Suspension de l’AstraZeneca : les professionnels de santé alsaciens sont divisés

L'Organisation mondiale de la santé se penche ce mardi 16 mars sur la sûreté du vaccin AstraZeneca, suspendu par plusieurs pays européens, dont la France. Une décision diversement accueillie par les professionnels de santé. En Alsace, plus de 43000 premières doses ont déjà été administrées.

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"Ma première réaction c’est l’étonnement !" Au lendemain de l’annonce par Emmanuel Macron de la suspension de l’AstraZeneca, à Mulhouse, le docteur Patrick Vogt, est encore abasourdi. "J’avais déjà vacciné 5 personnes hier quand on a su qu’il fallait arrêter. J’ai quand même terminé mon flacon pour ne pas perdre de doses. Des confrères en ont peut-être jeté", explique-t-il.

Le médecin généraliste voit en cette décision "politique", apprise à la volée," par les patients eux-mêmes", un élément de communication dissonant de plus dans une campagne vaccinale vécue sur le terrain, "au jour le jour".

"Mes patients ne comprennent plus grand-chose. On leur a dit pendant des semaines que ce vaccin était efficace, que les effets secondaires étaient moindres, qu’ils pouvaient y aller. Et finalement, on suspend. Certains sont déçus. Notamment les personnes âgées qui voudraient pouvoir retrouver leurs petits-enfants."

Lui avait pourtant réussi à obtenir des stocks supplémentaires et s’apprêtait à réaliser une centaine de vaccination au cours des deux prochaines semaines. "En France on a pas de preuves absolues d’éventuels effets secondaires graves. D’autre part, on sait que ce qui est dans la balance c’est l’arrêt de la pandémie. Est-ce que ça vaut le coup d’arrêter la vaccination ? »

Pour la présidente de l’Union régionale des professionnels de santé – médecins libéraux, la réponse est non. "Ce n’est pas une bonne nouvelle", assène Guilaine Kieffer-Desgrippes. "Les médecins se plient aux décisions mais on aimerait avoir des éléments scientifiques pour savoir si le vaccin est un danger potentiel. En attendant, nous devons continuer à vacciner les plus fragiles qui ne se déplacent pas forcément en centre de vaccination, aller à leur rencontre. C’est le rôle du médecin traitant."

"Ça ressemble au coup de grâce"

Pour rassurer la population, susciter l’adhésion envers la vaccination, la professionnelle de santé fait partie de ceux qui  militent pour que  la médecine de ville ne soit pas cantonnée à l’usage de l’AstraZeneca. Une doléance relayée à l’ARS Grand Est-ce mardi, avec l’idée de pouvoir administrer le vaccin Pfizer, dont l’usage est déjà majoritaire dans la région. "Au niveau logistique ce serait possible. A partir du moment où les flacons sont déconditionnés, il faut utiliser cinq doses dans les 5h. C’est assez simple de réunir cinq patients dans la demi-journée".

L’avenir du sérum britannique est-il alors compromis ? "Ça ressemble à un coup de grâce" confie le docteur Raymond Attuil. "Déjà qu’il avait mauvaise presse, qu’il subit des retards de livraison, là, ça parait de plus en plus difficile de faire face à une succession de pataquès". Pour l’heure, 43.379 premières doses ont été délivrées dans toute l’Alsace. 28.032 dans le Bas-Rhin, 15.347 dans le Haut-Rhin. Lancés bien avant ce dernier, le vaccin Moderna a pour l’heure été injecté à 17.791 personnes, 87.349 alsaciens ont bénéficié du produit Pfizer.

De son côté, le généraliste de Schiltigheim ne reprendra pas "avant au moins deux semaines" l’AstraZeneca, même avec un feu vert des autorités de santé européennes. "Il faut laisser le soufflet retomber", explique-t-il. "J’en ai marre de jouer les VRP de l’industrie pharmaceutique et des injonctions gouvernementales contradictoires".

"Nous demandions la suspension"

Si certains professionnels sont "dubitatifs", d’autres sont plus catégoriques. "Nous demandions la suspension de ce vaccin", souffle Thierry Amouroux porte-parole du SNPI syndicat national des professionnels infirmiers. "On est pas inquiets par rapport aux effets secondaires, mais il est nécessaire de rassurer la population. Qu’on ne se retrouve pas dans la situation du nuage de Tchernobyl bloqué à la frontière", argumente-t-il.

Il y a quelques semaines, certains soignants français avaient clairement mené la fronde contre le vaccin qui, du fait de ses effets secondaires, les contraindrait à s’arrêter. "Quel intérêt de vacciner des soignants qui seront arrêtés 24/48h ? Ça fait combien de journées de travail perdues, de complications de planning alors qu’on est déjà à flux tendu ?"

"On navigue à vue"

Pour trancher le cas AstraZeneca, les experts de l’Organisation mondiale de la santé se penchent ce mardi 16 mars sur sa sûreté. Leurs conclusions sont attendues de pied ferme, notamment dans les centres de vaccination, contraints de s’adapter. "190 annulations de rendez-vous ont été comptabilisés aujourd’hui sur les centres de vaccination des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg", confie le docteur Christophe Hommel, responsable de l’un d’entre eux. "On essaye de voir toutes les alternatives possibles, de basculer vers d’autres vaccins, mais encore faut-il avoir les stocks nécessaires".

En revanche, les deux centres SOS médecins basés à Cronenbourg et Neudorf, réservés aux professionnels de santé, ont eux réussi à changer leur fusil d'épaule. "Nous avons pu maintenir une centaine de rendez-vous sur la journée en obtenant des doses de Moderna", avance leur référent, le docteur Alain Sellam. "C’est un couac qui nous impose de nous organiser mais tout ceux que l’on vaccine sont d’abord soulagés d’être vaccinés, peu importe avec quel produit", conclut-il.

Au total, à ce jour, un peu plus de 67000 alsaciens ont reçu leurs deux injections, étant désormais définitivement vaccinés.

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