Le deuxième jour du procès de Jean-Marc Reiser, accusé d'avoir tué l'étudiante Sophie Le Tan en 2018, s'est ouvert le mardi 28 juin 2022. La personnalité de l'accusé a été passée au crible, avec en filigrane son comportement curieux et dangereux avec les femmes à travers les décennies.
Le procès de Jean-Marc Reiser se poursuit. Pour le deuxième jour, le mardi 28 juin 2022, les témoins se sont succédé à la barre pour dépeindre la personnalité de l'homme de 61 ans, accusé du meurtre de Sophie Le Tan en septembre de 2018. Le rapport de Jean-Marc Reiser avec la gent féminine était au centre des discussions.
Le banc des parties civiles est plus parsemé que la veille. La mère de Sophie Le Tan n'est pas revenue, elle qui s'est évanouie au premier jour du procès. Jean-Marc Reiser s'installe dans le box, et porte toujours un t-shirt kaki.
Pour débuter cette deuxième journée, une enquêtrice de personnalité se présente devant la cour. Elle a rencontré Jean-Marc Reiser à trois reprises, à la maison d'arrêt de Strasbourg. Elle le décrit comme quelqu'un qui aime les monologues, dont on a du mal à couper la parole, et qui répond souvent à côté des questions. Chose que l'accusé fait pendant son procès.
L'enfance de Jean-Marc Reiser, marquée par les déménagements et deux redoublements au collège, ne lui a pas permis de créer des liens forts avec des amis. Son père, porté sur la boisson, frappait sa mère, ce que le jeune Jean-Marc détestait. Au point de s'en prendre physiquement à son père en le menaçant avec une hache à l'âge de 14 ans.
Avec les femmes, timide ado, violent adulte
L'enquêtrice de personnalité parle d'un homme "timide" avec les femmes à l'adolescence. Ses premiers amours, il les rencontre dans les années 1980. À cette époque, il lui arrive d'avoir plusieurs rapports sexuels par jour, avec des femmes différentes. Une de ses maîtresses, qu'il rencontre à Bastia au début des années 90 explique avoir "eu très peur" de Reiser, lui qui dévissait les roues de sa voiture car il ne supportait pas qu'elle ait rompu avec lui.
Depuis son box, ce dernier écoute calmement, les yeux fermés. L'enquêtrice continue à dépeindre sa personnalité. Toutes les femmes qu'elle a rencontrées pour son enquête décrivent de Jean-Marc Reiser comme un "homme violent". Deux de ces anciennes collègues à la poste de Strasbourg affirment qu'il les mettait mal à l'aise, et que "toutes les femmes étaient soulagées de son départ" en 1990.
Il voulait me mettre mal à l'aise.
L'enquêtrice de personnalité sur Jean-Marc Reiser
Un autre élément revient souvent dans les témoignages que l'enquêtrice a reçu : le sentiment de supériorité de Reiser. Un sentiment qu'il répercute sur les femmes avec qui il a eu des relations, toutes jamais très longues. Au lit, toutes affirment qu'il accordait beaucoup d'importance à son propre plaisir avant celui de sa partenaire, sans qu'aucune ne mentionne des violences sexuelles.
Pendant ses trois entretiens avec Jean-Marc Reiser, l'enquêtrice d'une trentaine d'années a elle aussi été gênée. Elle raconte que l'accusé lui faisait du pied à plusieurs reprises sous la table : "Il était à l'aise pendant les entretiens, au point de chercher plusieurs fois le contact avec mes pieds. Il voulait me mettre mal à l'aise."
Reiser, un homme très procédurier
Après la déposition de l'enquêtrice, Jean-Marc Reiser a la parole. D'emblée, il critique l'enquête qu'il juge "parcellaire" et "orientée à charge". L'accusé se lève dans son box pour préciser son propos. Les trois policiers qui l'entourent lui bondissent aussitôt dessus. Reiser se rassied, mais les policiers resteront debout jusqu'à la fin de la matinée.
Pendant un long monologue très précis, il revient sur des points de détail que l'enquêtrice avait abordés plus tôt. Son avocat Pierre Giuriato hoche la tête après la prise de parole de son client. Du côté des parties civiles, le cousin de Sophie Le Tan écoute ce qu'il se dit, et converse de temps en temps avec Me Stephan, l'avocat de la famille.
Le passé judiciaire de Jean-Marc Reiser refait surface. En 1997, il est interpellé dans le Doubs avec des armes, des médicaments, une cagoule et des photos à caractère sexuel où on y voit des femmes avec des objets dans leurs parties intimes. L'accusé parle de "mise en scène dans le sommeil d'une de ses maîtresses". Quand le président lui demande si elle était consentie, un long silence s'installe dans la salle d'audience, avant que Jean-Marc Reiser réponde que "non".
Le ton monte entre Reiser et le président
Il contestera ensuite avoir violé une touriste allemande en Gironde en 1995, ce pour quoi il a été condamné à 15 ans de prison, avec le viol constaté sur les photos de sa maîtresse : "Je suis réellement innocent dans cette histoire !", crie-t-il, lui qui était très calme depuis le début de la journée. "Pas aux yeux de la justice", lui répond sèchement le président de la cour d'assises.
Le ton monte entre les deux hommes. On sent une légère exaspération chez le président. Et pour cause : Reiser tourne autour du pot, parle énormément, et quand on il répond enfin à la question, ce n'est jamais de sa faute. C'est celle des jurés, des juges, du personnel pénitentiaire, de ses compagnes…
Il disait toujours "moi", jamais "nous", ni "elle".
Un témoin à propose de Jean-Marc Reiser, qui l'a connu sur internet
Deux témoins terminent la matinée. Le premier, qui l'a connu sur un site internet de sorties entre amis, décrit Jean-Marc Reiser en ces termes : "Ce n'était pas un macho typique. Quand il voulait m'expliquer comment séduire les femmes, il disait toujours 'moi', jamais 'nous', ni 'elle'. Il disait l'effet que faisait telle marque de vêtements aux femmes. Mais je ne l'ai pas vu avoir de comportement bizarre avec une membre du groupe."
L'après-midi, plusieurs femmes ont témoigné devant la cour. Toutes ont été en relation avec Jean-Marc Reiser, de 1980 pour la plus ancienne, à 2018 pour la plus récente. La déposition de son premier amour est lue par l'assesseure : "Jean-Marc Reiser était quelqu'un d'imprévisible. Je suis partie en cachette pour le quitter, mais il m'a harcelée en voiture en disait qu'il m'aimait. Moi, je ne sais pas si j'étais amoureuse. En tout cas, à la fin de le détestais."
Reiser ne supporte pas qu'on rompe avec lui
Cette histoire fait écho aux autres témoignages. Quand une femme veut quitter Jean-Marc Reiser ou le contraint, il devient fou et harcèle celle qui cherche à le fuir : "Un jour, je lui ai fait faux bond. On devait aller à la piscine ensemble, raconte Carole*. Mais il me retrouve, me fait monter dans sa voiture. Il roule sur l'autoroute, très vite. Là, je ne sais pas m'échapper, je suis terrorisée. On arrive dans une forêt et il me projette au sol, et me donne des coups des pieds dans le ventre", se souvient une ancienne compagne, avant de ne plus répondre aux questions des avocats : "Je n'en sais rien… Je n'ai qu'une envie, c'est d'être aphone aujourd'hui. Vous croyez que j'ai envie de parler? Même après notre relation, j'ai eu peur de lui pendant 10 ans", lâche-t-elle.
Jean-Marc, c'est un iceberg. Il y a 10% au-dessus, 90% en dessous.
Béatrice à propos de Jean-Marc Reiser
A l'écoute de ce témoignage, Jean-Marc Reiser dit non de la tête. Béatrice* cherche ses mots quand il faut décrire sa relation avec l'accusé : "Celle d'un couple", finit-elle par déclarer après de longs silences. Mais les années passées avec lui sont remplies de violence : "Il me frappait. Je ne sais pas s'il maitrisait la violence de ses coups. J'ai le souvenir d'une gifle qui m'a fait voir double. Je crois qu'il m'a cassé le nez." Elle pointe également aussi le caractère mystérieux de son ancien compagnon : "Jean-Marc, c'est un iceberg. Il y a 10% au-dessus, 90% en dessous. Je ne le connais pas. Personne ne le connait."
Des scènes de furie quand on le contrarie
Les témoignages s'enchaînent et les points communs sautent aux yeux. Comme lorsque Véronique*, qui a vécu quelques semaines avec Jean-Marc Reiser au début des années 90, raconte la fois où elle lui demande de la ramener chez elle : "J'ai vu que ça ne lui plaisait pas du tout. Il était très en colère. Il a roulé comme un fou, a éteint les phares. On a roulé dans le noir, j'ai eu vraiment peur. Et je me suis dit 'je ne peux pas continuer à vivre avec lui en ayant peur'. Mais il ne voulait rien entendre, je n'arrivais pas à l'arrêter."
Elle raconte aussi que quand elle a voulu rompre avec lui, il est entré dans une immense colère, et a jeté des chaises à travers l'appartement, en hurlant : "J'étais terrorisée, je ne savais pas comme la nuit allait se finir. Puis il s'est calmé."
Je lui dis que je n'ai plus envie de le voir. Là il a commencé le harcèlement.
Agnès à propos de Jean-Marc Reiser
Agnès*, qui partageait sa vie avec Jean-Marc Reiser avant son arrestation en 2018, a témoigné en dernier. Ils s'étaient connus dans les années 1980, avant de se retrouver en 2010, à la sortie de détention de Reiser : "Dès le début, la relation était violente, explique-t-elle. La première fois, je l'avais invité le soir à manger. Tout de suite il me sort 'la prochaine fois, ça sera purée-poisson', j'étais sur le cul. Ça ne correspondait pas à l'image que j'avais de lui [25 ans plus tôt]. Je lui dis que je n'ai plus envie de le voir. Là il a commencé le harcèlement : les sonneries à la porte, les coups de fils etc."
Agnès reconnaît avoir été sous emprise. "Pourquoi n'avez vous pas mis fin à la relation ? N'êtes-vous pas allé à la police ?" lui demande le président. "Combien de fois j'ai essayé de dire stop ! Mais la police, ça ne servait à rien, il continuait", lui répond-elle. Dans le box, Jean-Marc Reiser rit derrière son masque.
Quand je ne voulais pas faire un rapport, c'était la guerre.
La dernière compagne de Jean-Marc Reiser
Comme pour les autres femmes venues témoigner, elle qualifie la relation de violente. Sans toutefois qu'elle ne se traduise sexuellement : "Je ne dirais pas que j'ai été violée, mais quand je ne voulais pas faire un rapport, c'était la guerre. A certains moments, j'avais l'impression qu'il avait la volonté de faire du mal, surtout au début. Vous lui faites une remarque et il le prend comme une insulte. Il me frappe quand il veut me faire taire."
Interrogé après ces sept témoignages, Jean-Marc Reiser s'explique : "Je n'ai pas une image négative des femmes. Il m'est arrivé d'avoir des ressentiments pour certaines d'entre elles et des comportements inappropriés lors de ruptures. Après il y a des femmes qui n'ont jamais eu à se plaindre de moi, on n'entend que celles avec qui ont quelque chose à dire sur moi."
J'ai été violent avec certaines, c'est vrai.
Jean-Marc Reiser au sujet des témoignages
Le président pointe les similitudes qui existent entre tous les témoignages : "Je suis quelqu'un d'impulsif, répond l'accusé. J'ai été violent avec certaines, c'est vrai. J'ai eu quelques fois des réactions dures à contrôler." Avant de se contredire : "Il y a beaucoup de choses exagérées ou inexactes dans ce que disent les témoins."
Sur Sophie, encore une pulsion ?
Avant que la parole soit donnée à l'accusée, un des avocats de la défense questionne Agnès, qui était la compagne de Jean-Marc Reiser au moment des faits, vis-à-vis de la mort de Sophie Le Tan (l'homme affirme qu'il n'avait pas l'intention de tuer l'étudiante) : "Je pense que cela a très bien pu se passer comme il l'a dit, répond-elle. Vous savez, les coups, je connais. Il s'est énervé comme il le faisait avec moi, il s'est en rage et il l'a cognée. Il est tout à fait possible que ce soit une pulsion et qu'elle ait pris le dessus."
Le troisième jour du procès sera consacrée à la personnalité de la jeune femme disparue en septembre 2018, avant que son corps ne soit retrouvé en forêt de Rosheim, dans l'ouest du Bas-Rhin, un an plus tard. Six membres de sa famille doivent témoigner, tout comme son petit copain de l'époque.
* Les prénoms ont été modifiés.