Tourisme. Le canal de la Bruche en Alsace, très prisé des cyclistes, raconté par ses habitants et passionnés : "Le bruit de l'eau est une berceuse. On ne peut plus s'en passer."

Rund Um. La piste cyclable qui longe le canal de la Bruche, de Strasbourg à Wolxheim (Bas-Rhin), attire les touristes. Mais le canal fait aussi le bonheur des habitants, pêcheurs, travailleurs qui le côtoient au quotidien. Ils nous racontent "leur" canal de la Bruche.

Lors des jours de beau temps, la piste cyclable au bord du canal de la Bruche se transforme en autoroute. Un balai incessant de vélos, trottinettes, rollers... Il faut que dire que les 20 kilomètres de route offrent un décor idyllique : elle serpente le long de l'eau, entre champs et forêt. Un cadre de verdure aux portes de Strasbourg. 

Des touristes se déplacent parfois de loin pour en profiter. En pleine balade, ils entendent régulièrement Gabrielle Djimli leur crier un "bonjour". À 65 ans, elle habite la maison éclusière n°8, à Achenheim, là-même où elle a grandi. Elle a bien été tentée d'aller voir ailleurs, mais l'appel de l'eau l'a vite rattrapée.

"Quand je me suis mariée, on est partis avec mon mari. On voulait découvrir la ville. On est allés à l’Elsau, à Strasbourg, dans les années 1970 mais on n’a pas tenu longtemps. Au bout de huit ans, on est revenus vivre avec maman, sourit-elle. Dès qu’on est ici, au bord du canal, on se sent à la maison. L’eau, le bruit de l’eau, on a besoin de ça, on y est habités. C'est une berceuse."

On se baignait dans le canal, les filles dans un coin, les garçons plus loin.

Gabrielle Djimli, habitante de la maison éclusière n°8

Sa grand-mère Odile était éclusière. Elle a ouvert les portes au dernier bateau passé sur le canal en 1954. La fin d'une longue histoire, qui remonte à 1681 lorsque le canal de la Bruche a été créé par Vauban. L'objectif était alors d'acheminer du grès des carrières royales de Soultz-les-Bains et de Wolxheim vers Strasbourg, tout juste annexée au royaume de France. 

"Plus tard, des pierres ont été transportées, elles étaient destinées à reconstruire la cathédrale de Strasbourg, qui avait brûlé.  Beaucoup d'autres matériaux également, notamment des tuiles car nous avions plusieurs tuileries dans nos villages. Mais aussi des marchandises, du bois...", explique Gabrielle Djimli, intarissable sur le sujet. 

Sa grand-mère est restée même une fois sa mission achevée, en échange d'un loyer payé à l'Etat. Comme sa fille après elle, puis sa petite-fille, donc. Gabrielle et son mari Mohamed ont acheté la maison en 2011. Elle bichonne ses géraniums sur sa terrasse, lui s'occupe de son grand jardin. Difficile de les rater. Ils sont des figures du canal.

Les habitués s'arrêtent quotidiennement. Certains repartent avec des légumes. D'autres ont plaisir à replonger dans les souvenirs. "Jusque dans les années 1980, il n'y avait pas de piste cyclable, mais un chemin de halage sur lequel étaient tirés les bateaux. On se baignait dans le canal, les filles dans un coin, les garçons plus loin car il ne fallait pas se mélanger", confie Gabrielle.

Aujourd'hui encore, les jeunes se retrouvent au lavoir à côté du canal. Des couples s'y forment et échangent leurs premiers baisers en cachette.

Marie-Laure Lienhard, co-auteure du livre Achenheim, de la grande à la petite histoire

"Le canal a toujours été un lieu de vie, complète Marie-Laure Lienhard, une autre habitante d'Achenheim, qui vit elle au centre du village. Pour son livre Achenheim, de la grande à la petite histoire publié en 2018 avec Jean Charles et Olivier Hummel, elle a récolté la parole des villageois et notamment des anciens.

Elle dit avoir alors été frappée par l'importance du lieu pour eux. Et cela n'a pas changé selon elle : "Il y avait cinq lavoirs à l'époque, aujourd'hui il en reste un seul : celui au bord du canal. Les jeunes s'y retrouvent, des couples s'y forment et échangent leurs premiers baisers en cachette."

Un héritage que la Collectivité européenne d'Alsace, propriétaire du canal de la Bruche depuis 2008, veut sauvegarder. En 2020, elle a entamé de gros travaux de restauration sur trois des onze écluses. 14 millions d'euros vont être injectés. Cela s'ajoute à la mission quotidienne accomplie par les agents de la CEA, dont Freddy Sittler.

Avec le réchauffement climatique, il est de plus en plus fréquent que la météo évolue subitement. Nous devons être sur le qui-vive pour réguler le niveau d'eau.

Freddy Sittler, agent technique de la CEA

Il doit avoir en permanence un oeil sur le canal de la Bruche. Lorsque le niveau d'eau est trop bas, des alarmes l'alertent : il doit alors ouvrir des vannes pour laisser entrer de l'eau, sans pour autant menacer l'équilibre de la Bruche qui l'alimente. Inversement, en cas de fortes pluies par exemple, il doit fermer les vannes pour protéger Strasbourg, qui risquerait d'être inondée. 

L'agent technique peut intervenir en pleine nuit, en cas de tempête ou d'orage par exemple. "Cela fait plus de 20 ans que je travaille sur le canal. Je crois pouvoir dire que je connais chaque pierre ici, sourit Freddy Sittler. Etre mobilisé sur un lieu comme celui-ci est un honneur. On est dans un environnement exceptionnel."

Il est aux premières loges pour constater que le canal est de plus en plus malmené par le réchauffement climatique. L'eau monte parfois très précipitamment. "C'était moins le cas il y a 20 ou 30 ans", affirme-t-il.

Je viens pêcher ici depuis plus de 40 ans. Regardez comme c'est magnifique.

Jean-Paul Kieffer, pêcheur

La sécheresse menace également. Elle inquiète les pêcheurs. Pour la plupart, des habitués du Canal, de Strasbourg à Wolxheim. C'est le cas de Jean-Paul Kieffer, un inconditionnel du canal depuis plus de 40 ans, et de son ami Francis Dentler. "Je pêchais déjà avec mon père. Il était encore là à plus de 80 ans", assure ce dernier. 

Ils sont souvent les premiers au bord de l'eau, tôt le matin, lorsque les cyclistes sont encore rares. À la traque aux carpes, gardons et tanches. "Mais là c'est compliqué, avec les fortes chaleurs des derniers jours, il y a peu d'eau. Ça ne veut pas, ça ne veut pas...", pestent-ils, alors qu'aucun poisson ne mord à l'hameçon. 

Reste alors à se consoler avec les animaux à admirer, cette fois. Des canards, des oiseaux, des écureuils, des ragondins, des sangliers... Très nombreux autour du canal de la Bruche, précieux refuge de biodiversité.

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