"J'ai laissé Sacha à l'école le matin, je l'ai retrouvé entre la vie et la mort le soir", la mère de cet enfant électrisé témoigne

Sacha, 10 ans, a été électrisé dans la cour de son école à Strasbourg en juin 2019. Un grave accident survenu lors d'un atelier de gravure sur bois a failli lui coûter la vie. À deux jours de l'ouverture du procès contre l'association en charge des activités périscolaires ce jour-là, sa mère raconte. Les pleurs, la souffrance et les stigmates.

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Marie B. est une mère en colère. D'une seconde à l'autre, sa voix douce, effacée, tourne à l'orage. Tonne, vitupère, foudroie. Il faut dire que sous son crâne, la pression monte. Depuis presque quatre ans maintenant. Depuis qu'un beau jour de juin 2019, son fils, Sacha, s'est fait électriser dans la cour d'une école à Strasbourg.

Jeudi 1er juin, Marie B. pourra exprimer cette colère à la barre du tribunal correctionnel. Lâcher enfin du lest. Avoir aussi, peut-être, des explications sur la chaîne de dysfonctionnements qui a conduit son fils de 10 ans aux portes de la mort. Entretien.

C'était le 4 juin 2019. Sacha ne s'en souvient plus trop. Sa maman Marie l'a gravé dans sa mémoire, pour la vie. "J'ai laissé Sacha le matin à l'école, le soir, je l'ai récupéré entre la vie et la mort." 

Dans l'après-midi, M.M, l'animateur, organise un atelier de gravure sur bois, dans le cadre des activités périscolaires pour une dizaine d'enfants. À l'école primaire Gustave Doré, dans la cour, les enfants s'approchent, essaient cet appareil improbable. Sacha est de la partie. Vers 16h, le petit garçon brûle littéralement, "des flammes sortaient de son corps". Il vient d'être électrisé par l'appareil.

Un engin de mort

En guise de pyrogravure, l'animateur M.M, malgré quelques réticences de certains collègues, utilise le procédé de gravure de Lichtenberg. "Il s'agit de brûler le bois grâce à deux électrodes entre lesquelles passe après être transformé un courant de 2000 volts. Pour que le courant passe entre ces deux extrémités, on enduit la planche d'eau salée. C'est ce haut voltage, cette haute-tension qui doit brûler le bois" explique Marie B.

L'enquête déterminera que, pour fabriquer son appareil, M.M a bidouillé un transformateur de micro-ondes. Des tutos existent sur le web. "Il a fabriqué un engin de mort sans même penser à équiper les enfants de protections : posé sur une planche, sur un vélo cargo, pas de gants, pas de lunettes, pas de chaussures de sécurité. Le disjoncteur était inaccessible, dans un local fermé à clé." 

Il a fabriqué un engin de mort sans même penser à équiper les enfants de protections

Marie B.

Sacha prend une décharge de 2000 volts. M.M le retient de tomber et partage avec lui l'arc électrique. Tous deux gisent à terre. Inconscients. En arrêt cardiaque. "Sacha doit la vie à un parent d'élève infirmier qui lui fait un massage cardiaque". Son cœur reprend après huit minutes d'arrêt. Il restera entre la vie et la mort 24h en soins intensifs.

Une chaîne de dysfonctionnements 

M.M s'en sortira lui aussi. C'est lui qui sera sur le banc des accusés jeudi 1er juin. Aux côtés du responsable de l'association Les Disciples, en charge des activités périscolaires à Gustave Doré, dont il est salarié. "Il a à la fois sauvé notre fils et créé cette situation extrêmement dangereuse, surréaliste même. Mais il n'est pas le seul responsable. Les Disciples sont fautifs, mais il n'y a pas qu'eux : la Ville de Strasbourg, le responsable périscolaire de la ville sur le site de l'école ... Pourquoi eux ne sont pas inquiétés ?"

Il a à la fois sauvé notre fils et créé cette situation extrêmement dangereuse.

Marie B.

Si l'enquête a conclu à "un manque d'à propos et de discernement" de la part du responsable du site, salarié de la Ville, ce dernier n'a pas été inquiété. "Cela dépasse notre entendement. Une cour d'école doit être un lieu sanctuarisé, hors de danger. Là tout était réuni, une chaîne de dysfonctionnements allant de la rallonge branchée dans un bureau fermé à clé sans personne, au disjoncteur inaccessible en passant par la non-vérification des activités proposées dans la cour de l'école, un manquement flagrant aux règles de sécurité… Il y aurait pu avoir bien plus de blessés. Des morts même."

Les parents de Sacha ont porté plainte contre X en juin 2019, la tête ailleurs, auprès de leur fils alité pendant un mois à l'hôpital. Marie s'en veut toujours, peine à raconter, oscille entre pleurs et cris. "Nous aurions dû être plus vigilants, mais nous avons préféré rester avec Sacha. Maintenant, nous sommes en colère, oui. Tous les responsables ne seront pas jugés jeudi. Nous ferons appel s'il le faut. Les Disciples nous suivront certainement, ils ne veulent pas porter le chapeau tout seuls." 

Une vie abimée

Non que les parents soient animés d'un esprit de revanche inexpugnable. Ils souhaitent simplement connaître la vérité. Pour que cela ne puisse pas, un jour, se reproduire. Pour que Sacha puisse grandir un peu plus droit.

Sacha a aujourd'hui 14 ans. C'est un ado qui revient de loin. Il en portera les stigmates toute sa vie. "Vous savez, je l'ai vu pleurer et crier de douleurs des jours et des nuits entiers pendant un mois à l'hôpital, c'est à peine concevable pour des parents."

La douleur, les amputations, les greffes. Brûlé au 3e degré sur le thorax et les avant-bras, il a fallu cureter la chair brûlée puis greffer à Sacha des bouts de peau neuve "parfois, il n'y avait plus rien, plus de chair jusqu'à l'os." Et quand rien ne pouvait plus être sauvé, amputer les phalanges du majeur, du pouce et de l'index.

Sacha faisait du piano, il a essayé de s'y remettre, mais ses doigts, raccourcis, ne suivent plus, "c'est un crève-cœur, il n'a plus les mêmes sensations". Sacha n'arrive plus non plus à se concentrer à l'école, il est depuis quatre ans sous Ritaline, un psychostimulant. "Depuis quatre ans, on n'est jamais sortis de cette histoire. Ça a eu des impacts sur notre travail, sur notre famille, sur notre quotidien. Vivre au rythme des rendez-vous médicaux, des cures, des séances de kiné. "

Depuis quatre ans, on n'est jamais sortis de cette histoire. Ça a eu des impacts sur notre travail, sur notre famille, sur notre quotidien.

Marie B.

Sacha va aujourd'hui mieux, mais il a du mal, à l'âge où les moindres défauts se muent en complexes hyperboliques, à accepter ce corps différent, stigmatisé. "Il ne veut plus aller à la piscine, à la mer, ne veut pas se mettre en maillot. Ce n'est pas qu'il ne peut pas, mais il ne veut pas, psychologiquement." Alors Sacha fait du sport, se muscle, et voit régulièrement un pédopsychiatre pour se reconstruire, à l'intérieur aussi.

Il ne veut plus aller à la piscine, à la mer, ne veut pas se mettre en maillot.

Marie B.

Tout ça, Marie va l'expliquer à la barre jeudi, sans son fils "pour qui ce sera trop pénible". Avec ses mots à elles sur ces maux à lui. Avec sa colère de maman meurtrie, révoltée.. 

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