Alors que la COP15 sur la biodiversité s'est achevée ce lundi 19 décembre 2022 à Montréal sur un accord historique pour sanctuariser 30% de la planète, la diversité de la faune et de la flore est en danger dans la région Champagne-Ardenne. Le busard cendré, la rainette arboricole et la gentiane pneumonanthe pourraient disparaître si rien n'est fait pour préserver les espaces naturels.
Les chiffres sont inquiétants. 17% de la faune et de la flore est menacée en France. Cela représente 2562 espèces, sur les 15 000 évaluées. Le Grand Est n'échappe pas à ce triste constat : 756 espèces sont concernées, selon les experts de la biodiversité. En Champagne-Ardenne, ce sont plus d'une centaine d'espèces animales ou végétales qui sont en grand danger à moyen terme, c'est-à-dire dans les 10 ou 30 prochaines années.
Pour certaines plantes, la situation est encore plus alarmante. "La gentiane pneumonanthe, très présente dans les zones humides a quasiment disparue des marais champenois", nous explique Yoann Brouillard, responsable de la coordination Aube et Haute-Marne au Conservatoire des espaces naturels de Champagne-Ardenne et membre du conseil scientifique régional du patrimoine naturel.
Le Liparis, aussi appelé orchidée des marais ou le sabot de vénus sont également menacés de disparition. "ces orchidées se développent dans des boisements ensoleillés qui tendent à disparaître" ajoute-t-il.
Côté faune, c'est presque pire. L'outarde canepetière a déjà disparu de la région. Aucun spécimen n'a été observé depuis 2016 en Champagne-Ardenne. "Cet oiseau était pourtant le symbole de la plaine champenoise il y a encore 15 ans", déplore Yoann Brouillard.
Autres oiseaux menacés : le busard cendré, le busard saint-Martin ou le busard des roseaux. Ils font leur nid au sol, dans les champs. Or, l'usage des produits phytosanitaires permet de faire pousser les cultures plus vite. On fauche les blés plus tôt dans la saison. Les oisillons ou les oeufs pas encore éclos se retrouvent broyés dans les moissonneuse-batteuses, décimant les populations de busards.
Le papillon azuré de la Croisette, "magnifique lépidoptère bleu qui se plaisait jadis dans le savart champenois, dans la Champagne crayeuse a atteint le seuil critique de son extinction", se désole le représentant du CEN. "Auparavant, il y avait beaucoup d'herbes folles dans ces steppes champenoises, beaucoup de pâturages aussi qui ont disparu " explique-t-il. "A la place, on a construit en béton ou on a planté des vignes, il n'y a plus de place pour la biodiversité".
Même constat dans les zones humides de la région. La rainette arboricole, très commune dans les marais ou étangs de Champagne-Ardenne souffre elle aussi. On ne trouve désormais ce batracien que dans quelques zones très limitées, comme dans les marais de Saint Gond, dans le sud ouest de la Marne. Et même là, en dix ans, la surface des marais a été divisée par vingt, réduisant l'habitat pour la faune et la flore.
"La faute à la dégradation permanente des milieux naturels"
Yohann Brouillard, responsable de la coordination Aube et Haute-Marne au Conservatoire des espaces naturels de Champagne-Ardenne et membre du conseil scientifique régional du patrimoine naturel
La population de crapauds alyte accoucheur a également fortement diminué. L'espèce est pourtant protégée mais elle se cantonne désormais à la Haute-Marne, alors qu'on en trouvait partout dans la région il y a encore quelques décennies. Si le réchauffement climatique n'est pas étranger à sa disparition, ce n'est pas le principal responsable.
Alors, la faute à qui? "La faute à la dégradation permanente des milieux naturels", pour Yohann Brouillard.
L'expansion urbaine et l'artificialisation des sols viennent grignoter l'habitat des espèces animales et végétales. Rien que dans la Marne, 746 hectares d'espaces naturels ont disparu entre 2012 et 2016, dont près du quart en banlieue de Reims, pour y construire principalement des centres commerciaux et des parkings ou des lotissements.
La disparition de l'élevage et l'agriculture intensive, au détriment des prairies ne favorise pas non plus la biodiversité. Autre facteur aggravant : l'implantation de centrales photovoltaïques pour fournir de l'énergie à la place des champs. Les sols ainsi appauvris, de moins en moins d'espèces survivent. D'autres espèces se retrouvent alors en surabondance, ce qui provoque d'autres problèmes. "Moins de busards, c'est plus de rongeurs" affirme Yohann Brouillard. "Un busard peut chasser entre 3000 et 4000 Campagnolles par saison, c'est donc dans l'intérêt de l'agriculteur de protéger cet oiseau, qui à son tour va protéger les cultures. c'est bien mieux que d'utiliser des poisons pour se débarrasser des rongeurs." poursuit-il. Pour l'expert, l'autre danger qui se profile, c'est l'explosion de la demande en bois de chauffage, qui risque de détruire les forêts qui abrite de nombreuses espèces.
Il s'agit donc de préserver au maximum des espaces naturels et limiter au strict minimum les activités humaines. En Champagne-Ardenne, 270 sites sont ainsi protégés. Soit 4800 hectares. Dans ces zones, des corridors écologiques sont créés afin que les espèces puissent se déplacer et se reproduire. Pour Yohann Brouillard, "il faudrait laisser plus de place à la nature partout". Laisser des arbres, des haies, des herbes folles pour que la faune et la flore puisse se développer, se diversifier. Cela passe par des fauchages, tailles, coupes moins fréquentes et moins rases... Même chez les particuliers avec leur pelouse par exemple.
Il y a quand même des raisons d'espérer. De plus en plus d'éleveurs prennent conscience de l'urgence d'agir pour préserver la biodiversité. Même frémissement chez les viticulteurs. Enherbement des vignes, restauration de haies et bosquets, sont autant de petits gestes qui permettent à de nombreuses espèces de revenir en Champagne-Ardenne. "Cela répond à une demande de plus en plus de consommateurs", se félicite l'expert qui se veut optimiste : "la nature peut vite reprendre le terrain perdu". A condition de la laisser faire!