Témoignage. "Quand j'ai annoncé à ma femme ma transidentité, ça a été un choc"

Publié le Mis à jour le Écrit par Claire Peyrot
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Pendant deux jours, en ce début du mois d'octobre 2024, le congrès Trans Santé France a rassemblé médecins, chercheurs, personnes trans autour du thème de la transidentité à la faculté de médecine de Strasbourg. Nous avons rencontré la co-présidente à l'initiative de l'événement, Béatrice Denaes.

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C'est une femme douce et élégante que nous rejoignons ce samedi 5 octobre après son passage sur le plateau de France 3 Alsace pour le journal de midi. Cheveux châtains, coupe au carré. Tenue soignée, jupe noire, petites bottines, manucure impeccable. "Vous voulez vous démaquiller ou vous préférez garder le maquillage ? Ah non, je le garde, je l'enlèverai ce soir", plaisante Béatrice. 

Nous nous installons donc pour un entretien afin d'évoquer l'organisation du congrès Trans santé France, pour la première fois à Strasbourg. Il a réuni pendant deux jours des professionnels de santé, des universitaires, ainsi que des associations de personnes concernées et de leurs proches, engagés dans l’accompagnement des parcours transidentitaires.

Pourquoi avez-vous créé l'association Trans Santé France ?
C'était mon rêve. Je souhaitais créer une association qui réunisse les personnes trans mais aussi les médecins et les paramédicaux, les proches, les parents, les universitaires, les juristes… J’en avais parlé aux différents médecins entre les mains desquels j’étais passée pendant ma transition. Peu de temps après, ils m’ont appelée et nous avons créé cette association.

Quels sont les objectifs de l'association ?
Il y en a plusieurs : d'abord obtenir la dépathologisation, on n’est pas des malades. Obtenir une dépsychiatrisation, car on trouve que ce n’est pas un psy qui va estimer qu’on est un bon ou mauvais trans. On veut aussi favoriser la formation du personnel médical et paramédical puisque c’est le gros gros problème. Jusqu’à présent, la plupart des étudiants en médecine n’ont qu’à peu près une heure de cours concernant cette question. Ça devrait progresser, nous avons relancé un DIU, un diplôme inter-universitaire avec quatre facultés de médecine (Lyon, Marseille et Paris Saclay) dont l'intitulé est "Accueil soin et santé des personnes trans", on va avoir la quatrième promotion cette année.


Comment ça se passe avec le corps médical ?
On a de plus en plus de succès auprès des médecins généralistes, je pense à la mienne en particulier qui m’a dit : "C'est vous qui m’avez tout appris sur la transidentité, et je serais incapable de vous prescrire les traitements hormonaux parce que je ne connais pas les dosages ni quoi que ce soit." Alors qu’avec cette formation, il y a des cours sur tout ce qui peut concerner la transidentité : comment se passe une opération de transformation de genre, comment ça se passe avec les endocrinologues, les pédo psy, les psy… Même si on veut une dépathologisation, moi j’étais très contente d’avoir des psy qui m’aident dans des périodes vraiment difficiles parce qu’on est une population assez fragile. On est la population la plus touchée par le suicide. Il faut savoir qu’il y a deux tiers des personnes trans qui ont pensé un jour au suicide et un tiers qui a fait une tentative de suicide. C’est vraiment énorme. D’autant que ça concerne autant les enfants, les ados que les adultes. Du coup, les opposants disent qu’il faut supprimer les transidentités parce que ça conduit au suicide ou à la dépression mais c’est inverser le problème.

Quelle part représentent les personnes trans dans la population ?
En France, on n’a pas de recensement, mais on se fonde sur des pays à peu près similaires et on dit qu’il y a entre 0,7 à 1% de la population qui serait transgenre. Ça représente une minorité mais ce n’est pas parce qu’on est une minorité qu’il faut nous négliger ou nous mépriser. Quand on nous dit la transidentité c’est un choix, ou c’est une lubie, et bien non. Un choix ou une lubie qui conduit à une grosse dépression, c’est parce qu’on est mal dans notre peau, on vit un mal-être dans une société qui n’est pas hyper accueillante pour les personnes trans. C’est flagrant pour les enfants qui sont des enfants en questionnements.

Il y a une proposition de loi qui a été votée au Sénat, du groupe LR, qui veut interdire l’accompagnement des enfants trans, si ce n’est pour les remettre dans le droit chemin (il est fait mention dans l'article 3 "des moyens lui permettant de retrouver un état de bien-être psychique contribuant à l’épanouissement de son développement, et des soins psychiques nécessaires" ndlr). Les enfants trans, ce qu’ils espèrent, c’est pouvoir être écoutés. Et si un petit garçon qui s’est toujours senti petite fille, à 8 ans, veut être prénommé d’un prénom féminin, porter une jolie robe pour aller à l’école, en quoi ça gêne ou ça pose un problème ? Et si ses parents sont complètement bloqués, si on interdit, ça peut aller jusqu’à une scarification, une déscolarisation.

Vous avez connu ça ?
Moi, quand j’avais 4 ou 5 ans et que j’allais à l’école, c’était dans les années 60, c’est là que je me suis rendu compte que j’étais une petite fille dans un corps de petit garçon. Alors, j’avais la chance d’être dans une école publique mixte, c’était rare à l’époque, j’étais tout le temps avec mes copines et je me sentais bien avec mes copines. Si bien que ça a conduit à des espèces de persécution, aujourd’hui on dirait harcèlement scolaire. Les garçons se moquaient de moi "Ouh, il est amoureux !". Non, je n’étais pas amoureux mais j’étais bien avec les filles. Comme on se moquait de moi, j’ai connu une désocialisation, je n’ai plus voulu parler à personne hormis mes parents et grands-parents. Je n’avais quasiment pas d’amis, pas de copains, je n’osais même pas aller seul dans les magasins parce que j’avais peur qu’on se moque de moi, ça m’a poursuivi quasiment toute ma vie.

Qu'est-ce qu'il s'est passé ensuite ?
Le pire, ça a été à l’adolescence. Comme on ne parlait pas de transidentité, je n’arrivais pas à mettre un mot sur ce que je ressentais. Je me disais : "Qui suis-je ? Je suis un garçon ? Je suis une fille ? Ou je suis un monstre". Et en fait, je pensais que j’étais un monstre parce que j’avais l’impression d’être hors norme, j’avais l’impression d’une perversité. Donc quand aujourd’hui, il y a des associations anti-enfants trans ou des sénateurs comme les sénateurs LR qui veulent interdire toute aide et accompagnement aux enfants tans, on se dit que c’est inhumain parce que ça conduit à toutes ces souffrances.

Leur grand truc, le risque qu'ils pointent, c’est de dire "on va leur donner un traitement hormonal". Déjà, ce n’est jamais avant 15-16 ans, et avec l’accord des parents. On nous parle des bloqueurs de puberté… On nous dit c’est horrible, ce sont des cobayes, c’est irréversible. C’est faux, c’est totalement réversible. Ces médicaments existent depuis plus de 40 ans et on les utilise sur des enfants prépubères, qui ne sont pas trans, donc ce ne sont pas des cobayes. C’est réversible pour eux, mais pour les mineurs trans on nous dit, à tort, que ça pourrait représenter un danger, que ça serait irréversible… On invente plein de trucs et on est envahi par les contre-vérités. Ça finit par développer la transphobie parce que les gens qui lisent ça se disent : ce sont des monstres.

Quel métier exerciez-vous ?
J’étais rédacteur en chef à Radio France, puis secrétaire général à France Info et les trois dernières années, j’ai terminé comme médiateur des 7 antennes de Radio France. Je suis parti en 2018, j’ai commencé le traitement hormonal et j’ai fait ma transition lorsque je suis partie à la retraite. Je n'ai pas osé avant. Aujourd'hui j'ai 68 ans.

Vous avez vécu toute votre vie sans faire votre transition ?
Oui. Sauf que j’avais ce que j’appelle mes "sas de survie". Mon grand-père m’avait initiée à la photo, on avait installé un labo dans une pièce toute noire. Personne ne pouvait venir me déranger sinon la photo était ratée puisqu’il fallait le noir absolu. Donc, je piquais des affaires de ma mère et je pouvais passer comme ça deux heures dans mon labo. En fille quoi. À être moi. C’est pour ça que j’appelle ça mes "sas de survie" parce que ça m’a permis de tenir. C’était des moments de grand bonheur, malheureusement seul.

Et puis est venue l'adolescence. Comment ça s'est passé ?
L’adolescence, la période des amours, pour moi ça a été très compliqué parce que je ne savais pas qui j’étais exactement. C’était un mal-être énorme parce que mon rêve c’était d’avoir des enfants et je ne savais pas comment m’y prendre parce que je ne savais pas m’identifier. Et puis pour l’anecdote, c’est en tant qu’étudiant à l’école de journalisme de Lille, l’ESJ, lors d’un reportage, que j’ai rencontré ma femme, Christine. On s’est marié en 1980, on a eu de beaux enfants qui ont aujourd’hui 38 et 40 ans. J’étais tellement heureuse que je me suis dit que ce qui m’était arrivé auparavant c’était un truc bizarre. Alors j’ai arrêté mes sas de survie. Quand Christine est tombée enceinte, j’ai vraiment vécu sa grossesse par procuration. Le plus gros manque de ma vie, ça aura été de ne pas donner naissance moi-même à des enfants. 

Quand est-ce que vous vous êtes dit, je ne suis pas un monstre ?
Grâce à internet, en faisant des recherches, dans les années 2000. J’ai découvert que je n’étais pas toute seule, que ce n’était pas une maladie, pas une perversion. Et je l’ai annoncé à ma femme il y a 13 ou 14 ans.

Vous dites que ça a été un choc pour elle…
Oui et c’est normal. Comme elle m’a dit : "J’ai épousé un mec, je n’ai pas épousé une nana". Alors tous les soirs, on discutait, et j’avais toujours peur qu’elle me rejette. Si elle m'avait rejetée, je pense que je me serais suicidée. Ma vie se serait écroulée. Me retrouver toute seule, ce n’était pas envisageable pour moi. C’est vraiment la femme de ma vie parce que c’est vraiment la seule femme que j’ai connue. Ce qui est génial, c’est qu’on est toujours ensemble, ce qui n’a pas été simple pour elle. Et elle a eu ce mot qui est vraiment magnifique, elle a dit : "Béatrice a changé l’emballage, mais intérieurement, c’est toujours la même". Elle avait un peu peur qu’on soit rejetés ou regardés de travers même si finalement elle a vite constaté que tout le monde s’en foutait.

Vous trouvez que ça a changé le regard des autres ?
Nous vivons en région parisienne, c’est peut-être plus facile que si on était dans un village. Honnêtement, je n’ai jamais souffert de transphobie directe. Pourtant, on sait que la transphobie monte en ce moment, on le voit par des initiatives politiques. Par exemple, moi je suis en contact avec le ministère de l’égalité femme-homme et j’en suis déjà à ma 4ème ministre, donc on n’arrive jamais à installer une relation.

Qu’est-ce qui est important pour vous ? De sensibiliser les médecins ?
J’interviens dans le milieu médical, auprès de professionnels. Ils me disent qu’ils sont de plus en plus confrontés à de jeunes trans, non pas parce que comme certains disent, c'est une épidémie, mais parce que la parole s’est libérée. Les anti disent que c’est parce qu’ils se laissent influencer par les réseaux sociaux, ce n’est pas vrai. Moi, dans les années 60, il n’y avait pas de réseaux sociaux et j’ai senti que je n’étais pas un garçon. J’interviens aussi avec un pédopsy qui a une consultation pour les enfants. Il explique toujours que ce n’est pas pour les mener à être trans mais pour les écouter. Peut-être qu’au bout de trois ou quatre ans, ils diront qu’en fin de compte, leur sexe de naissance est le bon. Et c’est là qu’on se fait taper dessus par les anti enfants trans qui disent : "Voilà, vous avez écoutez les enfants et au final ils se sont trompés". Ben non, s’ils ont été heureux pendant quatre ou cinq ans et que finalement, ils se sentent revenir dans leur genre de naissance, et alors ? Ça gêne personne. Laissons les enfants et les adultes vivre leur vie tant qu’ils l’entendent.

Aujourd’hui, on voit plus de personnes trans, dans la rue, dans les médias…
On vit quasiment ce que les homos pont vécu dans les années 70-80 quand l’homosexualité est sortie du bois. Là d’un seul coup, on a dit : "Il ne faut pas en parler sinon tous les enfants vont devenir homos". Eh bien non, 40 ou 50 ans plus tard, tous les enfants ne sont pas devenus homos ! Ce n’est pas un choix, les homos, ils le ressentent. On ne parlait pas encore de transidentité parce qu’on n’osait pas. On a commencé à en parler plus dans les années 2010… Alors que ce n’est pas un truc nouveau. Même dans la mythologie grecque, Hermaphrodite, le mythe de Tirésias ou celui de Senée, il y avait déjà ce côté de transidentité et de passage d’un genre à un autre.

Comment allez-vous aujourd’hui ?
Alors là, super bien ! Je me suis tellement sentie illégitime une bonne partie de ma vie. Mais aujourd’hui, depuis ma transition hormonale et chirurgicale, je me sens tellement bien ! Être soi, c’est tellement bien. Je me sens totalement femme. Je me suis détestée toute ma vie, je me voyais mais je ne m’aimais pas et aujourd’hui je m’aime enfin, quel bien ça fait, c’est phénoménal ! D'ailleurs, quand je revois des anciens collègues journalistes, ils me disent tu es rayonnante, tu es d’une sérénité extraordinaire. Et puis, je suis également enseignante et conseillère pédagogique à Sciences po, ils m’ont gardée et ça, c’est bien. Comme dit la directrice, ce n’est pas parce que maintenant tu es reconnue comme une femme que tu serais plus mauvaise ou meilleure qu’avant. Donc je n’ai jamais été si heureuse.

Béatrice Deanes raconte son parcours dans un livre autobiographique. "Ce corps n'était pas le mien" est paru chez F1rst éditions.

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