C'est une campagne d'affichage hors normes qui se prépare à Strasbourg. Sur les panneaux publicitaires, habituellement squattés par les grandes enseignes à grand renfort de slogans standardisés, des petits nouveaux se donnent huit semaines pour bousculer l'ordre établi.

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Surtout, pas de publicité! Lorsque les créateurs strasbourgeois de la marque Niu ont lancé leur produit il y a un an, il n'était pas question d'investir le moindre euro dans un spot publicitaire. Leur produit, c'est une crème solaire respectueuse de l'environnement, à base de minéraux plutôt que de chimie et sans nanoparticules.

"On n'allait pas mettre 10.000 euros pour montrer une jolie fille en train de sourire sur une plage", assène Hadrien Collot, co-fondateur de la marque. Il a 26 ans, moitié breton, moitié alsacien, et passionné de plongée en apnée. Aux premières loges pour constater la dégradation continue du milieu océanique.

Exit donc, la jolie fille. Sa communication, il l'a basée sur la défense de l'environnement, par le bouche à oreille et sur une plateforme de crowdfunding : un tube de crème acheté, c'est un m2 de plage nettoyé! Succès fulgurant : en un an, plus de 7.000 crèmes vendues, et 10.000 m2 de plage en Bretagne ou dans le sud ouest, débarrassés des mégots et autres déchets plastiques. Dans la foulée, une ONG a même été constituée, avec entre autres projets, des pouponnières à corail pour reconstituer les fonds marins partout dans le monde. 

 

Une nouvelle vague d'entreprises éthiques

Ce genre de démarche est typiquement ce que l'agence de communication strasbourgeoise Ben and Jo décide de soutenir. Ben Mira et Jo Montana se sont rencontrés sur les bancs de l'université de Strasbourg. Etudes de graphisme et de communication, ils ont fondé leur agence il y a quatre ans, sur un constat : stop au storytelling déconnecté de la réalité. Ils veulent de la sincérité. Les projets qu'ils défendent doivent donc véhiculer un véritable engagement. "Ça va au-delà de l'agence de communication", explique Ben Mira "L'agence de communication de demain sera celle pour qui l'éthique comptera autant que la stratégie", complète Jo Montana

Question d'éthique donc, lorsque la crise du coronavirus s'est déclarée, il fallait agir "On ne tolérait pas de rester inactifs face à toute cette détresse", racontent-ils. Au sortir du confinement, ils ont donc eu l'idée d'offrir une visibilité aux entreprises locales qui n'ont pas forcément de budget pour une campagne d'affichage. Encore moins, en ces temps de crise sanitaire doublée d'une crise économique prévisible.

Pour quelques milliers d'euros, ils décident de réserver quatre panneaux publicitaires du centre-ville pour huit semaines, et ils mettent tout leur savoir de communicants dans cette opération : d'abord un teasing, visible depuis quelques jours, puis la valorisation des projets qu'ils ont choisi de soutenir : une vingtaine en tout, qui auront droit chacun à une semaine entière d'exposition.  "C'est maintenant que tout se joue" affirment-ils. "On veut aider ces entreprises à rebondir".

 

Toujours là, malgré la crise

S'il y a un secteur qui a particulierement souffert du contexte sanitaire, c'est bien celui de la restauration. Pas de chance, Arthur Choisnet a ouvert son établissement en décembre dernier, quelques mois avant le début de la pandémie. Il y a mis toutes ses économies, 50.000 euros, et un crédit de 180.000 euros.

Lui, l'ancien sportif de haut niveau, rêvait d'une alimentation équilibrée, et en même temps gourmande. Pouvoir engloutir un hamburger sans culpabiliser. C'est comme cela qu'il a créé le Labo. Avec une minutie presque scientifique : entre 10 et 20% de protéines pour chaque plat, 30 à 40% de lipides et 40 à 55% de glucides. Des légumes de saison, des produits bio, et sains. Ça a démarré plutôt bien : une cinquantaine de clients par jour, des jeunes actifs du quartier. Puis, il y a eu le confinement et il a dû se limiter à un service traiteur de vente à emporter. Aujourd'hui, la fréquentation est quasiment divisée par deux. Alors, il tente de se diversifier, avec une petite épicerie... Et surtout, il compte sur la campagne d'affichage pour rappeler que les petits commerces de proximité sont toujours là. 

Le marché reste compliqué pour les petites marques qui n'ont pas des centaines de commerciaux

 Olaf Schmitt, créateur de Fun!Ethic

Résister au rouleau compresseur des grandes enseignes... C'est le défi que se sont lancés Olaf et Martine Schmitt en 2012, avec leur marque de cosmétiques Fun!Ethic. Sur un secteur dominé par des géants, ils font figure d'ovni, en accumulant les contraintes. Du 100% bio, fabriqué exclusivement en Alsace, à des prix raisonnables et vendu en grande distribution. Un tour de force accompli notemment en compressant les marges. Aujourd'hui, ils sont présents partout en France et des opérateurs du Viet Nam, du Maroc et d'Inde s'intéressent maintenant à leurs produits.

"Nous sommes les seuls à avoir cette démarche à grande échelle, c'est un atout" explique Olaf Schmitt. Sauf que... Nous sommes en 2020, et il est grand temps de donner un coup de jeune à la marque. "Ça va être une révolution", explique-t-il " Notre visuel date de 2012, on n'est plus dans le même monde". Revoir toute la stratégie à l'échelle d'une entreprise, c'est prendre un énorme risque. "Nous ne serions jamais allés aussi loin avec une agence de communication classique", reconnaît-il. Mais avec Ben and Jo, la confiance s'est installée et la campagne d'affichage fera office de teasing pour un nouveau souffle de la marque.

 

Des valeurs positives

Chez Ben and Jo, on dirait presque que cette campagne d'affichage inédite prend des allures de militantisme. D'ailleurs, ils le disent, il s'agit de "changer le monde". Vraiment? Oui, confirment-ils : "il y a une vraie prise de conscience sociétale" affirme Ben Mira " On sait que le système est dur à déconstruire totalement, mais ce qui est possible, c'est de le hacker un peu...Nous on pense que les gens peuvent être heureux dans ce qu'ils font. Gagner moins, mais êre plus heureux. Gagner de l'argent pour faire ce en quoi on croit" renchérit Jo Montana

Hadrien Collot ne dit pas autre chose. Sa crème solaire, il l'a d'abord inventée pour lui. "J'avais besoin d'un produit que je puisse utiliser sans avoir l'impression de tuer tout ce qu'il y a autour de moi". Effectivement, chaque année, 14.000 tonnes de crèmes solaires bourrées de produits toxiques asphyxient les océans et les coraux. Alors, pourquoi les grandes marques ne reprennent-elles pas la formule vertueuse développée par Niu? "Parce que s'ils lancent cette gamme, ce serait admettre que tout le reste de leurs produits est nocif" tranche-t-il. 

Lui a donc décidé de ménager écologie et économie "parce qu'une solution environnementale qui n'apporte pas d'intérêt économique ne marche pas", dit-il.

Il n'empêche, chez Ben and Jo, on remarque que le greenwashing à outrance des multinationales se heurte aujourd'hui au scepticisme grandissant de l'opinion. Dans le monde d'après, la publicité sera éthique, ou ne sera pas. 

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