Ils étaient onze commerçants à se lancer dans l'aventure en novembre 2017, ils ne sont plus que quatre. Quatre irréductibles à croire dur comme fer qu'il y a de la place à Schiltigheim pour ces halles mi-gourmandes, mi-culturelles, qui peinent à attirer du monde tout au long de la semaine.
Les allées paraissent un peu vides en ce vendredi matin. "L'impression est plus forte que la réalité, tempère Cédric Gantch, qui s'affaire au café-restaurant des halles du Scilt. On a du passage en permanence, en fait. Mais c'est grand ici, trop pour avoir une impression de foule." Son enthousiasme et son affabilité font partie du paysage. Un optimiste à toute épreuve, qu'il brandit depuis le début de l'aventure, en novembre 2017. Et les chiffres sont là, aussi, pour le confirmer : "nous faisons 20 à 30 couverts par jour. Le week-end s'ajoutent les petits cafés, les apéros... La terrasse a super bien marché cet été." Suffisamment pour que lui et son associé puissent vivre de cette activité.
Ils sont les seuls à avoir lancé leur affaire au moment de l'ouverture des halles. Les autres commerçants avaient d'autres boutiques, une exploitation, une présence sur d'autres marchés... Cinq professionnels permanents, avec des espaces aménagés pour eux. Et sept "mobiles", qui avaient au départ pris place sur des stands sous tente pour vendre du café, du miel, de la bière ou encore des produits fermiers, un peu comme ils le pouvaient. Tous sont partis.
10.000 euros de perte pour le caviste
"Le début a vraiment été difficile, se souvient Philippe Roth. Ce caviste schilikois a tenu cinq mois, avant de quitter le Scilt pour se concentrer sur son restaurant et sa boutique de la route de Bischwiller. C'était le chantier, la Ville voulait absolument ouvrir mais nous n'étions pas prêts. Des trucs tout bêtes, il n'y avait de wi-fi au début, nos clients ne pouvaient pas payer par carte! Nous avons dû nous débrouiller, il n'y avait pas d'interlocuteur solide pour chapeauter tout ça." Lui dit avoir perdu 10.000 euros en cinq mois, le coût du salarié qu'il avait passé de son restaurant, attenant à sa boutique, aux halles. "Le temps de présence était beaucoup trop important pour le peu de ventes effectuées."
Il ne regrette pas d'avoir tenté l'expérience, mais estime que les lieux ne sont pas adaptés à ce concept de halles gourmandes. "Le projet, tout au départ, sous l'ère Nisand (ndlr : le maire de l'époque, Raphaël Nisand, a lancé le projet sous son mandat, entre 2008 et 2014), c'était d'en faire un lieu culturel, un espace d'art contemporain. Le bâtiment a été restructuré en ce sens, il n'est pas vraiment adapté à l'alimentaire."
Cédric Gantch se souvient lui aussi des débuts difficiles. Les clients du café-restaurant ont passé tout le premier hiver sous des couvertures. "Le chauffage ne marchait pas bien, franchement le chantier n'était pas fini... ça ne faisait pas classe! La Ville a précipité l'ouverture..."
Les soubresauts politiques ont plombé les premiers mois d'activité, les commerçants en sont persuadés. Rappelons que les Scilt ont été l'un des thèmes centraux de la bataille électorale surprise du début 2017, alors qu'une démission du conseil municipal a précipité des élections à mi-mandat. L'écologiste Danielle Dambach a remplacé Jean-Marie Kutner à la tête de Schiltigheim en avril 2017.
La Ville veut de la culture
Aujourd'hui, la nouvelle maire hérite d'un dossier dont elle n'a maîtrisé ni le timing, ni le contenu. "Pour ma part, je croyais plus en le projet de départ, un lieu culturel tel qu'il était envisagé. Les commerçants le savent, ils peuvent compter sur notre soutien, nous avons une relation de partenariat et nous allons faire les efforts pour les soutenir, pour attirer plus de professionnels. Mais nous nous laissons encore un an ; si le lieu ne vit pas davantage, il pourrait très bien changer de vocation... Même s'il faudrait tout recommencer, repartir sur des discussions avec la DRAC [direction régionale des affaires culturelles, ndlr], nous pouvons encore décider d'en faire un lieu 100% culturel, le bâtiment, magnifique, s'y prête parfaitement."Un an encore, pour renforcer l'attractivité économique du lieu. Avec les quatre commerçants restants : un maraîcher, un épicier fin spécialisé dans le fromage, un boucher-charcutier et le café-restaurant. Regroupés en association, "les Sciltikois" se serrent les coudes. Et voient l'avenir avec envie. La preuve : ils viennent d'embaucher eux-mêmes un poissonnier, pour que les clients retrouvent ces produits de la mer qui avaient eux aussi disparu des halles après quelques mois de présence.
Le poissonnier est de retour
"Je viens les vendredis, samedis et dimanches, explique Thomas Schmitt, 22 ans à peine, mais prêt à se lancer seul dans le grand bain. Je venais ici au début des halles, quand je travaillais pour un patron. Il a arrêté son activité ici, mais moi, j'ai envie qu'elle revive. Pour l'instant, je suis salarié, mais si ça marche bien, je me mettrai à mon compte."
Elargir la gamme, mutualiser les moyens
"La fermeture des stands a donné une mauvais image, reprend Cédric Gantch après avoir servi deux cafés à des habitués. Mais au final, les clients trouvent aujourd'hui plus de produits qu'il y a un an. Car chaque commerçant a élargi sa gamme, récupéré les produits de ceux qui sont partis. Le secret de notre réussite, c'est sûrement la mutualisation. Chacun ne peut pas mettre une personne du mardi au dimanche, toute la journée, pour vendre du miel."
Si ça ne marchait pas, on n'est pas fou, on serait parti!
Alors, le miel, c'est désormais Nicolas Diemer, le maraîcher qui le vend. En face de lui, le spécialiste du fromage propose des huiles, du vin, des épices, du thé, du vin. Et s'occupe du pain, livré par une boulangerie voisine. Le meilleur exemple sans doute du virage opéré par les piliers des halles. La responsable, Valérie Bach, est d'ailleurs la présidente des Sciltois. "Notre magasin du centre-ville de Strasbourg, Grand-rue, nous a servi de modèle : il faut s'adapter à la clientèle, proposer de nombreux produits, voir ce qu'ils attendent." Et la formule est désormais payante, à Schiltigheim aussi : "j'ai des fois, les mardis par exemple, plus de monde au Scilt que Grand-rue! Si ça ne marchait pas, on n'est pas fou, on aurait déjà arrêté!"
Attirer de nouveaux commerçants
L'association des commerçants est également très favorable à l'arrivée de nouveaux collègues, les week-ends notamment. "Nos portes sont grandes ouvertes, affirme Valérie Bach. On a quelqu'un qui vient vendre des olives, un autre des champignons... Un caviste va nous rejoindre les fins de semaines. On va aussi accueillir des spécialistes de la déco, qui pourrait exposer leurs meubles et leurs créations.""Les commerçants ne peuvent pas se limiter à être quatre ou cinq, confirme Danielle Dambach. Il faut qu'ils s'ouvrent, acceptent d'autres partenaires, leur fassent de la place..."
Moi, j'aime les produits locaux
C'est un beau lieu, très réussi
"On tâtonne encore un peu, notamment sur les horaires, sur notre présence, concède Nicolas Diemer, le maraîcher de Kolbsheim. Mais on tient, on est solidaire. Et franchement, c'est un plaisir, on a nos habitués, on discute... ça prend bien!" Confirmation de la cliente qu'il est entrain de servir, en pommes, raisin, salades, une majorité de ses produits viennent de la ferme familiale. "Moi, j'aime les produits locaux, de proximité... Je viens ici dès que besoin, deux-trois fois par semaine, je fais la majorité de mes courses ici. En plus, j'habite à côté, je viens à pied, c'est très pratique."
Ce couple vient lui de la Robertsau, chaque semaine ou presque. "On adore venir. On mange, on boit un coup. Quand il y a une nouvelle expo, on va la voir... c'est un très beau lieu, très réussi." Celui-ci est venu de Reichstett juste pour le découvrir, client habituel de la boucherie Maechling, qui a ouvert une "antenne" ici. "Pour nous, ça marche très bien, juge Christine Storck, l'une des vendeuses du rayon. En Alsace, de toute façon, la boucherie-charcuterie, c'est culturel! On a nos habitués, il y a du monde..."
"Je suis sûr qu'il aurait pu y avoir beaucoup plus de gens de l'extérieur dès le début, des Strasbourgeois, des clients du nord de l'Eurométropole, estime le caviste Philippe Roth. Il faudrait faciliter les accès, organiser des navettes par exemple..."
Gros succès de la fête de la gastronomie
Des pistes lancées à la Ville, qui promet par exemple de tout faire pour améliorer le fléchage, la visibilité des lieux. Elle a installé à la rentrée les services culturels dans l'enceinte des halles. A organisé des événements, le Bier'Off, en marge de la Fête de la Bière, au mois d'août. Une grande fête de la gastronomie, le 22 septembre, qui a attiré plusieurs centaines de personnes. Elle s'engage à en multiplier tout au long de l'année. "La fête de la musique a été un vrai succès par exemple... Il va y avoir le marché de Noël, à chaque fois, nous épaulerons les commerçants."A venir, à l'étage culturel, une exposition sur les 100 ans de la guerre 14-18, autour du courrier qu'un soldat schilikois a échangé avec ses proches. "Krieg und Heimat, correspondance d'un soldat schilikois dans la Grande Guerre ", que les visiteurs pourront découvrir de la fin du mois d'octobre au 27 de janvier. Avant ou après avoir pris un café chez Cédric et Régis... et le chauffage, promis, sera, cette année, au point.