos tutelles qui sont dans un vrai déni", dénonce le secrétaire général FO-HUS Christian Prud'homme dans une conférence de presse ce mercredi 13 décembre 2023.
Le syndicaliste fait ici référence entre autres à la préfecture, au ministère de la Santé, à l'Agence régionale de santé ou encore la Ville de Strasbourg. "On a toujours été protocolaires, dans le respect des consignes. On a tapé à toutes les portes. Mais il fallait passer à la vitesse supérieure."
Des véhicules de secours qui patientent sur les parkings
À Strasbourg, les urgences sont débordées. De plus en plus souvent, la même scène se répète sur le parking devant le Nouvel hôpital civil (NHC) ou l'hôpital de Hautepierre : une dizaine de véhicules de secours (urgences, pompiers, SAMU) sont à l'arrêt, moteur éteint, avec des patients à l'intérieur. En un an, plus de 800 véhicules de secours d'assistance aux victimes (VSAV) ont attendu plus d'une heure aux HUS. Plus de deux heures pour la moitié d'entre eux.
"À 4h30 ce matin, une femme de 46 ans était bloquée sur le parking du NHC (Nouvel Hôpital Civil, NDLR). Faute de place disponible, on a été obligés de l'intuber directement dans le camion puis on l'a envoyé à Saverne, à 35 minutes de là. C'est un exemple type de ce qu'il se passe aux urgences", cite Christian Prud'homme qui fait état d'un deuxième cas similaire dans la nuit.
Ce matin, on était à 200% de capacité avec 61 personnes pour 30 places disponibles. Pour le cinquième CHU de France, c'est juste impensable.
Christian Prud'hommeSecrétaire général FO aux HUS
Après ces événements, le syndicat a déposé un droit d'alerte, le 37ᵉ depuis le début de l'année. "Ce matin, on était à 200% de capacité avec 61 personnes pour 30 places disponibles. Pour le cinquième CHU de France, c'est juste impensable", martèle l'infirmier anesthésiste qui a fait appel avec son syndicat à l'avocat Matthieu Airoldi pour constituer le dossier qui a été déposé auprès de la procureure.
Une situation de non-assistance à personne en danger
"FO était face à un mur, alors il fallait aller plus loin. Il ne s'agit pas d'une plainte, mais de ce qu'on appelle une dénonciation de faits pouvant constituer une infraction pénale", précise l'avocat, l'infraction pénale en question étant la non-assistance à personne en danger.
Pour Matthieu Airoldi, les conditions permettant de qualifier ces faits sont remplies. "Le risque contre l'intégrité corporelle de quelqu'un est là, FO a proposé des solutions pour empêcher ce risque et il y a à notre sens une absence volontaire d'empêcher ce risque", continue-t-il, précisant que la dénonciation de faits a été faite contre X. "Il ne s'agit pas de faire tomber des têtes", tient à rappeler celui qui représente également la famille d'un homme de 80 ans mort aux urgences en septembre 2022.
Il ne vaut pas être malade en ce moment car c'est le bordel dans la plupart des établissements
Didier BirigSecrétaire fédéral de FO Santé
"On regrette de devoir en arriver là", commente Didier Birig, secrétaire fédéral de FO Santé. "Mais on alerte depuis longtemps le ministère de la Santé sur les conditions de travail ou les problèmes d'effectifs. Il a fallu que le Covid arrive pour mettre tout ça en exergue. Mais il y a un vrai décalage entre les réalités du terrain et les mesures qui sont prises. Résultat, il ne vaut pas être malade en ce moment car c'est le bordel dans la plupart des établissements", lance-t-il en ajoutant que cette saisine de la justice pourrait se multiplier dans d'autres hôpitaux dans le pays.
La majorité du personnel soignant se sent "en danger"
"Cette mise en danger du personnel se répercute ensuite forcément par une mise en danger des patients parce que la fatigue et le nombre de patients qui explose peuvent entraîner des multiplications d'erreurs", pointe Christian Prud'homme qui ajoute qu'une enquête anonyme menée aux HUS a démontré que l'immense majorité des médecins "se sentent en danger".
La procureure de Strasbourg dispose de trois mois pour donner une réponse au syndicat. Elle peut décider de saisir un juge d'instruction qui mènera une enquête pouvant déboucher sur un non-lieu ou un renvoi devant le tribunal correctionnel. "Si au bout de trois mois, il ne se passe rien, je n'ose l'envisager, on pourra cette fois-ci porter plainte pour qu'un juge d'instruction se charge du dossier. Mais j'espère qu'on ne devra pas en arriver là", se projette Matthieu Airoldi.
Des "dénonciations inacceptables" pour les HUS
Juste avant la conférence de presse de Force Ouvrière, les HUS ont réagi à la saisine de la justice dans un communiqué dans lequel ils dénoncent des "dénonciations inacceptables" faites au service des urgences. La communication des hôpitaux fait savoir qu'en plus d'une cellule de gestion des lits existante depuis 2015, un gestionnaire de lit (ou "bed manager") est venu en renfort en juin 2023.
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Pas suffisant pour FO qui précise qu'il n'y a pas de fiche de poste dédiée. D'après le syndicat, deux personnes prennent dix minutes chaque jour pour s'occuper de la gestion des lits. "Il faut un vrai cadre à tout ça", dénonce Christian Prud'homme, qui demande également la création d'un service tampon qui pourrait permettre de prendre en charge les urgences quand elles débordent.
D'après le syndicaliste, ce service pourrait permettre l'ouverture d'une douzaine de lits en six heures. "Si on propose de payer de jeunes médecins en heures supplémentaires pour ce service, on arrivera à trouver du monde", propose-t-il.
D'après les HUS, cette gestion "doit être complétée par d'autres mesures pour réduire encore l'attente des véhicules devant les urgences en assurant des entrées-sorties de manière fluide", arguant que c'est "l'une [de ses] grandes priorités".