Olivier Dangla est photographe, peintre, dessinateur de presse. L'année dernière, il a suivi pour le journal Le Monde le procès des attentats de janvier 2015. Sont sortis de ces quatre mois d'audience 80 dessins sensibles et sauvages. Le musée Tomi Ungerer vient d'en acquérir une cinquantaine.
Olivier Dangla est un passionné de rugby. Il vient du Sud Ouest, il a ça dans les veines. Il y a joué petit, continue encore, 45 ans après. Il a appris à encaisser les coups dans les mollets, dans la gueule. De quoi se forger le caractère et la mine de crayon. Pourtant, l'année dernière, lors du procès des attentats contre Charlie Hebdo, le gaillard a eu mal. Le dessinateur en a chialé. De cette souffrance partagée avec le prétoire est née une série d'aquarelles monstrueusement humaines. Le musée Tomi Ungerer de Strasbourg vient d'en acquérir une cinquantaine.
Sur le banc
Olivier Dangla est un artiste protéiforme : graphiste, publiciste, illustrateur, peintre et dessinateur. A 51 ans, l'homme a le trait sûr quoique sensible. Ses aquarelles sont des toiles où se reflète la complexité humaine. Ses visages des livres ouverts sur le monde intérieur. Pas étonnant que ce féru de philosophie ait une inclination pour le portrait. "Je travaillais depuis longtemps pour la revue XXI, des portraits essentiellement. Pour Télérama aussi. C'est ce que je prèfère : le portrait ou l'attitude, la gestuelle du corps, la matière humaine. Ici on ne peut pas mentir. Le visage ne trompe pas. Je vais chercher en moi ce que je vois, ce que je ressens de la personne. Je ne suis pas dans la caricature, je suis dans l'angulation." Olivier angle son sujet. Le dessinateur est un géomètre. Et journaliste.
Son portrait de Carlos Ghosn, ex-PDG de Renault, est particulièrement remarquable. Et remarqué : "J'ai vu en lui, bien avant son procès, quelque chose de fourbe, de sournois. Je l'ai dessiné ainsi, instinctivement. Et c'est ce qui en ressort." Cette vision et disons-le cette acuité tape dans l'oeil de Sylvain Peirani, directeur artistique du Monde. Ce dernier lui propose l'année dernière de couvrir pour le quotidien le procès des attentats de janvier 2015.
"Au départ j'ai eu peur. Je me suis demandé comment j'allais faire. Je connaissais ma technique, je connaissais les Assises, je me suis dit bon tu vas retourner à l'école, avec un carton à dessin sur les genoux. C'était sortir de ma zone de confort et faire du vivant, quelque chose qui se meut alors que je travaillais plutôt à partir de photos." L'histoire avec un grand H le rattrape, envahit déjà ses pensées, lui titille la pulpe des doigts. "Je me suis dit : c'est une expérience à vivre, j'ai été choqué comme tout le monde par cette histoire, j'ai perdu la soeur d'une amie lors des attentats de novembre, elle a été tuée sur la terrasse de la Belle Equipe. Le procès soulevait aussi des questions philosophiques, morales, humaines. Des questions fondamentales qui m'intéressent. Qui étaient ces gens-là ? Comment comprendre leurs actes ? Comment comprendre l'histoire en la vivant de l'intérieur ?"
Qui étaient ces gens-là ? Comment comprendre leurs actes ? Comment comprendre l'histoire en la vivant de l'intérieur ?
Le premier jour d'audience arrive. Olivier Dangla aussi. Aux marches du palais. C'était en septembre 2020. "J'y vais, je m'installe dans la salle audio-vidéo où sont cantonnés les journalistes. Je me suis mis à croquer les caméras, le vivant à travers les caméras. Le Monde avait oublié de m'accréditer. J'ai vécu ce premier jour par procuration. Avec le recul, c'était pas plus mal, ça m'a permis de commencer en douceur."
Le lendemain, Olivier entre dans le vif du sujet. Dans la salle d'audience. "A pas de velours. Assis à côté d'autres dessinateurs, je me suis senti à ma place. Fort aussi d'une certaine distance, j'ai perdu mes parents de façon accidentelle, jeunes, ça m'a changé. Je pense que cette expérience douloureuse m'a donné une bonne distance d'observation sur la vie. Du recul oui." Sur son banc Olivier observe, ressent. Parfois, quand même, l'homme est rattrapé. Débordé. Il pleure sur son carton à dessin. "En écoutant les victimes. Il y a des moments qui ont été très très durs. Je pense au film des caméras de surveillance des locaux de Charlie Hebdo ou de l'Hyper Cacher. C'était d'une extrême violence voir tous ces gens pris dans d'horreur absolue." Olivier tient bon. "Je me suis accroché au dessin, j'étais en action heureusement, sur mon carton. Ca a été un filtre salutaire."
Sur le vif
De ces quatre mois d'audience, Olivier retiendra des visages, des figures. Ce sont ses yeux qui parlent. Ses doigts qui témoignent. La violence, la douleur, s'expriment dans les regards et dans le geste. Les mots eux, ici ne comptent pas. "La caissière de l'hyper Cacher, Zarie Sibony, m'a particulièrement touché. Elle était d'une douceur, d'un calme absolus. Je l'ai dessinée en pied, tout son corps parlait, c'était un tout. C'était presque christique. Elle représentait le courage, l'incompréhension et oui je crois l'envie de pardonner. Il y a eu aussi Coco (Corinne Rey, dessinatrice à Charlie Hebdo, blessée lors de l'attentat), qui a assisté à tout ce carnage. Sa dignité m'a frappé. Abîmée mais debout. J'ai dessiné sa gestuelle, elle était posée, oui voilà posée. Humaine. Malgré tout."
Anonyme de supermarché ou grands noms de la presse, Olivier ne fait pas de différence. Ce qui se joue sous ses yeux c'est la comédie humaine. Tragique jusqu'à l'absurde. Pour tout le monde. "Des gens jetés dans l'horreur, dans le drame. Toutes les histoires avaient leur importance. Hyper Cacher / Charlie Hebdo, je les ai traités de la même façon, avec le même soin. Le Monde m'a laissé faire."
Je ne suis pas un juge, pas un avocat. Je dessine des êtres humains comme je les vois, des mes yeux, de mes oreilles
Accusés ou victimes, Olivier là non plus ne met pas de trait de démarcation. "J'ai essayé de rester le plus neutre possible, sans a prori. Je me souviens que les accusés, eux, parlaient beaucoup. Willy Prevost, un mec qui rentre dans la boucle, lui, il a enlevé un traceur dans une moto et déposé un sac d'armes dans une voiture. Il était là, à la barre, tout près. Je ne suis pas un juge, pas un avocat. Je dessine des êtres humains comme je les vois, des mes yeux, de mes oreilles. Je l'ai trouvé vrai, le mec trichait pas sur ce qu'il avait fait, d'où il venait. C'était pas enrobé. La parole brute. Ca m'a fait penser à certains mecs de rugby qui parlent peu mais juste. C'est ce que j'ai mis dans son dessin."
C'est cette liberté de trait qu'Olivier retiendra aussi de cette expérience. Le Monde ne lui donne pas de consignes. Si ce n'est d'être lui. Les journalistes Pascale Robert-Diard et Henri Seckel avec qui il travaille donnent le tempo c'est tout. Le reste est une question de confiance. "Ils me disaient, je vais axer le papier comme ci ou comme ça, on était complémentaires. J'ai toujours gardé ma liberté. C'était un vrai travail d'équipe. On discutait souvent ensemble pour se décharger de toute cette émotion. Heureusement parce que c'était intense, 14h par jour. Je croquais le jour et colorais la nuit. Sans cette liberté là, sans cette confiance mes dessins n'auraient pas été les mêmes."
Au musée
Un an après, les souvenirs ce sont décantés. Restent les impressions "Une grosse fatigue, une grande satisfaction et cette idée que la justice est une machine infernale. A la fois humaine et inhumaine. Une comédie humaine codifiée. Une cérémonie. Tout peut arriver au tribunal, tout y est complexe, comme dans la vie, je le savais mais j'en ai encore eu la preuve."
Il reste aussi les dessins. 80 ? 100 ? Olivier ne sait plus. "Je croquais tout, même l'indescriptible, des choses inexploitables mais c'était un besoin." Ces témoignages précieux, passeront dans la postérité. Aux côtés de ceux d'un illustre dessinateur, plume acérée et conscience aigue : Tomy Ungerer. "J'ai reçu au cours du procès, un mail de Thérèse Willer, directrice du musée Ungerer, elle avait vu mes dessins dans Le Monde. Au départ j'ai cru que c'était une blague et puis on a parlé et quand elle m'a dit que c'était pour le musée Ungerer j'ai été très touché. Cet homme-là a tellement fait pour la profession. En plus c'était un chouette mec. Je me sens proche de son histoire, de ce qu'il dessine. Je suis un dessinateur comme lui pas seulement un illustrateur."
Tomi Ungerer a tellement fait pour la profession. En plus c'était un chouette mec.
Certains dessins d'Olivier sont déjà exposés à Strasbourg. D'autres suivont. Une cinquantaine au total. Belle reconnaissance. Pas question pour autant de se reposer sur ses lauriers. Olivier a des projets plein les mains. Dont un, particulier, qui lui permettra une fois encore d'explorer les contrastes ... humains. "J'aimerais faire un livre sur la France sous l'occupation, un thème qui me touche particulièrement et qui interroge énormément. Comment je vais dessiner Laval sans en faire un monstre ? Tous ces gens qui ont fait l'histoire, la sale histoire pendant six ans ? Où est le point de bascule ? La frontière ?" Dans cette exploration, Olivier pourra compter sur Tomi. Enfant alsacien, soumis dès 1940 à la germanisation et l'endoctriment nazi, défenseur éternel de la liberté.