Journée mondiale de la visibilité lesbienne. Caroline Keck, pasteure en couple : "Nous ne sommes pas des anomalies"

A l'occasion de la journée mondiale de la visibilité lesbienne, je n'ai pas hésité une seconde. J'ai appelé Caroline Keck : une sacrée femme, une mère, une épouse, une pasteure. Elle vit depuis douze ans avec son épouse Fanélie. En plein jour. Sous le regard de Dieu. Et de ses paroissiens.

J'avais déjà appelé Caroline Keck pour un tournage il y a quelques mois. Un peu par hasard je dois dire. Cette femme, cette sacrée femme m'avait tout de suite plu. Son discours tolérant. Son verbe franc et fort, un peu gouailleur. Celui d'une femme habituée aux homélies. Son histoire aussi : celle d'une pasteure, à la trajectoire très normée, très "hétéronormée" et qui, à 30 ans, prend un virage. Tombe. "Tombe d'amour" pour une femme.

Caroline n'est pas lesbienne. Caroline aime une femme. C'est tout. Elle est aussi bien d'autres choses. Alors, pour cette journée mondiale de la visibilité lesbienne organisée ce lundi 26 avril, je n'ai pas hésité une seule seconde. C'était elle et personne d'autre. Portrait.

Qu'est-ce qui m'arrive ?

Caroline Keck vient de fêter ses 53 ans. Hier. Un âge où l'on commence à regarder derrière soi. Un peu. Et derrière Caroline, il y a une vie de foi et des vies d'amours. D'amours plurielles. En 1991, Caroline, qui n'a connu que des hommes et en a choisi un devant Dieu et le maire, divorce. Elle a 30 ans et deux enfants. C'est là qu'elle a "une révélation"

Pourquoi m'a-t-on donné ce sentiment ? Et surtout qu'en faire maintenant ?

Caroline Keck, pasteure

Caroline "tombe d'amour". Comme on trébuche puis se relève, grandi peut-être. Tombe d'amour pour une femme. C'est la première fois. "C'était troublant, ça m'est tombé dessus comme une foudre. Je me suis demandée ce qui m'arrivait. Dans ma tête, je ne savais plus trop. Pourquoi m'a-t-on donné ce sentiment ? Et surtout qu'en faire maintenant ?"

"On" c'est Dieu. Son compagnon de route depuis toujours. Et d'ailleurs, lui, a-t-il un sexe ? "J'ai vite arrêté de me poser toutes ces questions. Je dirais que je suis pansexuelle, que j'aime les hommes, les femmes. Que j'aime la personne dans son entièreté, sa globalité. Au-delà du sexe. Nous ne sommes pas une anomalie me suis-je dit. Dieu nous a faits ainsi alors pourquoi aller à son encontre ?"

La première fois que je l'ai vue j'ai su

Caroline Keck, pasteure

Alors, Caroline écoute son coeur et son Dieu acquis, depuis la nuit des temps, à la cause LGBT. Elle ne va pas à son encontre. Elle part à la rencontre. De Fanélie. "Nous nous sommes connues sur un site de rencontres. La première fois que je l'ai vue j'ai su. Nous avions beaucoup de choses à nous dire. Une réelle complicité. On s'est vues, revues, dansé en discothèque. Et nous ne nous sommes jamais plus quittées."

C'était le 19 avril 2009. Une date marquée en rouge sur le calendrier du frigo. Ses enfants, nés de son premier lit, n'ont rien à redire. Ou si : "Sois heureuse, c'est tout ce qui compte." 

 

Le miracle de la PMA

Fanélie s'installe rapidement dans le petit presbytère d'Eckbolsheim (Bas-Rhin). "Le conseil presbytéral m'avait choisie à l'époque pour mon profil de femme célibataire avec deux enfants. Là la donne changeait, il y a eu quelques remous. Quand nous avons mis nos deux noms sur la boîte aux lettres, les questions ont fusé. On m'a demandé des explications. Comme si j'étais malade "qu'est-ce qui vous arrive ?" Ce genre de choses. Certains paroissiens se sont détournés de moi. Qu'importe." 

Quand nous avons mis nos deux noms sur la boîte aux lettres, les questions ont fusé.

Caroline Keck

Avec le temps, les questions s'amenuisent. Quand on voit, on croit. A la possibilité d'un amour lesbien. Au couple. Inconditionnel. "C'était surtout par ignorance je pense .. je n'ai pas vraiment senti d'animosité, nous restions quand même discrètes."

Caroline et Fanélie auront deux enfants. En Belgique, pas le choix, grâce à la PMA (procréation médicale assistée). C'est Fanélie qui les portera "à 43 ans, j'étais un peu trop vieille". Yaël en 2011 puis Siméon en 2013. Deux prénoms bibliques pour célébrer ce miracle de la science. "Ça a été une période compliquée, très contraignante. Devoir se rendre en Belgique pour simplement être mère, je ne comprends pas. Toute femme devrait avoir en France la possibilité de donner la vie. Mais rien d'insurmontable. Nous, nous étions simplement raccords avec nous-mêmes. Deux femmes qui s'aiment et qui veulent avoir des enfants ensemble. Et nous avons fait ce qu'il fallait." Caroline devient "Mom". Fanélie "maman". Une famille. "Atypique peut-être mais naturelle, où tout coule de source".

Toute femme devrait avoir en France la possibilité de donner la vie

Caroline Keck

Pendant ce temps-là, ironie du sort, la famille de Fanélie, très catholique, manifeste dans les rangs de la Manif pour tous. A Lyon. "Ils ne m'acceptent pas, ils me tolèrent. Nous vivons toujours dans le péché." Alors, contre les idées reçues, contre l'intolérance, Caroline prend son bâton de pèlerin. Et court les contre-manifs : "J'ai été sidérée de voir une telle violence de l'autre côté. On nous disait : vous irez brûler en enfer." Un comble pour une pasteure.

Du côté de son directoire, Caroline doit aussi, désormais, rendre des comptes. "Après la naissance de Yaël, j'ai été invitée par le président du directoire protestant. Il y avait là toute l'armada. Pour l'inspectrice laïque : j'étais hors la loi, ce que j'avais fait était illégal. Et pour tous, la PMA était une abomination." Caroline ne devra son salut qu'à son conseil presbytéral, de nouveaux conseillers qui la soutiennent et qui la portent. Caroline peut rester à Eckbolsheim. Dans sa paroisse. Chez elle.

 

Mariées à la mairie, bénies dans le parc

Fanélie et Caroline se marient en 2015. Pour elles, pour les enfants aussi. Pour qu'ils aient officiellement deux mamans par le biais de la procédure d'adoption. 

Union civile et fête religieuse. Pour les deux femmes, croyantes, prendre Dieu en témoin est crucial. Un pasteur accepte de célébrer leur union. En dehors de l'église, dans le parc. Sous le soleil mais sans autel. "On ne pouvait pas encore bénéficier d'une bénédiction nuptiale, dans les murs de notre église, ça m'a fait souffrir quand même... mais toute ma paroisse était là, la chorale, les amis. C'était un beau moment. Peut-être demandera-t-on la bénédiction pour nos dix ans de mariage ? J'y songe, on verra."

Car le mariage de Caroline a créé un précédent. Et a ouvert une brèche dans les murs poussiéreux des convictions séculaires. En novembre 2019, l'Union des églises protestantes d'Alsace et de Lorraine (UEPAL) vote la possibilité de bénir les mariages homosexuels en Alsace et en Moselle. "La force du protestantisme, c'est son ouverture d'esprit fondée sur le principe de liberté de conscience. Chacun est libre de ses choix. Contrairement au catholicisme où le magistère, la voix papale pèse lourd. Ordonne." 

 

Le droit d'être invisible

Caroline ne milite pas plus aujourd'hui qu'hier pour davantage de visibilité. Si elle s'est longtemps engagée, notamment au sein de l'antenne inclusive de la paroisse strasbourgeoise St-Guillaume, c'est pour défendre, dans un sens, le droit à la banalité. Celui, justement, de se fondre dans la masse. D'être invisible.

"C'est dingue de penser qu'au 21e siècle, on juge les gens de par leur sexe ou leur orientation sexuelle. Ma sexualité ne me définit pas. Je suis un tout, une personne dans sa globalité. Moi, je revendique le droit à être n'importe qui, à avoir une vie normale, sans me cacher, sans avoir à en être fière, sans même combattre pour cela. Je suis ce que je suis."

Si Dieu nous a créé ainsi, avec cette orientation, de quel droit les hommes nous jugent-ils ?

Caroline Keck

Et Caroline va plus loin. Endossant pour conclure, comme un oiseau de bon augure, son bel habit noir, son habit noir de jais. "Si Dieu nous a créé ainsi, avec cette orientation, ce penchant, de quel droit les hommes nous jugent-ils ? Se croient-ils au-dessus de Dieu ?" Le péché d'orgueil est un péché capital. La messe est dite. Pour Caroline du moins.

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