Tram Strasbourg-Kehl : retour express vers la France pour certains passagers, refoulés par la police allemande

Le tram D passe de nouveau la frontière depuis mardi 26 mai, terminus "Kehl Bahnhof" pour l'instant. Seuls les frontaliers, les Allemands et les personnes ayant "une raison impérieuse" d'aller en Allemagne sont autorisés à l'emprunter. Pour les autres, retour immédiat par le tram suivant...

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Arrêt Port du Rhin, mercredi 27 mai, 11h31. Le conducteur du tram D fait une annonce : "La station Kehl-Bahnhof n'est autorisée qu'aux personnes munies d'un justificatif de déplacement. Un contrôle sera effectué systématiquement par la police allemande. Je vous remercie." Un murmure général parcourt la rame. Sur la dizaine de personnes masquées à bord, huit se lèvent et sortent. Les portes se ferment et le tram D repart vers Kehl, avec deux passagères uniquement.
 


Nadia Grine prend le tram vers Kehl pour la première fois depuis sa remise en service mardi 26 mai. Elle habite à Strasbourg et va rendre visite à ses parents qui habitent à Kehl. Elle détient la nationalité allemande.
 

Arrivée à Kehl, arrêt "Kehl-Bahnhof", terminus actuel. La rame s'immobilise mais les portes restent fermées. Le conducteur refait une annonce : "la sortie se fera par la porte à l'avant, nous attendons la police allemande, merci". Trois policiers fédéraux arrivent et se postent devant la porte, les passagers sont priés de montrer leurs papiers et d'expliquer la raison de leur arrivée sur le sol allemand. Nadia parle plusieurs minutes avec un policier, elle montre la photo de son passeport allemand sur l'écran de smartphone.
 

Mais cela ne suffit pas. Elle doit repartir à Strasbourg. Une fois le tram parti sur l'aiguillage au bout du quai, les policiers allemands accompagnent Nadia et l'autre passagère sur le quai du retour, ils les confient aux policiers français, qui s'assurent ensuite qu'elles montent bien dans le tram D direction "Poteries". Nadia est dépitée, "je suis venue plusieurs fois à pied à Kehl, avec la photo de mon passeport sur mon téléphone, et ça suffisait aux policiers. Bon, je vais aller chercher mon passeport, et je reviendrai". 
 

Pramela Bauer est très fâchée. Elle voit le tabac, juste derrière l'arrêt de tram, et ne peut s'y rendre acheter ses cigarettes. "J'étais toute contente d'arriver à Kehl, j'ai demandé d'aller au moins chercher un paquet, mais le policier a refusé. On vient pas voler, on veut acheter ! C'est un peu bizarre, non ? Mais bon, ils font leur travail, on peut pas insister". La Strasbourgeoise ne décolère pas : "moi je vois en centre-ville de Strasbourg des Allemands , alors pourquoi eux ont le droit de venir chez nous, et pourquoi nous on peut pas venir à Kehl ?".
 

Après vérification auprès des policiers français, la même règle s'applique dans les deux sens : un Allemand ne peut pas non plus aller faire ses courses en France. Mais il est vrai que beaucoup d'Allemands habitent à Strasbourg, et beaucoup de Français à Kehl. Les Français de Kehl peuvent aller quand ils veulent à Strasbourg, tout comme les Allemands de Strasbourg à Kehl. De plus en plus étrange. On ne parle plus de virus, mais de nationalités, de pays de résidence, de liens de parenté. 

Raisons impérieuses

Les policiers fédéraux allemands du jour viennent de Bonn, ils ont été appelés en renfort cette semaine à Kehl, pour appliquer les règles aux frontières. Chaque semaine, ils tournent. Ils peuvent venir de Hambourg, Berlin ou de Bavière. "Pour les frontaliers, nous avons besoin d'un document officiel et récent, avec au moins un numéro de téléphone, pour pouvoir vérifier et appeler l'employeur. Une dame nous a montré une feuille de salaire de 2017, d'une entreprise de nettoyage de Kehl. Mais en appelant, on s'est rendu compte que l'entreprise n'existait plus... Les gens essayent toutes les combines possibles", explique un policier allemand qui ne souhaite pas donner son nom. Dans les supermarchés, la police municipale ferait des contrôles et aurait même augmenté l'amende à 500 euros pour les contrevenants.
 

Qu'on se le dise, il faut une "raison impérieuse", par exemple "une grand-mère qui vient aider sa fille à garder les petits-enfants, ça c'est une raison valable bien sûr !", dit encore ce policier. A 10h, six personnes ont rebroussé chemin. Mais les rames sont rarement pleines. Un tram a transporté ce matin 10 passagers, c'était le plus rempli de la matinée. Dans lesautres, 4 ou 5 personnes maximum. "C'est quand même grave de voir les effets du coronavirus à la frontière", conclut ce policier de Bonn. 
 
Les policiers français de la PAF (police aux frontières) ont maintenant l'habitude de ces contrôles. L'un d'eux, qui ne souhaite pas non plus donner son nom, trouve même qu'il y a peu de passagers depuis la reprise. "Ce n'est pas énorme, je suis surpris qu'il y ait si peu de gens. Finalement, il y a très peu de passagers renvoyés chez eux. Beaucoup nous disent qu'ils ont vu que la frontière était rouverte sur les réseaux sociaux. Mais bon, il y a quand même une annonce "Port du Rhin", donc ils pourraient sortir là..." Lui espère que la frontière rouvrira bien le 15 juin, comme annoncé, "parce que ça embête tout le monde, surtout les familles qui sont séparées de part et d'autre du Rhin et ne se voient plus."

Réouverture des frontières le 15 juin

Seni Cassama s'est arrêté "Port du Rhin", il attend un ami brancardier à Rhéna. "C'est pas sûr que les Allemands rouvrent la frontière le 15 juin. A cause du match à Hautepierre", croit-il savoir. Il s'agit du match de foot organisé clandestinement et qui a réuni 400 personnes le 24 mai dernier. "J'ai un ami qui va faire du sport toutes les semaines à Kehl, et les Allemands lui disent que les Français ne sont pas assez stricts."
 

Pour l'instant, Français et Allemands se sont mis d'accord pour une réouverture des frontières le 15 juin, "si les conditions sanitaires sont réunies", c'est la phrase consacrée qui revient à chaque fois dans la bouche des politiques allemands. Les deux semaines à venir seront donc décisives.

 
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