La microbrasserie alsacienne Radwulf, située à Vieux-Ferrette (Haut-Rhin), vient de remporter une médaille d'or au concours organisé par le musée français de la brasserie. La recette du succès ? Une bière vieille de 1.000 ans, la Gose, où Raoul Zimmermann a rajouté son grain de sel. Et de folie.
Raoul Zimmermann est brasseur depuis trois ans à peine. Avant cela, il a eu bien d'autres vies. Ce qui explique peut-être que ses bières soient si riches. Basé à Vieux-Ferrette, dans le secret de ses alambics, il invente et concocte des bières savantes.
Des bières qui bloblotent à la surface de son cerveau en constante ébullution. Au pop-corn, à la sève de bouleau, à l'absinthe, au thé noir... et la dernière la Gose à l'eau salée. Une recette millénaire, revisitée, qui lui a valu une médaille d'or lors du dernier concours organisé par le Musée français de la brasserie. Portrait de ce "popoteur" de bières. Papoteur tout autant.
Labo à bières
Incontestablement Raoul a un grain. D'orge. Aide-soignant dans le milieu du handicap pendant 15 ans, il décide en 2017 de changer de vie. D'écouter ses envies qui hurlent à ses oreilles depuis pas mal de temps déjà. "J'avais lontemps travaillé en cuisine quand j'étais jeune, j'avais envie de me reconvertir dans les métiers de bouche. Quoi exactement, je ne savais pas trop. C'est un ami brasseur qui m'a fait découvrir ce milieu. J'ai tout de suite aimé." Un milieu trouble mais pas interlope où tout devient possible à condition d'avoir un peu d'imagination et beaucoup de flair. "La bière c'est un terrain de jeu immense. On peut quasiment tout brasser, mélanger les saveurs, les fruits, les légumes, les épices .... J'aime cet espace des possibles."
A 46 ans, voilà donc Raoul qui s'installe à 3 minutes de chez lui. A Vieux-Ferrette. Une microbrasserie dans un micro village, perdu au fin fond du Sundgau (Haut-Rhin). "Les gens sont détendus à la campagne et je bosse au calme." Sa brasserie s'appellera Radwulf. Raoul en vieux germain. Il y a du loup dans Raoul. Un peu de renard aussi. "J'ai déjà crée 55 bières différentes. Grâce à mes notions de cuisine, je sais les mélanges qui fonctionnent, les goûts qui s'accordent. On peut tout faire." Car avant d'être brasseur, notre homme est un popoteur. "Oui je popote les bières, je les cuisine."
De sa tête toquée sortent les recettes les plus extravagantes."Ma dernière création est une bière au pop-corn. Au pop-corn bio je précise. Je suis arrivé avec 200 kilos de maïs à la maison, je vous dis pas le travail." Pétaradant.
Il y a aussi cette "Bière du fonctionnaire" à la sève de bouleau. Celle aux quetsches et au thé noir. A la noix de coco et aux agrumes. Gingembre et citron. Au café, chocolat et épices. Aux fruits de la passion "avec le réchauffement climatique, je vais pouvoir en faire pousser dans le jardin". Tout le placard dans le verre.
Plus traditionnellement, il y a aussi cette bière tourbée, fumée à la tourbe comme un bon vieux whisky écossais de l'île de Islay. Les embruns sans la mer : Raoul est capable de tout. Cette dernière a d'ailleurs été récompensée en 2017 par une médaille de bronze au concours des meilleurs bières de France. "Celle-là soit on la déteste, soit on ne peut plus boire autre chose."
Parfois son imagination débordante se fracasse contre un coing. Shit happens. "Moi, c'est simple, je ne fais jamais d'essais. Et hop je fais tout de suite 300 litres. Je maîtrise les dosages mais parfois ça ne suffit pas. La bière au coing par exemple on peut dire qu'elle était ratée. Mais c'est pas grave, je passe à autre chose."
Fourquet d'or
Là où Raoul ne s'est pas raté, c'est lors du dernier concours organisé par le Musée français de la brasserie. Moins ronflant que son homologue "les meilleures bières de France", ce dernier est le plus vieux concours de bières de France et surtout le plus couru. 906 échantillons en compétition cette année. "C'est simple, c'est le Graal. Le jury est composé exclusivement de brasseurs professionnels. On a un vrai retour et une vraie reconnaissance de notre travail. C'est pas un concours business." Un concours première classe.
Mieux qu'une médaille, c'est un fourquet d'or que Raoul a décroché. Fourquet, comme la pelle trouée qui sert à brasser. Concours de connaisseurs, je vous avais prévenus. "C'était vraiment une grosse grosse surprise. Ça faisait deux mois que les résultats étaient dans ma boîte aux lettres... mais comme y avait un nid de guêpes qui s'y était installé pendant le confinement je n'y suis pas allé. C'est en recevant des mails de félicitations que je me suis dit qu'il se passait quelque chose. J'en suis pas revenu."
J'avais jamais bu de Gose de ma vie
- Raoul, brasseur
Il faut dire que ce n'était pas gagné d'avance. Raoul choisit de concourir dans la catégorie "à la façon de ..." qui récompense les revisites de vieux standards. "Cette année, c'était la Gose. J'en avais jamais bu de ma vie. On en trouve pas en France. Quasiment pas." Un joli nom pour une jolie antiquité. La Gose a près de 1.000 ans. Elle est née sur les rives de la Goslar en Allemagne du côté de Leipzig au 11e siècle. "J'ai fait des recherches sur Internet pour connaître ses caractéristiques aromatiques. En fait, c'est une bière salée car la Goslar, qui servait à la brasser, coulait au milieu des mines de sel... On y rajoutait ensuite de la coriandre. Ça m'a tout de suite tapé dans l'oeil."
Un mélange audacieux qu'il a fallu recomposer avec l'eau de Ferrette. Fade. "Je me suis inspiré de ce que j'avais lu. Du malt, de l'orge, du blé. Et évidemment du sel...J'ai fait quelques essais sur le taux de sel, un peu à tâtons je dois dire et je suis tombé pile." Il en ressort une "sour beer", une bière acide aux notes d'agrumes. Allez savoir par quelle alchimie ...
De grands projets
Cette Gose, pour l'instant, vous ne la trouvererez qu'à Vieux-Ferrette. Avec 2.000 litres de bière produits par mois, Raoul, pas le choix, ne propose que la vente directe. En fût, éventuellement en bouteille mais surtout à table. "On a 120 m² dans un vieux bâtiment industriel, je suis plus patron de pub que brasseur" s'amuse-t-il. Heureusement pour notre soif de découverte, Raoul voit plus grand. "Pour l'instant, nous sommes vraiment une affaire familiale. Je bosse avec ma femme qui m'aide à brasser et ma fille qui apprend le métier et qui nous dessine les étiquettes. Mais c'est clair qu'on va devoir s'agrandir. On arrive plus à suivre. Notre chiffre d'affaires augmente chaque année de 30% donc si on veut continuer sur cette lancée , il faut produire plus." Clair comme une Pils.
Raoul vient donc d'investir pour quadrupler ses capacités de production et d'embouteillage. 120.000 euros qui lui permettront de bientôt proposer ses bières dans les boutiques spécialisées. D'ici là, les Strasbourgeois pourront trouver ses créations sur la table étoilée du 1741. Mais, je le concède volontiers, ça fait chérot la bière. A moins de vouloir se faire mousser...