Amoureux de sa région, il la met à l'honneur dans des "mèmes", des images humoristiques

Depuis le premier confinement de l'année 2020, Noah fait rire toute une région (et bien au-delà) en publiant sur Instagram ses fameux "mèmes de Champagne-Ardenne". Un mème est une petite image faisant écho en nous grâce à l'humour (le plus souvent) mais aussi à la nostalgie... et ici, via l'amour de son terroir natal.

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Que faire quand on aime sa région, qu'on veut lui rendre hommage, et amuser la galerie au passage ? On fait des mèmes, pardi.

Les mèmes (que le commun des mortels écrit memes, mais les journalistes adorent les accents), ce sont des images (ou vidéos) humoristiques déclinables et partageables - et partagées - à l'envi sur les réseaux sociaux. On s'y reconnaît très aisément (c'est relatable, comme disent nos amis les anglophones).

Ces images peuvent concerner n'importe quel sujet et faire apparaître des chats, des extraits de films, ou encore des personnalités politiques (mais pas que). Elles demandent un peu de travail de réflexion, de conception, et de référencement avant d'être publiées. 

L'un des royaumes francophones des mèmes, c'était Mèmes décentralisés, dont les créateurs avaient été interviewés par France 3 Champagne-Ardenne à leur apogée puis lors de leur chant du cygne, car toute bonne aventure a un fin. Si ces mèmes étaient ici nationaux (concernant toutes les régions françaises), il existe aussi des variantes locales.

Champagne-Ardenne : tu l'aimes ET tu en ris

C'est ainsi que depuis la période du premier confinement, il existe Mèmes de Champagne-Ardenne, disponibles sur Instagram uniquement ("Facebook, ça commence à dater"). Dont Florence Morel, journaliste de France 3 Champagne-Ardenne, avait rencontré et interviewé l'auguste créateur. On lui doit déjà près de 1 300 mèmes, fédérant quasiment 15 000 personnes. De la belle ouvrage. 

En cette mi-octobre, les collectivités des régions françaises sont sur le devant de la scène car l'État leur demande beaucoup d'argent pour palier sa gestion impie des finances publiques et boucler son budget en déroute. Et sur Instagram, les différents départements de la région Champagne-Ardenne continuent à faire rire (surtout quand c'est l'occasion de se moquer du Grand Est, voir ci-dessous).

À titre d'exemple, la dernière publication a été aimée plus de 13 000 fois : un joli score. L'occasion donc pour France 3 Champagne-Ardenne de reprendre des nouvelles de Noah, 25 ans, l'administrateur et créateur de ces mèmes qui continuent à rencontrer un grand succès. "C'est relatif : chacun voit le succès là où il le met. Moi, j'ai atteint le maximum que je pensais atteindre."

Il vend donc la Champagne-Ardenne - "c'est ma région" - avec succès sur son compte : ça intéresse du monde. Il évoque d'autres régions qui ont carrément plusieurs comptes dédiés, comme la Bretagne et l'Alsace, très portées justement sur leur culture locale et leur terroir. "Mais personne ne s'était encore positionné sur [la Champagne-Ardenne]."

J'avais besoin de retrouver mes racines.

Noah, Champenois et fondateur des Mèmes de Champagne-Ardenne

"J'ai commencé ça au moment du covid, quand j'étais retranché dans mon petit studio étudiant, loin de la maison. Je n'étais pas en Champagne. Et j'avais besoin de retrouver mes racines. C'est pour ça que je m'y suis mis."

Un cercle vertueux s'est mis en place. Il publiait régulièrement, les gens aimaient et commentaient avant d'en parler d'autour d'eux. Alors il continuait à publier, et ainsi de suite. "C'est comme n'importe quelle passion ou un travail : plus on fait, plus on est bon, et sur les réseaux sociaux, plus on a d'abonnés, plus on en a qui viennent, nous motivent, et vont nous donner des idées."

Inspiration à foison

Le matériau dont il fait ses mèmes, c'est tout simplement la richesse historique, culturelle, ou encore gastronomique de cette région Champagne-Ardenne. "On a plein d'idées, plein de bleds, plein de sous-identités, plein de gnôles..." Oui, il n'y a pas que le champagne en Champagne.

Il y a deux manières de travailler : on part d'un template (base) qui n'a rien à voir avec la situation, mais qu'on détourne pour le rattacher à la région, généralement via la juxtaposition d'un texte ou d'une autre image. Ou bien on prend directement une image correspondante (il donne l'exemple du viaduc de Chaumont) en y rajoutant du texte (exemple ci-dessous avec une Anne Hidalgo détournée en quatre parties (il y a une flèche à droite pour faire défiler)).

L'actualité peut aussi être une bonne source d'inspiration. Par exemple l'approche des soldes au village de marques McArthur Glen, à côté de Troyes, comparée à un démarrage en trombe sur le célèbre jeu-vidéo de courses Mario Kart.

Il aurait aussi pu s'inspirer de la série Une Nounou d'enfer, quand l'irruption des clientes dans une enseigne de prêt-à-porter lors des soldes est juxtaposée à la scène de Jumanji où un troupeau d'éléphants et de rhinocéros dévastant le rez-de-chaussée du manoir des Parrish. Un peu un mème avant l'heure (voir vidéo ci-dessous)...

Petit chauvinisme champardennais

Tout ce travail, ça lui apporte... "de la stabilité. Quand j'ai commencé, j'étais loin de chez moi et avais besoin de mes racines. J'étais beaucoup à droite à gauche pour mes études, et c'était vraiment une ancre pour moi. C'est à la fois très personnel, mais je le partage avec tout le monde."

C'est aussi une manière de s'exprimer sur son quotidien. Par exemple, en ce moment, le bazar suscité par les changements de lignes de Grand Reims Mobilités, l'ex-Citura, qui gère les bus dans la Cité des sacres. Un quotidien partagé par beaucoup, à Reims mais aussi dans d'autres villes, le mème étant souvent universel au-delà des petites spécificités locales (voir en illustration ci-dessous).

"Cela me tient beaucoup à coeur de représenter les gens. Pas ma petite personne, car je me montre très peu sur mon compte, voire pas du tout." Une démarche importante car "notre identité régionale est très peu représentée, surtout depuis la réforme des régions de 2015. Je ne suis pas là pour dire qu'une région est meilleure qu'une autre, mais que les Champardennais existent. Qu'ils ont une culture, un quotidien. On n'est pas une sous-région." 

Ça prend (un peu) de temps

Seul petit regret, "parfois on passe beaucoup de temps sur un mème, et on voit derrière que ça ne marche pas trop. Alors qu'à l'exacte opposée, je fais parfois des trucs en dix minutes, rapidement, et ça décolle. Je ne comprends absolument pas pourquoi." Il prend les exemples ci-dessus : échec pour les nouveaux bus de Reims, succès surprenant pour la critique du Grand Est made-in Paris... "Je peux gagner trois nouveaux abonnés comme 3 000 : c'est très aléatoire..." Qu'il se console : c'est exactement pareil pour les journalistes écrivant sur Internet. Par exemple quand un fait divers riquiqui envoie dans le décor une enquête de trois jours sur un sujet grave...

Parfois, l'imagination et la conception d'un mème, jusqu'à sa publication et éditorialisation, ça peut prendre plusieurs heures (mais ça peut aussi être très rapide). "Ça peut prendre pas mal de temps. Mais la moyenne n'est pas très élevée, je dirais une vingtaine de minutes. Je publiais plus avant, mais maintenant, je me suis un peu calmé : je publie entre trois et six fois par semaine." Toujours à la même heure ("un petit rituel"). Il fait tout lui-même, mais quand des gens lui envoient des mèmes tout-faits ou des idées, il crédite "toujours" la personne à l'origine.

En parlant de gens, il en a rencontré quelques uns au cours d'évènements qu'il a organisés en vrai (chez Mèmes décentralisés, il y avait carrément eu un apéro' devant la cathédrale de Strasbourg). Mais ça n'a pas attiré grand-monde (même si les personnes présentes étaient très sympathiques).

L'amour de sa région

Il a tenté le coup dans un bar du centre-ville de Reims et rassemblé une toute petite dizaine de personnes. "Ils étaient aussi très très cools à Charleville, même s'ils n'étaient que cinq. Par contre, flop total à Troyes, où il n'y en a que deux à être venus." S'il devait en refaire, pourquoi pas, mais ça ne serait pas pour tout de suite (voir la carte de la région ci-dessous)

Il a d'ailleurs des attaches dans chacun des départements. "J'ai vécu à Reims, j'ai vécu dans l'Aube, j'ai vécu à la campagne, j'ai vécu en centre-ville, j'ai fait des collèges de campagne et des lycées de ville : trois lycées différents en Champagne-Ardenne. Je suis aussi beaucoup allé dans les Ardennes car j'y ai de la famille, mais j'en ai aussi dans plein d'autres coins de la Marne et de l'Aube."

"C'est pour ça que j'ai voulu faire Mèmes de Champagne-Ardenne, refléter l'identité de la région et pas que de Reims, ou de la Marne ou de l'Aube. Je ne viens pas que d'une ville ou que d'un département." Mais il reconnaît toutefois que c'est en Haute-Marne qu'il s'y connaît le moins ("c'est plus compliqué"). Et cède volontiers la place à son "collègue de Haute-Marne", avec Mèmes Haut-Marnais, même s'il n'oublie pas ce département pour autant dans ses publications.

Hors des réseaux, Noah est un charmant et brillant ingénieur-biologiste qui va d'ailleurs bientôt commencer une thèse. Il rappelle volontiers que "Mèmes Champagne-Ardenne, ça ne reste qu'une facette de tout ce que je fais". Et il est revenu récemment vivre et travailler sur sa ville de Reims. L'enfant de la région y est donc de retour, et il en est évidemment ravi. La production de mèmes ne risque donc pas de s'arrêter.

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