Alors que le mouvement des gilets jaunes met en lumière le fossé entre citoyens et politiques, une association de Strasbourgeois soumet une forme de démocratie originale aux habitants de la capitale alsacienne. Et ça passe par un robot qui s'appelle Tommy avec déjà 93.000 contributions à son actif.
Vous avez une suggestion à faire ou un problème à faire remonter pour améliorer votre qualité de vie à Strasbourg? Pas besoin d’attendre les prochaines élections municipales de 2020 et le retour des candidats armés de leurs tracts sur les marchés pour vous faire entendre.
Depuis un an et demi, Strasbourg dispose de sa boîte à idées numérique. Un site internet Vision Strasbourg doublé d’une application pour écrans mobiles (tablettes et smartphones) permet aux habitants de Strasbourg et environs de donner leur avis et de contribuer à l’aménagement de leur ville. "Tout le monde a des idées et des propositions, mais en dehors des périodes d’élections, on ne nous donne pas la parole, explique la chargée de presse de l’association qui s’est constituée en même temps que le projet. Nous voulons permettre également aux invisibles de s’exprimer."
Exemples de contributions laissées sur Vision Strasbourg:
Le quai des bateliers est très mal éclairé depuis la piétonisation, il faut le mettre en valeur.
Remettre les fontaines à eau publiques dès mars pour les joggers.
Il n’y a quasi pas de toilettes publiques en centre-ville et alentours.
A l'origine du projet, une dizaine de personnes originaires de Strasbourg et d'horizons différents, amoureuses de leur ville, mais qui n'y vivent plus forcément et qui sont même pour certaines installées aujourd'hui hors de France. "Comme Genève et New York, Strasbourg est une ville d'institutions internationales, mais elle n'a jamais réussi à avoir la même aura que les autres, explique le président de l'association, Pierre Loeb, actuel président du club des 100 de la maison de l'Alsace à Paris et qui s'est illustré par le passé dans la défense du Parlement européen dans la capitale alsacienne. Nous avons cherché ce qui pourrait la faire rayonner davantage, et nous nous sommes dit que nous allions en faire la capitale mondiale de la démocratie participative."
Confiez-vous à Tommy
Ces dernières semaines, un petit bonhomme a fait son apparition dans plusieurs lieux de la capitale alsacienne. Tommy est un petit robot interactif imaginé par l’association pour recueillir directement les contributions des Strasbourgeois. La première fois qu'on a pu le voir, c'est sur le comptoir de la réception de l'hôtel Boma situé en plein centre-ville."Les gens passent leur temps à râler, à toujours trouver que quelque chose ne va pas. Tommy leur donne l'occasion d'être force de proposition et acteur de leur ville, analyse Stéphanie Scharf, la directrice générale de l'hôtel qui a tout de suite accepté de participer à la démarche. Cela permet à nos clients strasbourgeois qui viennent régulièrement au bar ou au restaurant de contribuer à l'amélioration de leur ville. Et puis les touristes qui viennent visiter la ville peuvent aussi s'exprimer. Car ils peuvent également avoir des propositions."
« Notre mascotte Tommy n’était pas prévue au départ du dispositif, précise l’attachée de presse de Vision Strasbourg, mais à travers nos rencontres sur le terrain, nous nous sommes rendus compte que beaucoup de gens n’avaient pas un accès direct et simple à Internet, comme les SDF, les personnes âgées ou même les enfants qui ne sont jamais consultés alors qu’ils fourmillent d’idées. D’où l’idée de ce robot, pour que le plus grand nombre puisse s’exprimer." En plus de recueillir idées ou critiques, il vous permet également de voter pour celles émises par les autres. Un concentré de démocratie participative d'à peine 40 centimètres de haut.
Vision Strasbourg se contente de recueillir leurs propositions. Mais après, ils en feront quoi?
- Chantal Cutajar, adjointe au maire de Strasbourg -
"La démarche est intéressante, concède Chantal Cutajar, adjointe au maire en charge de la démocratie locale. Le résultat de cette consultation donnera une bonne photographie des attentes des Strasbourgeois, poursuit l'élue qui a engagé en 2018 un pacte pour la démocratie à Strasbourg qui vise également à rapprocher les citoyens et leurs élus. La différence est que nous incluons les citoyens dans le processus de décision alors que Vision Strasbourg se contente de recueillir leurs propositions. Mais après, ils en feront quoi?" s'interroge avec un peu de scepticisme l'élue qui annonce qu'elle regardera toutefois avec intérêt les suggestions recueillies par le petit robot.
73% d’idées, 27% de problèmes
Depuis sa création en novembre 2017, la plateforme a déjà enregistré plus de 93.000 contributions, chiffre bien au-delà des espérances affichées. "73% des messages laissés sont des idées. Les critiques ne représentent que 27% de l’ensemble, constatent avec étonnement les porteurs du projet. Et certaines nous ont permis de nous rendre compte d'aberrations: certaines communes de l'Eurométropole n'ont plus aucune liaison en transport en commun depuis la place de l'homme de fer passées 19h45, c'est inconcevable!"Un premier lot de ces contributions va maintenant être passé à la moulinette du traitement algorithmique pour dégager les thématiques qui préoccupent le plus les Strasbourgeois et les idées ou critiques qui reviennent le plus souvent. Le nombre de votes recueillis par ces contributions sera également pris en compte. L'association recherche d'ailleurs des mécènes pour financer ce traitement data.
Ce travail de synthèse donnera lieu à la publication à l'été 2019 d'un rapport avec les 50 meilleures idées. "Nous voulons publier rapidement ce rapport, avant le début de la campagne pour les élections municipales, pour que les attentes des Strasbourgeois soient portées sur la place publique et qu'ils puissent voir si elles seront prises en compte dans les programmes des candidats" explique Pierre Loeb qui se défend de vouloir se lancer dans la prochaine campagne électorale.
"Il y a parfois des choses évidentes à mettre en place, et quand ce n'est pas fait, les administrés ne comprennent pas et se disent qu'ils ne sont pas entendus, analyse-t-il. C'est le problème de nos démocraties occidentales qui vont mal aujourd'hui. Il y a trop de lourdeur administrative et de hiérarchie dans les rapports. Il faut redonner de la place au bon sens."
Tommy recherche des points de chute
Pour l'heure, deux robots sont en service dans le centre de Strasbourg, à l'hôtel Boma et à l'espace de coworking "Hello Working". D'autres bornes seront prochainement activées dans les locaux de France Bleu Alsace, Top Music et dans les locaux parisiens de la maison d'Alsace "parce que cette consultation concerne tous les Strasbourgeois où qu'ils soient" précise Pierre Loeb.Et c'est bientôt une armée de Tommy qui pourrait envahir la ville. "Nous voulons déployer une centaine de bornes dans toute la ville d'ici le mois de septembre 2019, ajoute Pierre Loeb. Et pour être sûr que tout le monde peut avoir accès à cette boîte à idées numérique, nous souhaiterions pouvoir installer Tommy dans les gares, les administrations, les quartiers défavorisés. Il faut qu'on puisse atteindre ceux qui ne sont jamais entendus".
Comment ça marche ?
Vous avez une idée ou un problème concernant Strasbourg. Pour vous connecter à la plateforme Vision Strasbourg, trois moyens s'offrent à vous :- Avec un ordinateur, connectez-vous sur le site Vision Strasbourg et laissez-vous guider par Tommy qui vous invitera à déposer votre idée ou votre problème
- Avec votre tablette ou votre smartphone, téléchargez l'application "Vision Strasbourg" (disponible sur Google play et App Store) qui vous permettra d'échanger avec Tommy
- Partez à la recherche du petit robot, appuyez sur le bouton rouge et laissez votre contribution
La démarche est entièrement anonyme : nul besoin d'entrer son nom ou son adresse pour participer. Vous pouvez également voter sous la forme de "like" pour les idées et problèmes des autres.
Tommy, gilet jaune avant l'heure ?
La petite histoire retiendra que Tommy et le projet de Vision Strasbourg sont nés un exactement jour pour jour avant le début du mouvement des gilets jaunes, le 17 novembre 2017. Preuve pour les membres de l'association que la rupture est consommée entre les politiques et leurs administrés. Mais pour Vision Strasbourg, le grand débat national censé réduire la fracture n'est pas la bonne solution.
"L'idée de segmenter en quatre thèmes les axes de réflexion du grand débat est clivant, estime le fondateur de la démarche alsacienne. Nous avions aussi envisagé d'organiser comme cela notre consultation, autour de thématiques, mais on s'est aperçu que cela peut dissuader des contributeurs potentiels et nous avons fait marche arrière". Approchés par le gouvernement pour organiser l'une des réunions de la grande consultation nationale, ils ont décliné la proposition. "Notre démarche se veut apolitique. Nous tenons à garder une totale indépendance vis-à-vis de tous les partis ou organisations politiques" insiste le président de l'association.
Tommy, à la conquête du monde
Du haut de ses quarante centimètres, le petit robot n'a pas froid aux yeux . Tommy envisage déjà d'aller prêcher la bonne parole démocratique partout dans le monde. "Une fois que nous aurons fait de Strasbourg la capitale d'une nouvelle démocratie directe et plus efficace, nous voulons exporter ce modèle dans toutes les villes où la démocratie est en danger, ambitionne Pierre Loeb. Et les démocraties en souffrance aujourd'hui ne manquent pas."